Distiller avec des lies nécessite une technicité globale

21 avril 2009

Les préconisations d’incorporation de lies au cours de la distillation sont devenues à la fois plus précises et plus fréquentes en raison d’une demande de typicité aromatique plus affirmée dans les eaux-de-vie nouvelles de la part de plusieurs grandes maisons de la région. L’apport des lies sur les caractéristiques aromatique et gustative des eaux-de-vie est à la fois important et variable selon les années et les situations. La biomasse levurienne, qui représente la fraction principale et la plus valorisante des lies, est en quelque sorte le marqueur du terroir. Néanmoins, la mise en œuvre des lies nécessite une véritable technicité à la fois en amont au niveau de la maîtrise de la qualité des vins et en aval dans la conduite proprement dite de la distillation.

 

Depuis quelques années, il semble que l’incorporation de lies au cours de la distillation connaît un certain regain d’intérêt auprès de bouilleurs de cru et de distillateurs professionnels qui, jusqu’à présent, ne mettaient en chaudière que des vins clairs. En effet, seule la société Rémy Martin conseille depuis plus de trente ans de distiller les vins avec toutes leurs lies, et cette demande spécifique s’intègre dans une démarche de production et de commercialisation ciblée sur le créneau des Cognacs VSOP et des qualités supérieures. L’évolution des attentes (en matière de recherche d’eaux-de-vie nouvelles plus typiques pour des lots destinés à un vieillissement prolongé) exprimée ces dernières années par d’autres grandes maisons de négoce est un des prolongements de la démarche globale engagée au niveau de la vinification. Les efforts considérables réalisés au niveau de la conduite des vinifications ont permis de gommer un certain nombre de défauts majeurs qui masquaient la typicité naturelle des eaux-de-vie. Actuellement, de nouveaux objectifs de recherche de qualité semblent se formaliser en profitant des différents moyens liés à la vinification (décantation et maîtrise thermique des fermentations alcoolique pour obtenir des eaux-de-vie plus fines) et à la conduite des différentes méthodes de distillation. En effet, la mise en chaudière de vins de parfaite qualité permet au distillateur de pouvoir concentrer ses efforts sur les moyens de « capter » les composés aromatiques au cours des différentes phases de coulage.

C’est au moment de la distillation que les hommes « structurent » les eaux-de-vie

Les différentes méthodes de distillation pratiquées dans la région n’ont qu’une seule finalité, l’élaboration d’eaux-de-vie typiques et équilibrées dont la structure aromatique doit être parfaitement en phase avec les attentes des acheteurs et le devenir commercial des produits. La structure aromatique d’eaux-de-vie destinées à un vieillissement court de 3 ans pour être incorporées dans des coupes de VS sera très différente de lots destinés à un vieillissement de 6 à 8 ans pour des coupes de VSOP. C’est au moment de la distillation que l’on « constitue la structure » des eaux-de-vie, et dans l’alambic il se produit une sélection de composés aromatiques sur laquelle le savoir-faire des hommes de la région délimitée interfère fortement. L’apport des lies est un des moyens qui permet de modifier de manière significative la structure aromatique des eaux-de-vie nouvelles. La mise en œuvre de cette pratique nécessite une véritable technicité, car si le contenu des lies accentue nettement la concentration en esters aromatiques, leur incorporation dans la chaudière n’est pas sans risque. Leur nature souvent compacte et leur stabilité microbiologique limitée dans le temps constituent deux contraintes majeures qui doivent être parfaitement intégrées dans l’organisation des volumes de vins mis en chaudières et dans la conduite proprement dite de la distillation. D’une manière générale, l’incorporation de proportion de lies significative au cours des chauffes de vins est plutôt destinée à l’élaboration d’eaux-de-vie destinées à un vieillissement prolongé. Des eaux-de-vie nouvelles ayant une structure complexe sont en mesure de supporter un élevage en fûts neufs (avec des grains moyens et des gros grains) avec un type de bois adapté à la complexité aromatique de départ. Néanmoins, certaines maisons de négoce élaborent des eaux-de-vie de moyenne et longue garde à partir d’une distillation de vins clairs, mais tout le concept d’élevage des eaux-de-vie est adapté à une structure plus fine des eaux-de-vie nouvelles « formatée » par une méthode de distillation adaptée. L’élevage en fûts neufs sera alors réalisé avec un bois ayant un grain fin pour ne pas déséquilibrer la structure aromatique des eaux-de-vie.

