Distillation : des pistes réalistes pour économiser de l’énergie

27 mars 2013

La Station viticole du BNIC conduit depuis plusieurs années une réflexion globale sur la connaissance et la meilleure maîtrise des consommations énergétiques de l’alambic charentais. La première phase de ce travail a été de mieux cerner les niveaux de consommations énergétiques afin d’envisager quelles sont les pistes les plus réalistes pour réaliser des économies de gaz. Des expérimentations ont été conduites pour mieux connaître les phénomènes de combustion et tester les innovations technologiques des constructeurs. Bernard Galy, l’ingénieur œnologue chargé de ces études à la Station viticole du BNIC, témoigne de l’état d’avancement des connaissances.

Les cellules de combustion actuelles des alambics charentais peuvent-elles consommer moins d’énergie ?

Bernard Galy – Dans l’enquête distilleries conduite en 2008 auprès de 400 bouilleurs de cru et distillateurs professionnels, nous avons observé des écarts importants de consommation de gaz. La moyenne se situait entre 48 et 50 kg d’équivalent propane/hl d’AP, mais plus de 20 % des sites avaient des consommations nettement plus faibles. Cela confirme bien qu’une utilisation judicieuse des infrastructures technologiques existantes permet déjà de maîtriser les consommations énergétiques. La réflexion sur ces aspects que les professionnels nous ont demandé de conduire a débouché sur une meilleure connaissance des besoins énergétiques de la distillation charentaise. Les principales conclusions de ce travail concernent l’importance des besoins d’énergie absorbés par la chauffe de vin et la quantification plus précise des pertes de calories. La chauffe de vin absorbe à elle seule 50 % du gaz nécessaire pour distiller 1 hl d’AP, et au sein de ce cycle la seule phase de mise au courant (sans préchauffage) consomme 25 % des besoins totaux. Les pertes liées à la chaudière (principalement par le foyer) et à la combustion (les calories perdues dans les fumées) représentent 29 % de la consommation totale de gaz. Au vu de ces éléments, nous sommes convaincus qu’il est possible de réaliser des économies en utilisant plus judicieusement les équipements existants. La mise en œuvre du préchauffage des vins en respectant les limites qualitatives des grandes maisons doit permettre de limiter les consommations de gaz. Les nouvelles installations de préchauffage dynamique apportent plus de sécurité vis-à-vis de la qualité des vins et leur utilisation semble bien adaptée aux infrastructures des distilleries. La réduction des pertes énergétique est une autre piste de réflexion sur laquelle des marges de manœuvre existent. La réalisation tous les ans d’analyses de combustion permettrait déjà d’améliorer les rendements de combustion de beaucoup de chaudières. Atteindre des rendements de 85 % avec des foyers équipés de brûleurs atmosphériques est un objectif réaliste. L’introduction de nouvelles technologies respectant le principe du chauffage à feu nu peut permettre d’aller plus loin. Les initiatives actuelles de plusieurs constructeurs d’alambics confirment que des innovations dans ce domaine sont possibles.

Qu’apportent de plus les systèmes de préchauffage dynamique des vins par rapport à une utilisation maîtrisée des réchauffe-vins traditionnels en cuivre ?

B.G. – La présence des réchauffe-vins en cuivre dans de nombreuses distilleries de la région confirme tout d’abord que l’intérêt économique pour le préchauffage n’est pas nouveau. L’utilisation des réchauffe-vins traditionnels nécessite une grande vigilance, car l’élévation de température du vin de façon statique pendant une durée courte de seulement 1 h 30 à 2 heures représente une prise de risque sur le plan qualitatif. La forme de ce récipient et l’implantation du tuyau de traverse ne facilitent pas son nettoyage. Ensuite, vouloir chauffer des vins plus fort pour atteindre par exemple 45 °C représente une véritable prise de risque avec cet équipement, alors qu’avec des échangeurs externes le potentiel qualitatif est bien respecté. Les observations que nous avons réalisées sur le fonctionnement des échangeurs dynamiques en ligne confirment l’intérêt au niveau des performances. Il est facile d’atteindre des températures de 45 à 50 °C. Chaque fois que la température du vin augmente de 1 °C, la consommation de gaz lors de la mise au courant baisse de 0,4 %. Les économies d’énergie suite à un préchauffage dynamique varient entre 10 et 15 % selon la température initiale du vin. Le fait que l’élévation de température s’effectue de manière instantanée respecte beaucoup mieux leur qualité des vins. Le lavage du réseau de tuyauteries et des échangeurs est facile à réaliser avec l’eau chaude disponible dans les distilleries. Cette opération est aujourd’hui souvent automatisée. Le fait d’utiliser l’eau chaude des pipes pour le préchauffage représente une source d’énergie gratuite qui engendre en plus une diminution de moyens frigorifiques, notamment dans le cas du recyclage de l’eau.

La vitesse de chargement des vins préchauffés de façon dynamique n’engendre-t-elle pas des pertes aromatiques ?

B.G. – Lors du chargement des vins préchauffés en ligne de façon très rapide se dégagent dans l’atmosphère des distilleries (par les évents) de bonnes odeurs que l’on peut supposer être perdues. Les vins contiennent du gaz carbonique dissous qui n’est pas éliminé lors du préchauffage dynamique en ligne. Au moment du chargement de la chaudière, le gaz carbonique dissous est libéré brutalement et cette libération entraîne des composés volatils présents dans le vin. Nous n’avons pas encore mesuré l’incidence qualitative de ce phénomène sur la qualité finale des eaux-de-vie. Notre souhait est de mettre en place une expérimentation sur la conduite du chargement des vins préchauffés en ligne avec des évents ouverts et fermés pour mesurer l’incidence du pigeage et des pertes aromatiques. Une vitesse de chargement d’un alambic de 25 hl de 15 à 20 minutes est déjà un moyen de limiter ces phénomènes de dégazage. On peut également imaginer l’installation d’un tube plongeur en cuivre dans la marmite pour remplir en présence de liquide.

