Alors que le dossier de la libéralisation des droits de plantation monte en puissance, chaque région viticole est appelée à se positionner. A l’issue d’un groupe de travail sur le sujet, l’interprofession de Cognac s’est exprimée, mettant en avant le consensus qui se dégage. Mais des points de divergences existent aussi.
Président du BNIC, Bernard Guionnet est également membre de la CNAOC. C’est à sa demande que Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC, s’est rendu en Charentes les 10 et 11 janvier 2011. Objet de sa visite ? Eclairer les acteurs régionaux sur le dossier de la libéralisation des droits de plantation. A ce jour, P. Bobillier-Monnot fait sans doute partie des meilleurs experts sur le sujet. Que ce soit à Paris, en régions, à Bruxelles ou dans les autres pays viticoles européens, il côtoie tous ceux que la thématique interpelle, viticulteurs, négociants, fonctionnaires, politiques. A l’issue de sa visite, l’interprofession du Cognac a réuni un groupe de travail paritaire qui a débouché sur une conférence de presse. Conduite par Bernard Guionnet et Catherine Le Page, directeur de l’interprofession de Cognac, la conférence de presse a eu lieu le 21 janvier dans les locaux du BNIC.
Bernard Guionnet ne l’a pas caché : « La libéralisation des droits de plantation est un sujet que nous estimons localement et nationalement de la plus haute importance. » « Surtout que la région de Cognac, a-t-il dit, est l’exemple parfait du risque engendré par la libération des droits. » Et de brosser le tableau apocalyptique d’une région qui, en une décennie – de 1967 à 1975 – est passée de 60 000 ha de vignes à 110 000 ha. Des droits nouveaux, à hauteur de 35 000 ha, furent débloqués durant cette période. Le président du BNIC a décrit « l’effet d’aubaine d’un simple papier qui, d’un coup, donnait une valeur à une terre qui n’en avait presque pas ». « La Champagne de Reims a fait exactement le contraire. »
« un vrai consensus régional »
Partant de ce constat historique, B. Guionnet a pu affirmer solennellement « qu’un vrai consensus régional se dégageait pour ne pas aboutir à la liberté totale de planter de la vigne ».
Abordant ensuite les moyens de s’y interposer, le président de l’interprofession a répété son peu de foi dans une volte-face de l’Europe. « Je ne crois pas que l’Europe revienne sur l’accord politique qui l’a conduit à supprimer les droits de plantation. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture, l’a confirmé. Il faut donc trouver un autre système, afin que, dans cette affaire, personne ne perde la face. » Et d’évoquer « la volonté des professionnels de la filière Cognac de voir se mettre en place un mécanisme de régulation partagé par l’ensemble des professionnels de la filière ».
régulation partagée
Régulation partagée ! La formule renvoie explicitement à une gestion interprofessionnelle, qui se substituerait à la disparition des droits de plantation. « Les interprofessions ont déjà un pouvoir économique reconnu. Nous souhaitons qu’elles disposent aussi du pouvoir de réguler la superficie de leur vignoble. Les interprofessions ont déjà la possibilité de gérer des volumes. Nous ne voulons pas qu’elles se coupent de la possibilité de gérer aussi la variable ha. » Mais pour cela, de quel moyen juridique disposeraient-elles ? Bernard Guionnet en a convenu. « Le système est encore à inventer. » La vérité commande de dire que, dans la région, certains ont déjà une petite idée sur la question (voir encadré page 16.)
Le président de l’interprofession a ensuite abordé un aspect plus spécifique à la région des Charentes, les vignes sans IG (sans indication géographique). Avec quelques autres, le vignoble de Cognac fait en effet parti des « zones mixtes », où se côtoient vignes sans IG (pour les débouchés dits « industriels ») et vignes avec IG pour le reste (vignes affectées au Cognac, Pineau, Vins de pays).
Par la voix du président de l’interprofession, la région réclame « un encadrement des plantations de vigne sans IG, afin de ne pas perturber la production de l’AOC Cognac. » La crainte sous-jacente exprimée par Bernard Guionnet ! Que des vignes sans IG soient plantées et puis, chemin faisant, dans la mesure où elles respecteraient le cahier des charges Cognac, qu’elles puissent revendiquer, quelques années plus tard, l’appellation Cognac. En filigrane, se dessine aussi la peur qu’au niveau national, un système de régulation se mette en place pour les vignobles AOP ou IGP, qui laisserait de côté les vignobles sans IG. Situation perçue comme d’autant plus risquée que le statut du vignoble des Charentes « flotte un peu ». Quelque part, le vignoble est IGP « par destination », sous l’effet de l’affectation annuelle au Cognac, au Pineau ou aux vins de pays charentais. Mais sinon, par son caractère de vignoble double fin, il s’assimile plutôt à un vignoble sans IGP (vins de table). Ainsi, cette affaire de l’encadrement des vignobles sans IGP apparaît-elle comme essentielle pour Cognac.
