Il y avait Gilles Merlet. Maintenant il y a Pierre et Luc. Tous les deux diplômés de l’agro., ils ont rejoint leur père dans l’entreprise. Pierre, arrivé le premier en 2007, a mis en place le système de management/qualité Iso 9001 et s’occupe de la production. Luc, à la fin de ses études, a passé deux ans et demi à Londres, la Mecque des boissons innovantes, pour s’imprégner des tendances de marché. « Une épreuve terrible pour lui » s’amuse son père. De Gilles Merlet, on ne parle pas. Avec quelques comparses producteurs, il fait naître voilà un quart de siècle une crème de cassis, honorée aujourd’hui de médailles d’or au Concours général agricole, à rendre jaloux les amis bourguignons. Le même lance, au début des années 2000, le célèbre Hpnotiq, la liqueur bleu turquoise qui allait faire les ravages que l’on sait aux States. Il fut et reste un pilier des vins de pays charentais à la cave de Saintonge romane, ex Sica Goulebenèze à Burie. Pour ce mélomane, fidèle des riches heures du festival de musique de l’abbaye aux Dames de Saintes, rien de plus naturel que d’exercer sa créativité à la croisée des chemins, entre Cognac, spiritueux, vin et crème de fruit, comme un pianiste joue de toute l’étendue du clavier. Ce qui intéresse Gilles Merlet, c’est à la fois la maîtrise du produit de bout en bout, dans une démarche quasi artisanale – pour le cassis, de bons fruits, issus des meilleures variétés, récoltés à maturité – et ensuite les alliances de goût, les alliages, les mariages, les métissages. « Les plus belles réussites, dit-il, se réalisent toujours aux interstices de deux mondes. » Il cite à titre d’exemple Lipton Tonic, mariage du Soft drink et de l’univers du thé.
Au fil du temps, la distillerie a fait de la mise en marché de nouveaux produits son axe de développement. C’est toute l’histoire de l’AS, l’Apéro Sympa, mis sur le marché en juin dernier. Gilles Merlet raconte la genèse du produit : « A côté de nos liqueurs, produits de niche, nous cherchions une boisson plus “mass market”, capable de générer des volumes. D’un côté, nous avions la maîtrise qualitative des vins de pays charentais de la cave de Saintonge romane. De l’autre, celle des cassis et des fruits rouges. A l’évidence, le nouveau produit devait s’inspirer des deux. »
un « prêt à boire »
L’Apéro Sympa est un « prêt à boire », composé d’environ 85 % de vin. La boisson, classée dans la catégorie des ABV (apéritif à base de vin) évoque sans coup férir le Kir, sauf que le Kir ne se présente pas en bouteille, qu’il s’agit d’une marque déposée appartenant à la société Lejay-Lagoutte et que la recette du Kir ne supporte que vin blanc et cassis. La distillerie Merlet a décliné son produit en trois parfums, d’abord un Sauvignon blanc et poire, ensuite un vin blanc fruits rouges (cassis, un peu de framboise, un peu de fraise) et enfin un rosé pamplemousse. Le produit titre 11,7 % vol. Destiné à une cible jeune, plutôt féminine, son packaging à l’étiquette très graphique, dans les tons rose et or, créée par l’agence Oze Design, est résolument moderne sans être « cheap ». Distribué tout l’été par le réseau Coop Atlantique (magasins Leclerc, Carrefour, Champion), l’AS se positionne à moins de 5 E la bouteille. Chargé de la mise en place du produit, Luc Merlet a procédé aux premiers tests consommateurs courant mai au Carrefour Beaulieu La Rochelle. Les retours furent plutôt bons : vente de 400 bouteilles en quatre jours, au prix « offre découverte » de 3,95 E. En terme d’installation dans le linéaire de la grande distribution, le produit devra cependant « trouver sa place » car la catégorie n’existe pas vraiment, sauf à cultiver des affinités avec la Sangria.
un nouvel espace
« Il nous manquait un outil de travail professionnel pour recevoir nos clients, ici, à Saint-Sauvant. » Profitant de l’extension du laboratoire, la distillerie Merlet a installé un nouvel espace à côté de la maison familiale. Le bâtiment moderne, conçu par un cabinet d’architecte local, incarne bien les valeurs que souhaite véhiculer la société : une entreprise à l’aise sur le terrain du savoir-faire, adapter à son temps. Une belle table de dégustation en forme de vaisseau, très contemporaine, occupe le centre du « show room ». Elle a été créée par une société spécialisée dont le métier consiste à développer, partout dans le monde, un concept de…crachoir.