Des arômes à l’état pur issus directement d’un fruit : le raisin

Les arômes et les saveurs agréables et typiques issus du terroir sont véhiculés par l’alcool au cours de la distillation. Le Cognac se différencie de la plupart des autres spiritueux par la nature même de ses composés aromatiques qui sont des arômes à l’état pur et directement issus d’un fruit, le raisin, qui « contient » les caractéristiques de chaque terroir. Cette spécificité des eaux-de-vie de Cognac en fait toute leur richesse et leur originalité dans un marché mondial des spiritueux dominé par des boissons généralement aromatisées par des moyens complètement dissociés de la nature même du produit de base. Les eaux-de-vie produites dans la région délimitée de Cognac possèdent des arômes et des saveurs agréables et typiques qui sont issus du terroir. La conduite de la vinification et de la distillation « concentre naturellement » les substances aromatiques, et au cours des quinze dernières années des efforts importants ont été réalisés au niveau de la vinification. L’élimination d’un certain nombre de défauts majeurs (jouant un rôle masquant sur le potentiel aromatique des eaux-de-vie) permet réellement de s’engager dans une démarche de recherche de qualité « positive ». L’obtention de raisins sains arrivés à un niveau de maturité suffisant (mais pas à surmaturité) et une conduite des vinifications maîtrisée permettent d’obtenir des vins de distillation équilibrés et susceptibles de libérer au cours de la distillation les composés aromatiques les plus intéressants. M. Patrick Vinet, l’œnologue de la Chambre d’agriculture de la Charente, nous expliquait que les bons vins donnent rarement des lies de mauvaise qualité et le fait de conserver pendant un à trois mois les vins sur toutes leurs lies n’est pas un problème dans la mesure où tous les aspects d’hygiène sont parfaitement maîtrisés en amont. Les lies issues de vins de parfaite qualité jouent un rôle réducteur positif sur la conservation des vins en limitant leur oxydation. Par ailleurs, la biomasse levurienne doit exprimer les potentialités du terroir car, malgré le développement du levurage, les flores indigènes restent encore présentent au cours des cinétiques fermentaires.

Sélectionner les composés volatils intéressants et créer le reflux des éléments indésirables

Durant la distillation, l’alcool véhicule une diversité de composés volatils interférant sur la révélation des arômes et de la structure des eaux-de-vie. L’art du distillateur est de créer les conditions favorables à la sélection des composés les plus intéressants tout en maîtrisant le reflux dans l’alambic et la rectification d’autres substances aromatiques indésirables à de fortes doses. C’est pour cette raison que la notion de qualité des vins mis en chaudière a pris autant d’importance ces dernières années, car le fait de distiller des vins exempts de défauts majeurs permet au distillateur de se « consacrer » à la concentration aromatique. Les composés volatils contribuant à la révélation de l’arôme des eaux-de-vie interviennent plus par leur qualité que leur quantité, et des études récentes montrent que leur concentration varie de 0,3 à 1 % de la teneur en alcool total. La conduite des chauffes provoque au sein de l’alambic un certain nombre de transformations chimiques qui sont favorables à la qualité des eaux-de-vie. Les durées et les variations d’allures de chauffage ont une incidence importante sur la combinaison de nombreuses substances dans le vin et les brouillis, et sur leurs réactions de dégradation. Le fractionnement et le recyclage des diverses factions de distillat jouent aussi un rôle important sur la typicité finale des eaux-de-vie. La maîtrise des températures de coulages des différentes fractions de distillats interfère aussi sur la capacité du réfrigérant à condenser de manière plus ou moins importante certains composés.

