Distiller : c’est aller au « goutte à goutte »

23 décembre 2008

M. Raymond Dudognon est un viticulteur d’un âge respectable qui a conservé intacte sa passion pour le Cognac et la distillation. Cette culture, issue de 40 années d’expérience, il a su la transmettre à sa fille, Mme Claudine Dudognon-Buraud, qui est revenue sur l’exploitation depuis 10 ans. La petite propriété, située au cœur de la Grande Champagne à Lignières-Sonneville, possède une philosophie de production qui repose sur deux principes simples, la mise en valeur du terroir et la production d’eaux-de-vie authentiques. M. R. Dudognon et sa fille considèrent que l’âme du métier de vigneron en Charentes réside dans la distillation : « La distillation, c’est notre vie. Etre viticulteur sans distiller ne permet pas d’avoir un véritable épanouissement. »

La distillation est l’étape clé de tout le processus de production de cette exploitation et chaque hiver, M. R. Dudognon et sa fille prennent le temps de distiller. La distillation est pour eux l’aboutissement d’une année entière de travail et c’est la phase cruciale « d’extraction de la qualité ». Leur démarche en matière de distillation peut sembler à première vue décalée par rapport aux tendances régionales actuelles, mais en fait elle correspond à l’aboutissement d’une réflexion personnelle et globale d’élaboration d’eaux-de-vie authentique destinées à un long vieillissement. Le démarrage de la mise en bouteille en 1953 a été à la fois un déclic et l’aboutissement de tout un travail sur la qualité des eaux-de-vie qui a fait prendre conscience à M. R. Dudognon de toute la valeur du produit Cognac.

dudognon.jpgLa production d’eaux-de-vie est au centre des préoccupations de cette propriété et toutes les semaines, on prend le temps de déguster et de « travailler » dans les chais. La plupart des lots d’eaux-de-vie sont individuellement incomplets et la réalisation d’assemblages est indispensable pour obtenir des qualités commerciales, mûres, riches et complexes. La dégustation est une véritable passion pour M. R. Dudognon et il a transmis à sa fille sa volonté permanente de ne jamais se satisfaire de son travail et de rechercher à améliorer les choses : « Il faut savoir garder son esprit critique pour être en mesure de s’émerveiller sur l’évolution des vieilles eaux-de-vie d’une année à l’autre. » Cet état d’esprit de recherche permanente de qualité a été couronné de succès puisque depuis dix ans, les Cognacs Dudognon sont régulièrement cités pour leurs excellentes qualités par les meilleurs spécialistes des vins et spiritueux en France et en Europe.

Rechercher la concentration et avoir des approches sélectives

Toute la philosophie de production sur le plan viticole comme au niveau de la vinification et de la distillation repose à la fois sur la recherche de la concentration et la mise en œuvre de démarches sélectives. Le vignoble étroit est conduit en lutte raisonnée avec un objectif de rendement moyen de 80 à 90 hl/ha pour obtenir des raisins concentrés sans pour autant rechercher une vendange surmûrie. La situation du vignoble sur des sols très calcaires parfaitement représentatifs des terres de champagne plutôt légères confère à la vigne une vigueur moyenne et l’effet densité de plantation plus élevée renforce les phénomènes de concurrence entre les souches. L’une des priorités au moment de la récolte n’est pas d’obtenir des titres alcoométriques très élevés mais surtout de rentrer des raisins sains ayant un bon niveau d’acidité.

Sur cette exploitation, il est culturel de récolter des vins plutôt de faible degré et certaines années propices à la maturation, les vendanges ont lieu très précocement. Par exemple, la récolte 2001 a eu lieu dans les premiers jours d’octobre et le degré moyen des vins est inférieur à 9 % vol. M. R. Dudognon considère que la mise en chaudière de vins de 8 à 9 % vol. constitue un gage de qualité supplémentaire pour l’obtention d’eaux-de-vie aromatiques. La vinification est réalisée dans de petites cuves de 100 à 150 hl pour pouvoir bien isoler la production de chaque parcelle, et les récoltes des cépages Montils et Folle Blanche sont vinifiées séparément dans des contenants de plus petite capacité. La distillation est réalisée sans lies à partir de vins laiteux et toujours à la fin décembre pour laisser le temps aux vins de profiter « de s’enrichir » sur le plan aromatique au contact de la biomasse d’écorce levures. M. R. Dudognon ne nie pas l’intérêt de la distillation avec lies, mais il a fait le choix, il y a de nombreuses années, d’élaborer sur son exploitation des eaux-de-vie fines et florales destinées à un vieillissement de plusieurs dizaines d’années avant leur commercialisation.

Distiller, c’est aller au « goutte à goutte »

Pendant la période de distillation, la famille Dudognon vit pratiquement 24 heures sur 24 dans la distillerie et toute l’organisation des chauffes et des coulages est dictée par la dégustation permanente et la conduite du « feu ». Les notions de débit de coulage et de durée de cycle et de respect d’allure et de vitesse de chauffe passent complètement au second plan, et l’objectif est au contraire de pren-dre le temps de « sortir » le meilleur de chaque chauffe. M. R. Dudognon considère d’ailleurs que distiller « c’est aller goutte à goutte » pour bien séparer les arômes intéressants de ceux qui le sont moins.

