Si ce n’est déjà fait, c’est imminent : les dix salariés (dont le bureau d’étude) qui occupaient les bureaux des Bouchages Delage à Cognac déménagent. Ils rejoignent leurs collègues sur le site industriel de Gensac-la- Pallue, en bordure de la RN 141. Un site dont les travaux de rénovation, démarrés en 2011, se sont achevés cet été. Après le rachat en 2009 des chais « dit Augier » (Martell), la société Delage a en effet investi dans un vaste programme de réhabilitation, consistant à rattacher les chais Augier à ses propres bâtiments. Effet collatéral : des espaces de travail se libèrent à Cognac.
Qu’on soit clair ! Christian Delage ne veut pas laisser à penser qu’il a un quelconque intérêt personnel dans l’affaire. Comme tout le monde ou presque, son entreprise de fabrication de bouchons pour les spiritueux est certifiée ISO 14001 (une certification liée à l’environnement). Pourtant il ne souhaite pas se donner l’air de « laver plus blanc que blanc ». Ni passer pour un donneur de leçon. Simplement, il trouve un peu ridicule de voir partir vers une décharge (contrôlée) ses déchets non recyclables alors qu’ils pourraient servir à autre chose. Par exemple, devenir une énergie de substitution pour une industrie lourde comme la cimenterie.
Des déchets composites
Mais précisons d’abord ce que sont les DIB ou Déchets industriels banals (eh oui, on dit banals et pas banaux). Ce sont les déchets qui, par leur nature, ne peuvent pas être recyclés dans les filières classiques – verre, carton, plastique, textile… – mais qui ne sont pas non plus dangereux pour la santé. Ainsi, l’incinération contrôlée n’est pas pour eux. En fait, il s’agit souvent de déchets compo-sites mariant plusieurs types de matériaux : toiles enduites chez Aérazur Cognac, liège aggloméré à d’autres composants (plastique, métal) chez les Bouchages Delage…
Aujourd’hui, la solution proposée par Veolia et autres spécialistes de la gestion des déchets consiste à l’enfouissement des DIB dans des sites agréés : en Haute-Vienne, à Clérac en Charente-Maritime. Cet exutoire a un coût pour les entreprises : 12 cents par kg. Mais, surtout, les matériaux vont demeurer intacts dans le sol pendant des centaines et des centaines d’années. Un mauvais point pour la planète. Ne pourrait-on pas trouver une autre issue ? Se présente alors la piste des CMS ou Combustibles et matériaux de substitution.
Combustible pour les cimenteries
Un process technique existe, qui consiste à broyer, à l’aide de grosses machines, les DIB. Pour s’en servir ensuite de combustibles dans les fours des cimenteries par exemple, en remplacement du pétrole. Chaque année, l’Allemagne met en œuvre 2 millions de tonnes de CMS. La France s’avère beaucoup plus timide sur la question. Son score annuel ne dépasserait pas les 100 000 tonnes. Malgré tout, la filière existe. A Mérignac, le groupe Pena, spécialisé dans le recyclage, possède l’équipement ad hoc pour transformer les DIB en combustibles. Et les cimenteries ne sont pas fermées à l’idée, bien au contraire. Chez elles, la facture énergétique représente environ la moitié de leurs coûts. Ainsi, tout ce qui diminue leur dépendance au pétrole est bon à prendre.
Il y a deux ans, Christian Delage convainc la Chambre de commerce de Cognac de réaliser une petite étude de marché sur les DIB. Un jeune stagiaire est mis sur le sujet. L’idée ! Sonder les entreprises du bassin, évaluer leurs « gisements » en Déchets industriels banals, pour voir si, oui ou non, la piste des CMS serait envisageable. Car de telles initiatives ne s’improvisent pas. Disposer d’une collecte minimale de + ou – 1 000 tonnes par an : c’est par exemple la condition sine qua non émise par la cimenterie Lafarge, de La Couronne, pour investir dans la filière CMS.
Les entreprises de Cognac sollicitées
Pour son étude, le jeune stagiaire de la CCI de Cognac va rencontrer environ 25 entreprises sur les 50 contactées. Au vu des retours, l’étude se révèle très concluante. Sur le Grand Cognac, le potentiel existe bel et bien. Il n’est pas rare que les entreprises génèrent 50 tonnes de DIB par an (5 tonnes par mois). Pour autant ce potentiel est-il disponible ? Non bien sûr. Au préa-lable, il faudrait sensibiliser les sociétés à l’intérêt de la filière CMS.
C’est l’esprit de la « communication » entreprise par Christian Delage aujourd’hui. « Avec les CMS, dit-il, nous serions sans doute à un coût de collecte équivalent à celui de l’enfouissement mais nous aurions la satisfaction de voir nos DIB servir de combustible alternatif, plutôt que de finir dans une décharge. »
Pour illustrer le message, un essai « grandeur nature » a été réalisé en 2014 sur quelques bennes livrées à Pena puis aux cimenteries Lafarge. Avec succès au niveau du process industriel. Mieux ! De nouvelles perspectives s’ouvrent. La déchetterie Sita (Suez), située zone de la Braconne, à Mornac, envisage de délocaliser une unité de transformation des DIB à Nersac. Et quand on sait le poids des frais de transport dans ce type d’approche.
Reste à donner envie aux chefs d’entreprise de modifier leurs pratiques en matière de gestion des déchets. Un sérieux challenge mais qui ne demande qu’à être relevé. C’est en tout cas la conviction de Christian Delage.
DIB : déchets industriels banals.
CMS : combustibles et matériaux de substitution.