brouillis.jpgbonne_chauffe.jpgLa technicité de la distillation repose sur les courbes de Passage des différents composés volatils

eau_trouble.jpgDurant la conduite de la distillation, il se produit diverses réactions chimiques, d’estérification, d’hydrolyse, d’acétilisation, des réactions de Maillard, des dégradations de Strecker… Tous les arômes volatils des vins qui sont entraînés par les vapeurs hydroalcooliques n’ont pas les mêmes vitesses de passage durant les deux chauffes successives. L’évolution des connaissances a permis de mieux connaître les courbes de passage d’un certain nombre de constituants volatils provenant soit du vin, soit du brouillis, et la prise en compte de ces éléments permet de prendre conscience du niveau de technicité que nécessite la conduite de la distillation. Les graphiques ci-contre permettent de se rendre compte de l’ordre de passage des constituants qui sont à la fois à l’origine de défauts et de caractéristiques aromatiques intéressantes. Par exemple, l’éthanal, l’acétal et les esters d’éthyle (C2 à C18), l’acétate d’isoamyle, le caprate d’isoamyle passent tout en début de coulage au niveau des têtes. Des teneurs faibles en éthanal dans les vins permettent donc de réduire les prélèvements de tête et de recueillir une concentration supérieure en ester aromatique. Durant la bonne chauffe, le coulage du cœur est l’opération déterminante pour obtenir des eaux-de-vie riches, structurées et équilibrées. Pendant cette phase, la parfaite gestion des allures de coulages, des températures et de la coupe contribue à « capter » les arômes. Les composés les moins volatils passent durant le coulage des secondes et leur recyclage n’entache pas la finesse des eaux-de-vie. Les spécificités de chaque méthode de distillation permettent aussi d’obtenir des eaux-de-vie ayant une structure aromatique différente en jouant sur les prélèvements de têtes, sur la coupe du cœur et le recyclage des secondes. L’incorporation des lies au cours de la distillation est un moyen supplémentaire d’apporter aux eaux-de-vie une complexité et une typicité différente.

Les acides gras et les esters libérés lors de la mise à ébullition des vins dans l’alambic

incidences.jpgLa distillation avec lies est une pratique traditionnelle dans la région de Cognac et la typicité aromatique apportée par les lies dans les eaux-de-vie nouvelles est très caractéristique. Les lies des vins de distillation renforcent la structure aromatique dans la mesure où elles sont parfaitement saines sur le plan microbiologique. D’ailleurs, il convient de préciser que les lies « charentaises » n’ont rien à voir en terme de nature de produit avec les lies génériques vinicoles qui sont véritablement une concentration de produits lourds (contenant des fractions de composés indésirables). Les lies issues des vins de distillation sont constituées à la fois de toutes les particules végétales sédimentées après la fermentation alcoolique et de la biomasse de levures. Cette seconde fraction est la plus importante sur le plan quantitatif et aussi la plus intéressante qualitativement. Les particules végétales proviennent des bourbes qui sont libérées au cours des opérations de traitement de la vendange. Les messages techniques visant à limiter l’extraction des bourbes au cours des opérations de transferts de la vendange et de pressurage contribuent à obtenir des lies bien équilibrées. La biomasse levurienne est constituée de cadavres de levures qui sont en fait des agglomérats de cellules mortes très résistantes. La libération de leur contenu ne peut se réaliser que par des actions assez énergiques comme la mise en solution dans du vin chaud au sein de l’alambic ou le bâtonnage des vins blancs, une pratique habituelle dans le Muscadet ou en Bourgogne. Les cadavres de levures renferment des acides gras (acide caprique, acide caprylique, acide caproïque et des acides à chaînes plus longues) et leurs esters associés (caprate, caprylate, caproate…). La distillation d’un même vin avec et sans lies donne des eaux-de-vie avec une structure et une richesse aromatique beaucoup plus ample et le dosage des esters atteste de cette différence. Le tableau ci-dessous montre que l’augmentation de la teneur en ester peut être importante (souvent multiplier par deux).