Au niveau de la combustion, quelles sont les pistes d’économies d’énergie les plus réalistes ?

B.G. – La meilleure connaissance des pertes énergétiques a permis de se rendre compte que les déperditions de calories les plus importantes intervenaient au niveau des fumées et par les parois des foyers. Pour réduire les pertes au niveau des fumées, il faudrait faire baisser les températures des fumées et diminuer leur débit dans les tours à feu et la cheminée. Ensuite, la conception des parois des foyers doit limiter les pertes par conduction au niveau des massifs liées à des matériaux peu isolants, poreux, mal jointés et parfois pas assez épais.

Quels sont les moyens pour réduire la vitesse de circulation des fumées ?

B.G. – Avec les brûleurs atmosphériques, les possibilités de limiter le débit des fumées sont très réduites, car la combustion nécessite un excès d’air permanent. C’est un principe indispensable à la sécurité du personnel dans les distilleries. La réalisation chaque année d’analyses de combustion permet de régler efficacement l’alimentation en air du brûleur car, après 4 à 5 mois d’utilisation, il se produit inévitablement des dérives de fonctionnement. Les 100 ou 150 € ht investis dans une analyse de combustion sont souvent amortis très rapidement par une économie de plusieurs kilos de gaz/hl d’AP. La réalisation de mesures d’oxygène et de monoxyde de carbone au niveau de la cheminée à partir d’une sonde Lambda est un moyen de piloter plus efficacement la combustion des brûleurs atmosphériques et le réglage du registre. Un constructeur travaille cette piste technologique. Pour l’instant, ces équipements se sont peu développés dans la région. Par contre, l’utilisation des brûleurs à air soufflé permet de réguler efficacement la circulation des fumées dans les tours à feu et les cheminées. En effet, ce type de brûleur pilote de manière simultanée et complètement automatisée l’arrivée de gaz et l’alimentation d’air suffisant correspondant à l’intensité de la combustion. Plus l’arrivée de gaz augmente, plus le ventilateur admet un débit d’air élevé. L’introduction de chicanes au niveau des tours à feu peut aussi améliorer la capacité d’échange thermique avec la chaudière. Les développements technologiques de plusieurs constructeurs au niveau des brûleurs à air soufflé représentent une piste d’économie d’énergie intéressante, car le rendement de combustion est en permanence optimisé pendant toutes les phases des coulages. L’amélioration des performances est encore meilleure quand la conception des foyers est également aménagée. L’utilisation de matériaux beaucoup plus isolants que la vermiculite et l’aménagement des tours à feu sont des moyens complémentaires de réduire les pertes par convection au niveau des parois et de ralentir la circulation des fumées.

Les risques de refoulement de gaz imbrûlés riches en monoxyde de carbone dans les distilleries ne sont-ils pas une limite pour optimiser le rendement de combustion ?

B.G. – Avec les brûleurs atmosphériques bien réglés, une combustion complète se déroule en présence d’air en excès, ce qui se traduit par des teneurs moyennes de 9 % d’oxygène dans les fumées (analyses statistiques des relevés de combustion – BNIC, 2008). Un tel fonctionnement induit des pertes énergétiques dans les fumées de 15 à 17 %. Il n’est pas possible de prendre le risque d’aller plus loin au niveau du réglage de la combustion car, effectivement, un refoulement des gaz imbrûlés peut alors se produire. Les équipements automatisés de réglages du registre de cheminée et de la sécurité par les mesures des teneurs en 02/CO évoqués précédemment peuvent permettre de mieux contrôler à la fois la combustion et les risques de refoulement des gaz imbrûlés. Le principe même des brûleurs à air soufflé, qui est de réguler en permanence l’air nécessaire à la combustion dans un foyer fermé, rend impossible les refoulements de gaz imbrûlés dans les distilleries. Les registres de cheminée sont réglés dans une position médiane et constante pendant toute la durée des cycles de distillation. En cas de panne d’électricité, le brûleur se met immédiatement en sécurité et s’arrête.

Dans le cadre de vos travaux, avez-vous essayé d’autres systèmes de combustion ?

B.G. – A la demande des professionnels, une étude a été conduite pour évaluer d’autres possibilités de chauffage que celle à feu nu. La piste qui a été explorée est le chauffage à la vapeur qui est utilisé pour la distillation d’autres spiritueux. Il existe deux principaux procédés pour chauffer des alambics à la vapeur, soit on fait circuler de la vapeur dans un échangeur situé à l’intérieur de la chaudière, soit on établit un circuit de vin permanent entre l’échangeur externe fonctionnant à la vapeur (multitubulaire ou à plaques) et la chaudière. Un travail expérimental mené au cours des précédentes campagnes a permis d’appréhender la faisabilité technique de la méthode. Par ailleurs, le chauffage indirect pose un problème réglementaire puisqu’il n’est pas conforme au cahier des charges de l’appellation.

Avez-vous suivi ou étudié en partenariat avec des constructeurs des alambics fonctionnant aux granulés de bois ou au bois déchiqueté ?

B.G. – Nous n’avons pas encore travaillé l’utilisation de ces nouveaux combustibles, mais un fournisseur nous a contactés pour monter un projet pour la prochaine campagne. Souhaitons que cette initiative aboutisse.

 

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