« force de proposition »
Catherine Le Page ne l’a pas caché. Au chapitre de la gestion interprofessionnelle et « du mécanisme de régulation partagé », la région de Cognac se vivrait bien « force de proposition ». « Si les interprofessions sont d’essence plutôt française, nous devons faire valoir notre position au plan européen. »
Bernard Guionnet s’est déclaré très satisfait du « consensus exprimé par le groupe de travail paritaire ». « La CNAOC a demandé aux régions viticoles françaises de s’exprimer au cours de l’année 2011. La région des Charentes est la première région, avec les Côtes-du-Rhône, à avoir tracé les grandes lignes de là où elle souhaite aller »
Le président de l’interprofession a indiqué qu’un courrier avait été envoyé dans la foulée au ministère, aux sénateurs et députés. Ce courrier a repris le triptyque cité plus haut : « ne pas aboutir à la liberté totale de planter de la vigne ; mettre en place un mécanisme de régulation partagé par l’ensemble des professionnels de la filière ; encadrer les plantations sans IG ».
les réserves du SGV
Ce plan de marche est-il validé par toutes les forces en présence ? A l’évidence, le négoce l’approuve et les deux syndicats viticoles aussi avec cependant une réserve de taille pour le SGV Cognac. Le syndicat viticole présidé par Christophe Forget souhaite s’assurer que le mécanisme de « régulation partagé » est dépourvu de toute » ambiguïté » ou « d’intentions cachées ». En clair, il ne faudrait pas que ce mécanisme serve de cheval de Troie pour introduire un système de quota d’exploitation, système que le SGV réfute, contrairement à ses collègues du SVBC. « Ce serait la pire des choses qu’un jour l’interprofession puisse gérer un système de quota d’exploitation. On imagine trop bien les dérives que cela pourrait engendrer : allocation de volumes en fonction des marchés, des affinités, de la méritocratie… Si, entre les lignes, c’est ça qui se profilait, nous y serions farouchement opposés. Nous ne voulons pas d’un tel système. » Dit autrement, le SGV Cognac est favorable à la régulation partagée mais à condition qu’elle serve à gérer des droits de plantation et non pas à couvrir la disparition de ces mêmes droits de plantation, remplacés par un système de quota de production.
Reste que cette vision des choses bute sur une condition, toujours la même : que l’Europe maintienne les droits de plantation. Dans la droite ligne de la CNAOC, le syndicat estime ce maintien possible, en présence de droits de plantation « rénovés », c’est-à-dire gérés de manière plus souple dans leur durée et surtout de façon paritaire, entre acteurs économiques (viticulture et négoce) et organismes de défense. Pour le syndicat, la contrepartie ultime – et déterminante – serait sans doute que la viticulture européenne ne demande plus d’argent à l’Europe. A ce compte-là, l’Europe accepterait peut-être d’en rabattre sur le front du libéralisme.
Vallée Du Rhône
« Véfifier La Pertinence De La Régulation »
Réunis au sein du conseil d’administration d’Inter-Rhône, viticulteurs et négociants ont dit leur attachement au mécanisme de régulation. Christian Paly, président d’Inter-Rhône, s’en dit « agréablement surpris ».
Christian Paly*, président à Inter-Rhône, l’interprofession des vins de la Vallée du Rhône, confirme qu’il y a bien eu débat interprofessionnel autour des droits de plantation, courant janvier. « Ce débat, dit-il, a eu lieu uniquement entre les appellations présentes dans le cadre du conseil d’administration d’Inter-Rhône et le négoce. Les deux parties se sont retrouvées sur la nécessité d’un outil de régulation du potentiel de production. » De quelle nature ? « La discussion n’est pas rentrée dans ces détails. Nous voulions juste vérifier que toutes les parties cautionnaient le principe de régulation. Nous fûmes agréablement surpris de voir que c‘était effectivement le cas. » Les échanges ont porté sur les critères économiques que pourrait mettre en œuvre l’interprofession. A ce titre, Christian Paly n’omet pas de signaler la position des syndicats d’appellation. « Ils ont bien mentionné que les droits de plantation ne véhiculaient pas que de l’économique mais aussi du qualitatif. Ainsi, a-t-il été demandé que les ODG gardent la main sur tous les critères. »
Avec 76 000 ha et 6 000 viticulteurs, le vignoble des Côtes-du-Rhône figure, en terme de surfaces, comme le second vignoble d’AOC après Bordeaux. Le vignoble se caractérise par une myriade d’appellations régionales et d’appellations villages – 25 au total – dont certaines très prestigieuses comme la Côte-Rotie, Crozes-Hermitage, Châteauneuf-du-Pape, Gigondas… En 2008-2009, la région a commercialisé près de 400 millions de bouteilles pour un chiffre d’affaires de 703 millions d’€. Les vins de la Vallée du Rhône se vendent à 92 % sur le marché français.
* Christian Paly est vigneron coopérateur à Tavel et Lirac. Il préside depuis de nombreuses années la cave des vignerons de Tavel qui regroupe 85 vignerons et représente la moitié des volumes de l’appellation Tavel. La cave est spécialisée dans l’élaboration de rosés.
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