L’incorporation des lies est directement conditionnée par leur qualité microbiologique

La possibilité d’incorporer ou pas des lies dans la distillation est directement conditionnée par leur qualité et, malheureusement, ce sont des produits dont la stabilité microbiologique est très aléatoire dans le temps. Les lies se conservent mieux lorsqu’elles sont complètement protégées des aérations (par du vin en cuve pleine). Par contre, dès qu’elles restent à l’air libre pendant plusieurs jours, elles peuvent se dégrader rapidement. En effet, durant la conservation du vin sur toutes leurs lies, les cadavres de levures libèrent lentement des constituants qui font augmenter leur ph et les rendent plus sensibles à des évolutions microbiennes de type fermentation butyrique. Ce phénomène de fermentation butyrique des lies est souvent déclenché et amplifié par un stockage à l’air libre des lies. La température de conservation des vins joue un rôle déterminant et si au cours d’un hiver doux elle se maintient autour de 15 °C, les risques d’altérations microbiennes des lies sont plus importants qu’à 10 °C. D’une manière générale, la conservation des vins sur toutes leurs lies jusqu’au début du mois de janvier pose peu de problèmes. Par contre, plus on distille tard en saison plus les risques de dégradation qualitative des lies augmentent. La véritable interrogation est bien sûr l’appréciation de la qualité des lies. M. Bernard Galy, de la Station Viticole du BNIC, considère que bien qu’il n’existe pas de moyens analytiques directs pour quantifier la qualité des lies provenant de différentes cuves, par contre un certain nombre d’observations empiriques permettent d’en apprécier leur nature. En premier lieu, les vins de bonne qualité sont généralement porteurs de beaucoup d’espoirs en matière de potentialités qualitatives des lies. L’aspect visuel des lies en terme d’uniformité de teinte en surface et surtout leur homogénéité dans leur épaisseur au fond de la cuve constituent un critère important. Si, par exemple, des strates de couleurs plus foncées sont présentes dans l’épaisseur, cela signifie que les lies ont probablement enclenché un processus d’altération microbienne. Enfin, l’odeur des lies est aussi un élément important et plusieurs bouilleurs de cru nous faisaient remarquer qu’aussitôt une cuve vide, les bonnes lies dégagent des arômes aussi intenses que du vin. Certains viticulteurs vont même jusqu’à goûter les lies et si les premières saveurs qu’ils perçoivent sont proches de celles des vins, ils considèrent que c’est un facteur de qualité. M. P. Vinet considère que certains indicateurs analytiques au niveau des chromatographies des vins, avec notamment le dosage du butanol 1, du butanol 2 et du formate d’éthyl, sont en mesure d’exprimer un état de stabilité microbiologique des lies.

La mise en chaudière de vins avec des lies remises en suspension amplifie les risques de « collage »

La mise en œuvre des lies au moment de la charge des vins est aussi une opération délicate car leur projection sans aucune précaution dans le fond de la marmite chaude peut occasionner des phénomènes de collage préjudiciables pour la qualité des eaux-de-vie et pour l’aptitude ultérieure du cuivre à fixer des particules solides. Les lies ont naturellement tendance à se sédimenter et au contact des parois de cuivre chaud, elles peuvent « cuire » et provoquer l’apparition d’un goût de « chaud » dans les eaux-de-vie et même de « rimé » dans la pire des situations. L’incorporation des lies durant les chauffes de vins doit être réalisée en ayant pris le soin auparavant de maintenir une parfaite hygiène au niveau de toutes les parties de l’alambic en contact avec le vin (la marmite, les tuyauteries et le réchauffe-vin). La pratique la plus courante est depuis longtemps de remettre en suspension les lies dans la cuve 30 minutes à une heure avant de charger le vin dans la chaudière. L’utilisation de brasseurs à hélices mobiles (introduits par les orifices des vannes à boules) dans des cuves de petites et moyennes capacités permet de remettre en suspension les lies de façon homogène avant de pomper le vin bien trouble dans la chaudière. Les risques « d’adhérence » des particules solides au moment de l’arrivée du liquide dans la marmite peuvent être minimisés en laissant un filet d’eau sur le fond afin de limiter l’impact du choc thermique entre le cuivre chaud et le vin froid chargé en lies. Le préchauffage des vins chargés en lies est aussi une pratique à risque car, dans les réchauffe-vin, les particules solides ont tendance à se déposer encore plus facilement comte tenu que la montée en températures est moins importante. L’une des difficultés de cette méthode de remise en suspension par brassage avant la charge des vins est aussi « le dosage des lies » qui n’est pas facile à gérer surtout dans des cuves dont la capacité dépasse 150 à 200 hl. Néanmoins, beaucoup de bouilleurs de cru pratiquent avec succès cette méthode qui a l’avantage de ne pas aérer les lies et donc d’éviter tout risque de dégradation microbiologique.

