Distillation au 31 mars : passera ou passera pas ?

20 novembre 2023

Décidemment la gestion de la récolte 2023 n’est pas un long fleuve tranquille… A l’image de la Charente qui débordait ces jours derniers de son lit, les cuves regorgent, elles-aussi, de vins prêts à être distillés par les près de 3000 alambics de l’aire délimitée.

Seulement voilà… la générosité de dame nature a dépassé toutes les attentes. Si l’initiation florale s’est déroulée, en 2022 sous les meilleurs hospices, laissant entrevoir un potentiel de production 2023 plus que prometteur, l’abondance du millésime pose un défi de taille aux distillateurs de la région, du bouilleur de cru à domicile au bouilleur de profession :  distiller tous les volumes récoltés avant le 31 mars 2024, date couperet fixée par le cahier des charges de l’appellation cognac.

Si la crainte est aujourd’hui dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres, ce n’est pourtant qu’au moment de la clôture du dépôt des déclarations de récolte, le 10 décembre prochain, que la messe sera dite de manière certaine. Passera, ou passera pas ?

De 150 à 180 jours de distillation ?

Si tous les distillateurs, du bouilleur de cru au bouilleur de profession n’ont ni les mêmes contraintes, ni les mêmes volumes à distiller, il est un calcul qui ne trompe pas. Alors que les volumes de vins à passer en chaudière pour le millésime 2022 avaient nécessité, au plus haut, 150 jours de distillation, les plus de 10 millions d’hl de vin produits à un TAV moyen de 10,5 %, il est, à date, contre-intuitif de penser que la récolte 2023, aux volumes supérieurs et aux TAV moyens en deçà de ceux de l’année passée ne nécessitera pas davantage de temps. D’aucuns tablant sur une durée de 180 jours. Et c’est là que cela coince…

Après le 31 mars, tu ne distilleras point !

31 mars pour son cousin armagnac, 30 avril pour le marc d’Alsace, 31 mai pour le marc champenois, avant la campagne suivante pour les mirabelles, quetschs et autres kirschs d’Alsace, etc. l’appellation cognac n’est pas la seule intégrer à son décalogue une fin de période de distillation. Si le cahier des charges prévoit ainsi en son sein  que « la distillation doit être achevée au plus tard le 31 mars de l’année qui suit la récolte », seule une modification temporaire à la charte de l’appellation permettrait d’y déroger, nécessitant pour cela, de passer par la case UE ! En effet, les fiches techniques des IG de boissons spiritueuses – dont le cognac fait partie – sont analysées, dans le cadre de leur révision, sous le prisme d’une distinction entre les modifications dites « de l’Union » (soit des modifications majeures), ou celle dites « standards » (soit des modifications mineures). Tandis que les premières sont instruites et validées par la Commission européenne, les secondes, relèvent quant à elles du seul de l’Etat Membre, simplement notifiées a posteriori. Quid dans ce cadre de la catégorisation de cette dérogation temporaire qui sera la première étape à franchir avant même d’avoir la possibilité de se questionner sur la légitimité de la demande de dérogation ? Et c’est sans compter que cette dernière devra, elle-aussi, être analysée au regard de motifs figurant, là encore, dans la réglementation européenne… Pas simple…

Si « l’adoption par les pouvoirs publics de mesures sanitaires et phytosanitaires obligatoires ou d’une modification liée à des catastrophes naturelles ou à de mauvaises conditions météorologiques formellement reconnues par les autorités compétentes » sont de nature à être considérés comme des motifs justifiant une modification temporaire et standard, alors gérée au sein de l’Etat membre, encore faut-il pouvoir entrer aujourd’hui dans l’une de ces cases. La prudence est donc de mise du côté des institutions, attendant d’être au plus près de la date de fin de dépôt des déclarations de récolte et du résultat net des volumes à passer en chaudière pour officiellement – ou non – pousser cette demande.  Dans l’attente c’est le collectif, au sein de l’écosystème local qui doit jouer, comme souvent !

« Pas de passagers, mais juste un équipage. »

Quoi de mieux qu’une métaphore rugbystique, sport incarnant par excellence le collectif, pour illustrer la dynamique collective attendue de tous les acteurs de la filière : viticulteurs, négociants, bouilleurs de profession, courtiers, marchands en gros, partenaires financiers, etc. s’agissant de la récolte 2023. Si le mot d’ordre est depuis le départ de gérer les volumes exclusivement en local pour éviter les affres du passé – comme en 2009 ou plus d’un million d’hl de vins avaient été fléchés sur près de 4000 ha affectés aux autres débouchés et avaient alors déstabilisés d’autres bassins de production – matérialisé avec un vif encouragement, entendu par les viticulteurs,  à constituer de la réserve climatique ou à envoyer ses excédents aux jus de raisin, la bataille n’est pas encore terminée. En effet et si les instances ont largement encouragé la reconstitution des stocks de réserve climatique cette année, ces derniers ont été suivis dans leur demande et les perspectives, établies au départ à 250 K hl AP, pourraient être bien supérieures. Pourraient, oui, si les volumes sont bien distillés en temps et en heure ! Si les distillateurs de profession s’organisent pour collectivement pour optimiser leur capacités de production (sans que ce soit le retour des kolkozes), cela ne sera pas suffisant.

Certains, craignant et anticipant déjà une fin de non-recevoir, optent pour un troisième tour des vins permettant de fonctionner sur trois cycles de huit heures chacun plutôt qu’avec deux cycles de 12 heures, en préchauffant les vins plus forts et en augmentant les pressions au moment du coulage, cette pratique admise par le cahier des charges de l’appellation pose à la fois des questions d’ordre logistique (cuverie pour stockage des brouillis) et énergétiques (consommation d’eau, de gaz et d’électricité).  

Rendez-vous est pris début décembre pour un point de situation. Côté instances, on assure aujourd’hui que tous les volumes passeront ou devront passer. Nécessité fait loi.

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