La distillation est conduite lentement durant toutes les phases essentielles des bonnes chauffes et les faibles débits à la sortie des porte-alcoomètres permettent de gérer beaucoup plus finement les coupes par des dégustations très fréquentes. C’est en quelque sorte l’incidence du feu sur la nature des brouillis mis en chaudière qui rythme le coulage des bonnes chauffes. Après avoir distillé dans des alambics de différentes capacités (12 hl, 18 hl et 25 hl), M. R. Dudognon est revenu à un alambic de 11 hl pour justement gérer les coupes plus facilement à la dégustation. La chaudière dispose aussi d’un chapiteau de petite capacité qui limite les phénomènes de rectification et l’autre particularité de cet alambic est son fonctionnement avec des briquettes de charbon.

Les briquettes améliorent la progressivité et la sélectivité des coulages

foyer.jpgAprès avoir utilisé pendant longtemps du gaz, M. R. Dudognon a opté pour l’utilisation des briquettes non pas par souci de la tradition, mais par volonté d’aller plus loin dans la progressivité et la sélectivité de la conduite des coulages. Selon ce viticulteur, l’utilisation des briquettes de charbon permet à la fois d’acquérir une véritable expérience de la conduite du feu et de gérer les coulages en tenant plus compte de la nature des vins et des brouillis qui sont mis en chaudière.

La gestion du feu avec des briquettes de charbon – qui sont d’ailleurs à l’origine de la mise au point des premiers brûleurs à gaz – nécessite un véritable sens de l’anticipation et aussi une faculté d’observation du comportement de la chaudière. La gestion des coulages des bonnes chauffes se déroule donc d’une manière très différente et c’est justement ce qui en fait l’intérêt selon M. R. Dudognon et sa fille. La combustion des briquettes ne se régule pas avec la même facilité que les allures de fonctionnement des brûleurs à gaz. La conduite de la distillation est réalisée dans une optique permanente de recherche de qualité et la gestion des coupes est effectuée le verre à la main, sans se fixer de véritable limite en matière de titre alcoométrique.

C’est le feu qui conditionne le coulage et non pas l’inverse

alambic.jpgLes cycles de brouillis sont effectués d’une manière tout à fait traditionnelle et la durée totale des cycles de vin dure environ 10 à 11 heures. Par contre, le déroulement des bonnes chauffes dure en moyenne 20 à 24 heures, car le coulage du cœur et de la première fraction des secondes dure le temps qu’il faut. M. R. Dudognon pratique une distillation avec une séparation des secondes en deux fractions : la première entre la coupe et le titre alcoométrique de 25 % vol. est repassée dans les brouillis, et la deuxième va dans les vins.

Les prélèvements de têtes sont limités au minimum et les coulages sont arrêtés autour de 4 % vol. pendant la phase de mise au courant des brouillis, le feu est vif et dès la montée des premières vapeurs, les braises sont aplanies et 7 briquettes de charbon (d’un poids unitaire de 8 kg) sont mises dans le foyer pour assurer le coulage jusqu’à 25 % vol. Le tirage de la cheminée est aussi fortement réduit et les arrivées d’air au niveau du foyer sont limitées à leur strict minimum. La combustion des briquettes doit se dérouler le plus progressivement possible pour assurer un coulage régulier au niveau du porte-alcoomètre comme « un filet d’eau », selon l’expression de M. R. Dudognon. C’est le feu qui conditionne le coulage et non pas l’inverse. La circulation lente des fumées chaudes dans les tours à feu de la chaudière optimise la sélection des composés aromatiques dans la chaudière. La combustion des briquettes dégage une énergie qui atteint un maximum 2 à 3 heures après la mise en courant et ensuite décroît naturellement pendant 8 à 10 heures sans réactiver le feu.

Déguster au moment de la coupe pour sélectionner les bonnes et les mauvaises secondes

Au moment de la mise au courant, c’est le verre à la main que sont réalisés les prélèvements gérés de tête avec toujours le souci d’en enlever le moins possible.

La durée de coulage du cœur varie entre 7 h 30 et 9 heures selon la nature des brouillis et pendant toute cette phase, aucune intervention n’est réalisée sur la gestion du feu. A partir d’un titre alcoométrique de 62 vol. (corrigé à 20 °C), c’est essentiellement la dégustation qui conditionne la durée du coulage. M. R. Dudognon et sa fille sont littéralement au pied du porte-alcoomètre pour détecter l’arrivée des secondes et en apprécier leur qualité. Ils estiment qu’il faut savoir gérer l’arrivée des corps gras car c’est bon pour la qualité des eaux-de-vie et leur présence en quantité maîtrisée adoucit les eaux-de-vie. Le suivi du degré alcoolique n’est qu’un élément indicatif et l’objectif au moment de la coupe n’est absolument pas d’éviter le passage des secondes. M. R. Dudognon considère qu’il y a de bonnes et de mauvaises secondes, et le rôle du distillateur est justement de couper juste avant que les mauvaises secondes passent. Des eaux-de-vie marquées par le caractère de bonnes secondes ont un côté floral plus intéressant et plus complexe sans pour autant extérioriser le côté foin sec et savonnette des mauvaises secondes. Les coupes de certaines bonnes chauffes sont poussées très loin et interviennent à 58 % vol. alors que d’autres fois il faut arrêter le coulage à 60 %.

Les eaux-de-vie nouvelles produites sur cette exploitation sont sur le plan aromatique fines et florales, et elles doivent posséder dès le départ une élégance naturelle qui ne peut apparaître au cours du vieillissement. En bouche, les eaux-de-vie possèdent des notes fruitées et une certaine netteté. Les secondes sont coulées jusqu’à 25 % vol. sans aucun changement d’allure de chauffe, mais il est tout de même parfois nécessaire de réactiver le feu. La durée de coulage de cette première fraction de secondes peut durer 3 à 4 heures alors qu’en dessous 25 % vol. l’autre fraction se déroule beaucoup plus rapidement (en 2 heures en moyenne).

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