Incorporer les lies juste avant la mise au courant : des risques de collages minimes mais des contraintes

L’incorporation des lies peut être réalisée d’une autre manière en les ajoutant dans le vin chaud juste avant la phase d’ébullition. Cette technique nécessite une tout autre approche dans la gestion des volumes de lies et de vins clairs. La charge directe dans la chaudière ou le préchauffage dans le réchauffe-vin sont réalisés uniquement avec des vins clairs, ce qui supprime tous les risques de phénomène de collage. Les lies seront incorporées juste avant la mise au courant, au moment où le vin clair est proche de l’ébullition. Au sein de la chaudière, les mouvements de convection du vin chaud constituent un moment favorable pour incorporer des lies pré-diluées qui seront instantanément homogénéisées dans le reste du contenu de la marmite (sans aucun risque de collage). L’incorporation des lies juste avant la mise au courant nécessite des précautions particulières au niveau de la préparation des vins. Les jours précédant la distillation d’une cuve, le vin clair sera soutiré et les lies seront stockées séparément dans un petit contenant à l’abri de l’air (des garde-vin à chapeau flottant munis de trappe de décuvage sont une bonne solution). Cette technique présente des avantages notamment au niveau de l’observation de la qualité des lies et de leur dosage dans les différentes chauffes de vins. Par contre, elle comporte aussi certains inconvénients surtout lorsque la contenance des cuves est trop importante par rapport à la capacité de charge des alambics. La durée de conservation des lies (même dans un garde-vin) ne doit pas dépasser une petite semaine car les petites aérations successives liées aux seuls pompages lors des différentes charges de vins peuvent être suffisantes pour modifier leur équilibre microbiologique. L’idéal est d’incorporer les lies dans les deux à cinq jours qui suivent le soutirage d’une cuve.

Les surcharges après les coupes du coeur, une méthode controversée

La pratique la plus courante dans la région est encore d’incorporer les lies pendant une bonne chauffe, juste après le coulage du cœur. Une surchage est réalisée en incorporant un volume de vin très chargé en lies qui corrrespond à la capacité laissée libre dans la marmite suite au coulage du cœur. Une nouvelle mise au courant est alors réalisée et le distillat obtienu est un produit intermédiaire entre un brouillis et des secondes. Ensuite, ce coulage est réincorporé avec des brouillis dans la bonne chauffe suivante. La réalisation des surcharges est une pratique un peu culturelle auprès de nombreux bouilleurs de cru car elle limite considérablement les risques de collage des particules solides au fond de la chaudière (surtout lorsque les apports sont importants). En effet, le vin très chargé en lies est incorporé dans un liquide en pleine ébullition et les mouvements de convexion permettent de maintenir en suspension les particules solides. Sur le plan qualitatif, les avis concernant cette pratique de surcharge sont beaucoup plus controversés. M. B. Galy, de la Station Viticole du BNIC et M. P. Vinet, de la Chambre d’agriculture de la Charente, ont d’ailleurs exprimé une préférence en matière de qualité d’apport aromatique pour les incorporations de lies dans les vins. Un certain nombre de bouilleurs de cru pratiquent les surcharges durant le coulage des secondes avec succès et sur certains sites, c’est une pratique donnant de bons résultats. Sa mise en œuvre nécessite de véritables précautions au niveau de la maîtrise des températures de coulage (identique à celle d’un brouillis), de leur fractionnement en fin de coulage et de l’efficacité de la filtration au porte-alcoomètre.