Inauguration du nouveau bâtiment et présentation de l’Apéro Sympa ont eu lieu le 29 mai dernier, en présence des salariés de l’entreprises et du cercle relationnel de la distillerie.
L’aventure CACHACA
Depuis juin 2008, la distillerie Merlet est propriétaire d’une distillerie de Cachaça au Brésil, dans l’Etat du Mina Gerais. Retour sur une aventure peu banale.
Située juste derrière l’état de Rio de Janeiro, la région de Mina Gerais (littéralement Mines généreuses) a longtemps été un réservoir d’or, de diamants et de minerai de fer. Sur ces richesses fleurit au 18e siècle une architecture baroque qui enchante encore aujourd’hui le visiteur. Si la capitale Belo Horizonte, construite au 19e siècle sur le plan de la ville de Washington, présente l’image d’une métropole un peu banale, de petites cités entretiennent le mythe du siècle d’or. Cette zone tropicale à peu près grande comme la France mais seulement peuplée de 17 millions d’habitants, abrite des Fezenda qui cultivent la canne à sucre. C’est aussi la région leader pour la production de Cachaça, l’eau-de-vie brésilienne parfois nommée Rhum brésilien. Mais contrairement au Rhum « tout court » qui peut être distillé à partir de la mélasse (résidus de l’extraction du sucre), la Cachaça provient toujours de la distillation du pur jus de canne (comme le Rhum agricole). Après extraction et fermentation du jus, la distillation en une seule passe s’opère dans de petits alambics en cuivre « made in Brasil ». C’est en tout cas ce qui se passe à la Maison Leblon, rachetée en juin 2008 par la distillerie Merlet. Pour l’entreprise de Saint-Sauvant, l’histoire démarre fin 2005-début 2006. Une start-up américaine, composée d’anciens de LVMH, travaillant dans la publicité, décide de développer le concept d’une Cachaça haut de gamme pour le marché américain. Ils jettent leur dévolu sur la maison Leblon. Pour rehausser le niveau de présentation, ils se mettent en quête de bouteilles françaises et, au passage, demandent au fabricant quelques noms de « Master distilliers » charentais. Le syndrome de la Spirit Valley fonctionne à souhait et le verrier livre quelques adresses, dont celle de la distillerie Merlet. C’est ainsi qu’un petit groupe d’Américains arrive à Saint-Sauvant avec, sous le bras, une caisse d’échantillons. Ce que goûte Gilles Merlet n’est guère flatteur. Il sélectionne deux ou trois jus qu’il fait séjourner quelques mois dans de vieux fûts de Cognac. Le résultat s’avère tout de suite meilleur. La Cachaças « ramasse le peu qui reste dans la douelle » et le produit s’en trouve nettement arrondit. Le concept est né. La distillerie Merlet commence à travailler avec la start-up américaine. Gilles Merlet se rend au Brésil. Assez vite, le groupe Baccardi-Martini prend une participation minoritaire dans la société américaine. Il investit quelques millions d’euros mais y met une condition : que la maîtrise de la production, de la distillation à la mise en bouteille, ne soit pas dévolue aux seuls Brésiliens. Car le propriétaire de la distillerie Leblon vient de mourir et l’entreprise risque de flotter un peu. C’est ainsi que la distillerie Merlet se porte acquéreur et depuis juin 2008 possède une distillerie de Cachaça au Brésil. « Alors que les grandes marques de Cachaça travaillent de manière industrielle, dans des distilleries à colonne, le mode d’élaboration de la Cachaça Leblon n’a absolument rien à voir » indique G. Merlet. L’eau-de-vie commence à rafler les médailles d’or et les Brésiliens eux-mêmes découvrent un produit haut de gamme, qui a sa place dans les grands restaurants et bars branchés de Sao Paulo, Rio de Janeiro, Bahia. A Sao-Paulo, capitale culinaire de toute l’Amérique latine, un grand chef n’a-t-il pas adopté la Cachaça Leblon. « La marque se développe gentiment mais ne représente pas encore de gros volumes » reconnaît Gilles Merlet. Toutefois le père d’Hpnotiq lui prédit un bel avenir. « Je ne serais pas étonné que la Cachaça devienne l’alcool tendance de demain. A mon avis, elle va faire de l’ombre à la Tequila car c’est nettement meilleur. » Et puis la Cachaça Leblon va bénéficier du coup de pouce de Baccardi-Martini. Le groupe commence à distribuer le produit en Europe, France, Portugal, Espagne, Angleterre demain. Jusqu’à maintenant, la Cachaça se consommait essentiellement dans son marché intérieur, le Brésil. Aujourd’hui, elle s’internationalise. Tout confondu, la Cachaça représente le troisième alcool consommé au monde. Mine de rien.