M. Jacques Noblet est un bouilleur de cru qui essaie depuis de nombreuses années de mettre en œuvre une approche globale pour maîtriser la qualité de ses vins de distillation. Sa réflexion concerne bien sûr l’organisation du chantier de récolte, des vinifications mais aussi la conduite du vignoble. Le fait que ce viticulteur distille toute sa production sur la propriété est indéniablement un élément de motivation supplémentaire et la mise en chaudière de vins de parfaite qualité. Le vignoble, d’une trentaine d’hectares de cette exploitation située à Bonneuil, est implanté pour une bonne part sur des coteaux bien exposés. La nature des sols, des terres de champagne de profondeur variable, permet à la vigne d’exprimer toutes ses potentialités dans la mesure où l’entretien des sols est modulé selon la climatologie de l’année. Cette année, ce viticulteur avait bien apprécié le manque de pluie depuis le début du printemps et il n’a pas hésité à raisonner ses pratiques culturales selon les niveaux de réserves hydriques des grands îlots de parcelles. Les plantations de sommet de coteaux ont été cultivées et désherbées une allée sur deux ; les parcelles plus basses ont été enherbées et cultivées une allée sur deux et dans l’îlot le plus séchant, un travail du sol superficiel a été réalisé en plein durant tout le cycle végétatif. Ces efforts de gestion spécifique de l’entretien des sols se sont révélés payants puisque début septembre, même les plus sensibles à la sécheresse n’extériorisaient pas de symptômes de stress hydrique. La vendange a mûri d’une façon progressive et les raisins avaient atteint sur les souches une certaine homogénéité dès le 10 sep-tembre.
Un chantier de récolte démarrant tÔt le matin
M. J. Noblet avait bien pris la mesure de la précocité de l’année et sa connaissance de la difficulté à conserver des vins de plus de 11 % vol. (sur toutes leurs lies) et à ensuite les distiller l’a incité à démarrer la vendangeuse dès le 15 septembre. L’une de ses principales inquiétudes dès le départ a été les très fortes chaleurs durant les après-midi de vendange qui pouvaient gêner ultérieurement le déroulement des fermentations alcooliques. Il se sentait un peu désarmé devant cette situation car il ne disposait d’aucun moyen technologique pour refroidir les moûts en sortie de pressurage et même ensuite en cours de fermentation.
Le seul moyen de limiter les conséquences de ces fortes chaleurs était justement de ne pas vendanger durant les périodes les plus chaudes de la journée
La vendangeuse et le matériel de pressurage sont utilisés en commun sur deux propriétés qui représentent ensemble une surface de 50 hectares. Le fait de pouvoir gérer sans contrainte le fonctionnement de l’ensemble récolte et pressurage a permis d’adapter les horaires de travail pour rentrer de la vendange beaucoup plus tempérée. La MAV commençait sa journée de travail à 5 heures du matin et la dernière benne arrivait au chai vers 14 heures.
Une gestion « tempérée » et simultanée du remplissage de plusieurs cuves
Le pressoir mobile de 70 hl permettait de traiter 350 hl par jour et ce volume était réparti sur plusieurs cuves afin de maîtriser la température moyenne des moûts de chaque citerne. Cette astuce permettait de tempérer naturellement les moûts issus des lots de vendange récoltés vers 13-14 heures (à une température de 24 à 25 °C les journées les plus chaudes) par ceux rentrés en chai à 5 heures du matin (qui se situait autour de 14 °C). Cette pratique pour équilibrer les températures des cuves au moment de leur remplissage n’est pas toujours évidente à maîtriser quand les écarts de rendement en début et en fin de journée varient fortement. Par ailleurs, sur cette exploitation la plupart des cuves ont des contenances qui ne dépassent pas 200 hl (deux seules citernes extérieures de 400 hl). Le déroulement de la fermentation alcoolique dans des contenants de capacité moyenne est moins propice à de fortes élévations de température. Cette série d’actes indirects à caractère préventif a permis à la fermentation alcoolique de se dérouler sans incident, même si les niveaux de température ont atteint des seuils limites. Les analyses de fin de fermentation (sucre résiduel, acidité volatile et FML) ont confirmé que les levures avaient supporté la chaleur.
Des pratiques œnologiques préventives en phase avec les enjeux qualitatifs de l’année
M. J. Noblet est aussi attentif à une série d’autres éléments qui contribuent de manière directe ou indirecte à la protection d’une population de levures actives. Le maintien d’une parfaite hygiène dans le chai est une préoccupation de tous les instants sur cette exploitation. L’ensemble des équipements en contact avec la vendange ou les moûts est lavé avec un grand soin (même un tuyau utilisé occasionnellement est immédiatement rincé). Tout le matériel, la vendangeuse, les bennes à pompes, les pressoirs, les cuves de décantation, les tuyaux et les pompes sont lavés à grande eau tous les jours et le chai est entretenu propre tout au long de l’année. La réalisation des décantations sur les trois quarts des volumes (avec un soutirage qui intervient au bout de deux heures après le remplissage de la cuve) a aussi permis d’avoir un déroulement des fermentations moins tumultueux. Ce viticulteur a observé que les moûts décantés avaient eu un déroulement fermentaire plus doux avec beaucoup moins d’écumes en surface. La perspective d’une forte maturité l’a aussi conduit à apporter de l’azote de manière systématique et à pratiquer un levurage direct de l’ensemble des cuves. Avec le recul, ces deux éléments ont sûrement joué un rôle important dans la capacité des levures à transformer les sucres malgré des niveaux de température élevés. M. J. Noblet prend aussi le temps de suivre ses vins pendant les vendanges et cette année, ce travail s’est avéré très important vis-à-vis de l’organisation du chantier de récolte et de la gestion du remplissage des cuves. Chaque matin une bonne heure de travail était nécessaire pour relever les densités, les températures, déguster les moûts et regarder de près le déroulement des fermentations de chaque cuve.
Toutes ces précautions sont déterminantes vis-à-vis de la qualité finale des productions de l’exploitation. Néanmoins, ce bouilleur de cru, qui a bien maîtrisé ses vinifications 2003, réfléchit à la mise en place d’un équipement de maîtrise thermique et ses propos sur ce sujet sont lucides : « Cela fait plusieurs années que je m’intéressais à la maîtrise en vinification et le millésime 2003 ne fait que conforter ma réflexion. L’élément de blocage, c’est bien sûr le niveau d’investissement élevé pour vinifier 3 000 hl de vins de distillation. »
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