Seule la dégustation des premières bonnes chauffes permet de bien doser les lies

Le dosage des lies demeure un problème difficile à gérer car leur effet marqueur sur les arômes et la structure des eaux-de-vie est très variable selon les années et selon la nature du terroir nous confiaient plusieurs bouilleurs de cru. D’une manière générale, plus on incorpore de lies plus l’impact aromatique et organoleptique est important mais comme pour les autres paramètres de la distillation, la dégustation des premières bonnes chauffes est le seul véritable moyen d’optimiser « les bons dosages ». Certaines années, il ne faudra ajouter que 4 à 5 % du volume de charge alors que pour d’autres, il sera nécessaire d’aller plus loin. Cela confirme bien que les caractéristiques des eaux-de-vie Cognac sont directement liées à un effet millésime. Par exemple, la plupart des maîtres de chais s’accordent pour dire que les lies du millésime 2002 marquent plus que celles de l’année dernière, mais cette réflexion sur l’impact des lies est directement dépendante de la nature des vins de distillation 2002 qui sont nettement plus acides que ceux de la récolte 2001. Indéniablement, les vins de très bonne qualité sur le plan analytique et organoleptique permettent toujours d’élaborer des eaux-de-vie intéressantes et l’apport des lies s’avère alors encore plus marqué. Les ingénieurs de la Station Viticole du BNIC observent de façon systématique que la distillation avec lies entraîne une augmentation très significative des teneurs en eaux-de-vie des esters quelles que soient les années. Sur le plan aromatique, le fait de distiller des lies favorise l’extériorisation des arômes beaucoup plus intenses dont la diversité et la richesse sont en directe corrélation avec le niveau de qualité des vins de distillation et des lies mises en chaudière (et par voie de conséquence millésime). Les lies issues de cuve où les vins présentent des caractéristiques aromatiques, gustatives et analytiques les meilleures « marquent » beaucoup plus les eaux-de-vie. En effet, au cours des huit heures d’ébullition permanente du vin au sein de la marmite, les nombreuses réactions chimiques (complexes et pour une part méconnues) se produisant sont directement en relation avec la nature du vin et tout particulièrement l’équilibre alcool/acidité. Des distillations de vins parfaitement clairs permettent d’obtenir des eaux-de-vie nouvelles avec des teneurs en esters fluctuant de 20 à 50 mg/l à 70 % vol. ; des eaux-de-vie distillées avec des lies légères (celles recueillies après un soutirage de fin fermentation des vins laiteux) possèdent des teneurs en esters plus élevées variant de 30 à 70 mg/l à 70 % vol. et des eaux-de-vie distillées avec toutes leurs lies contiennent des teneurs en esters importantes se situant entre 100 et 180 mg/l à 70 % vol. Cependant, toutes ces données analytiques ne constituent pas en soi un moyen de caractériser la qualité des eaux-de-vie mais seulement d’observer les conséquences de la mise en œuvre ou pas de cette pratique de distillation.

Élaborer des eaux correspondant aux attentes des différents acheteurs

correspondant_aux_attentes.jpgLes principales maisons de négoce de la région ont défini depuis longtemps des caractéristiques de production en matière de pratiques de vinification et de distillation dont les viticulteurs doivent tenir compte. L’objectif est d’élaborer sur le plan aromatique et organoleptique le type d’eaux-de-vie qui correspond aux attentes des différents acheteurs mais, indéniablement, l’incorporation de lies au cours de la distillation est devenue une pratique plus fréquente pour renforcer la typicité des productions. La distillation des vins avec toutes leurs lies au cours de la distillation est une pratique préconisée par la société Rémy Martin depuis très longtemps alors que Martell l’a toujours déconseillée. La société Hennessy a une autre approche qui s’intègre à une démarche globale de recherche de qualité engagée maintenant depuis une dizaine d’années. La société Courvoisier préconise uniquement la distillation avec lies pour les lots d’eaux-de-vie destinés à un vieillissement prolongé et provenant uniquement des crus de Grande et Petite Champagne. Les témoignages des responsables de production de ces différentes entreprises de négoce qui vont vous être présentés permettent de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la distillation est intégrée ou pas dans le cahier des charges de production.

Bibliographie :

– Travaux de recherche sur la distillation réalisés par l’équipe de la Station Viticole du BNIC. – Entretien avec M. Bernard Galy, de la Station Viticole et M. Patrick Vinet, de la Chambre d’agriculture de la Charente. – Communications réalisées à l’Université des eaux-de-vie de Segonzac. – Communications fournies par les services de production des sociétés Courvoisier, Hennessy, Martell et Rémy Martin.

 

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé