Grande figure régionale, le docteur Noël s’est éteint à l’âge de 90 ans. Victime d’un accident cérébral il y a quelques années, il aura connu une fin de vie douloureuse, qui ne lui ressemblait pas, lui, l’homme énergique et de conviction. Issu d’une vieille famille de Lorignac, village viticole du bord de l’estuaire de la Gironde, il tenait sa propriété de son grand-père. Son père, ingénieur agronome, disparaît lors de la Grande Guerre. Elevé par sa mère, P.-J. Noël fera ses études secondaires au lycée de Blaye avant d’intégrer la faculté de médecine de Bordeaux. Médecin, le docteur Noël le restera toute sa vie et qui plus est, un grand médecin, au diagnostic rapide et sûr. Son fils a pris sa relève à Lorignac. C’est en 1953 que le docteur Noël intègre la FVC, à l’époque seule Fédération de syndicats viticoles de la région délimitée, fondée en 1908, en pleine crise viticole, par Pierre Verneuil et quelques autres. D’abord membre du conseil d’administration, vice-président en 1958 puis vice-président délégué en 1965, il est porté à la tête de la Fédération des viticulteurs charentais en juillet 1967 où il succède à Jacques Verneuil. Pierre-Jean Noël y côtoie les hommes de sa génération : Pierre Maxime, André Bégouin, André Chaigne, François Roy, Jacques Hériard-Dubreuil, Paul Hosteing, Jean-Noël Rivière, Jean Vincent Coussié… En pleine période d’émergence des syndicats de crus et de « tiraillements syndicaux », le docteur Noël incarne une « troisième voie ». Il est élu président de la FVC non pas au titre du Syndicat viticole de Charente-Maritime ni de la Fédération des coopératives, mais au titre du Syndicat des vignerons, le syndicat refuge créé tout spécialement pour accueillir les syndicats de crus ayant fait dissidence mais souhaitant garder un pied à la Fédération des viticulteurs charentais, comme le Syndicat de cru Fins Bois Charente. Porte-parole naturel de la viticulture de Charente-Maritime, le docteur Noël n’appartient pas à la famille des syndicalistes purs et durs. Les représentants viticoles qui l’ont connu témoignent de la place qu’il occupait – « Son rôle était ailleurs, dans la recherche d’une synthèse entre les besoins de la viticulture et les besoins du négoce ». Un compagnon de route témoigne pour sa part : « Nous étions viticulteurs et nous défendions les viticulteurs, tout en sachant que nous avions en face de nous des personnes – les négociants – qui avaient leurs problèmes et avec qui nous essayons de discuter, très correctement. » Esprit brillant, doté d’une pensée « censée, profonde et simple à comprendre », fin négociateur, Pierre-Jean Noël s’intéresse aux mécanismes économiques du Cognac. Numéro après numéro, ses éditoriaux du Vrai Cognac débordent de chiffres, de statistiques, d’analyses. Ses contacts personnels dépassent de loin la sphère viticole et professionnelle. Il s’entretient souvent avec Maurice Hennessy qui partage comme lui la passion du cheval. « Ces relations privilégiées lui permettaient de savoir jusqu’où aller trop loin » se souvient un comparse. La grande époque du docteur Noël se situe au tournant des années 60-70. A l’époque, la viticulture vit une drôle de situation. Les ventes augmentent vite – elles doubleront pratiquement en dix ans – mais l’inflation court encore plus vite – 3 % l’an – rongeant le revenu de viticulteurs soumis à la stagnation des prix (progression de seulement 10 % de 1960 à 1967). Les journées de la Sares, organisées en 1966, concluent à la nécessité d’accroître le potentiel de production. Les représentants viticoles y souscrivent, pour alimenter le marché « et ne pas faire preuve de malthusianisme comme les Champenois ». Ils y mettent cependant une condition : que le négoce revoit ses prix à la hausse. En 1970, à l’initiative du docteur Noël, mais aussi de François Roy, président de la commission « économie viticole » du BNIC, une cote interprofessionnelle est mise en place. Cette cote des vins et eaux-de-vie, issue d’un accord entre la viticulture et le négoce, repose sur l’application automatique de critères qui se veulent indiscutables, faisant appel à des indices économiques comme le PINEA (produits industriels pour les exploitations agricoles). Le docteur Noël est l’homme de cet accord qui, soit dit en passant, préfigure exactement le mode de calcul actuel de la QNV. L’arrivée en production des 20 000 ha de vignes, concomitante à l’augmentation des rendements et à la crise des ventes de 1975, balayera la cote interprofessionnelle, par ailleurs laminée par les arrêts Clair et Aubert. Dans les années 76-77, le docteur Noël occupe le poste de chef de famille de la viticulture à côté de son homologue Gérald de Geoffre. C’est la grande époque des assemblée plénières présidées par le commissaire du Gouvernement Jean Moulias, avec interruptions de séance, déclarations solennelles, manifestations du MODEF et cordon de sécurité des CRS devant l’hôtel de ville de Cognac. En 1981, Jacques Bégouin remplace P.-J. Noël à la tête de la FVC, présidée à partir de 1985, après le décès accidentel de J. Bégouin, par Marie-Paule Arvoire. De 1968 à 1992, le docteur Noël présidera successivement Sofidec et Sideco, sociétés d’intervention nées de l’engagement du négoce, dans les années 70, de prélever les excédents et de les stocker en contrats de bonne fin. Pierre-Jean Noël sera également P-DG d’ORECO de 1976 à 1991. En 1971, le docteur Noël avait reçu du ministre Jean de Lipkowski les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
Homme « de caractères » (au pluriel), le docteur Noël laisse le souvenir d’un personnage hors du commun, grand serviteur de la cause du Cognac pour laquelle, comme plusieurs hommes de sa génération, il se sentait investi d’un devoir.
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