Des plants de vignes « conçus » pour l’entreplantation

23 décembre 2008

plants_surdim.jpgLa probable recrudescence des maladies du bois dans les années à venir risque d’obliger les viticulteurs à pratiquer de manière plus systématique l’entreplantation afin de pallier un niveau de mortalité des souches plus important. Le remplacement des ceps manquants dans une vigne en place nécessite beaucoup de travail lors de la phase proprement dite d’entreplantation, mais aussi par la suite pour entretenir le jeune plant de vigne jusqu’à son établissement. L’utilisation d’accessoires comme les caches protecteurs avait déjà permis de contourner les contraintes liées au désherbage et de simplifier les opérations d’attachage. Actuellement, certains pépiniéristes ont poussé la réflexion plus loin et ils proposent carrément des plants de vigne « surdimensionnés » conçus spécifiquement pour faciliter les entreplantations.

Des plants surdimensionnés de Merlot en 4e feuille.

L’entreplantation est une intervention d’entretien du vignoble qui présente plein d’avantages dans la théorie mais qui, dans la pratique, ne séduit pas tous les viticulteurs. Certains producteurs considèrent que c’est une opération éminemment rentable car cela permet de maintenir le potentiel de souches dans les parcelles et d’en prolonger la longévité technique et économique. D’autres pensent que les coûts nécessaires à l’entretien des jeunes plants pendant les trois premières années sont trop importants et par ailleurs ces travaux sont difficiles à intégrer dans l’approche globale d’entretien des vignes en place. Néanmoins, l’arrêt des traitements à l’arsénite de soude risque d’augmenter de manière très significative le taux de mortalité des ceps et certaines exploitations risquent effectivement de voir baisser leur niveau de productivité et la qualité de leur production.
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En effet, il ressortait des enquêtes esca-eutypiose réalisées au début des années 90, une proportion de ceps manquants proche de 10 à 15 % et un niveau d’expression de symptômes des maladies du bois sur 20 à 30 % des souches des parcelles. Il n’est sûrement pas illusoire de penser que d’ici trois à quatre ans, un bon nombre de parcelles d’Ugni blanc, de Cabernet franc et Sauvignon, de Sémillon et de Sauvignon blanc pourraient perdre 10 à 15 % de souches supplémentaires, ce qui risque de remettre en cause à court terme leur rentabilité.

L’entreplantation avec des plants traditionnels nécessite de l’entretien

Le remplacement des pieds manquants est techniquement une opération tout à fait intéressante mais dans la pratique c’est souvent une opération un peu « impopulaire ». Et pourtant, il faut bien prendre conscience que cela risque peut-être de devenir le premier moyen de lutte contre l’esca, le BDA et l’eutypiose. Un régisseur d’une grosse exploitation viticole en Charente nous expliquait qu’il constatait que la réussite de l’entreplantation était directement liée au degré de motivation de la personne qui met en terre les plants. Quand les ouvriers viticoles s’investissent dans cette opération, et notamment dans l’entretien des jeunes plants, le niveau de reprise est tout à fait surprenant. Par contre, les résultats peuvent être aussi assez catastrophiques quand, durant le printemps et l’été, « on oublie » les jeunes plants dans les parcelles. A l’échelle d’une petite structure d’exploitation, il est sûrement plus facile de se dégager du temps pour parcourir les parcelles deux à trois fois durant chaque été pour entretenir les jeunes plants. Les réalisations de l’épamprage, des binages, de l’attachage et de la formation des jeunes plants sont des interventions manuelles indispensables à la réussite de l’installation du plant qui peuvent difficilement être associées aux travaux courant d’entretien des vignes adultes.

La conduite des vignes adultes est de plus en plus mécanisée et certaines opérations comme le palissage, l’épamprage, autrefois réalisées manuellement, sont soit mécanisées ou soit effectuées dans le cadre d’organisation de chantier de travaux rationnelle où l’entretien des jeunes plants est de plus en plus difficile à intégrer. L’entretien des sols s’est aussi considérablement simplifié et la plupart des vignes sont actuellement désherbées sous le rang. L’entreplantation nécessite parfois une adaptation des programmes de désherbage et l’utilisation de cache protecteur au niveau des plants, ce qui ne facilite pas toujours ensuite les égourmandages en vert et la taille hivernale. La réalisation des protections phytosanitaires des jeunes plants pose aussi de véritables problèmes en pleine saison, du fait de la localisation du flux de pulvérisation vers les parties supérieures du palissage.

Bien maÎtriser les conditions de mise en terre des plants

Les pépiniéristes comme les viticulteurs semblent unanimes pour dire que la réussite de l’entreplantation est aussi fortement dépendante des conditions de mise en terre des jeunes plants. La notion de préparation du sol, et notamment d’extraction des souches, et de leurs grosses racines doit être correctement effectuée. L’utilisation de tarières hydrauliques déportées facilite grandement ces opérations. Il est aussi parfois nécessaire de désinfecter le trou de plantation dans les parcelles infectées de pourridié. L’emploi localisé d’Esaco est une démarche qui donne satisfaction puisque le produit a été homologué. L’apport d’un peu de fumure organique avant de mettre en terre les plants peut aussi constituer une sage précaution pour minimiser les effets de concurrence alimentaire du système racinaire des souches adjacentes.

L’époque de réalisation des entreplantations semble aussi jouer un rôle important au niveau du taux de reprise. Les entreplantations réalisées avant le début mars donnent de bien meilleurs résultats que celles réalisées fin mars ou dans le courant du mois d’avril. Il faut laisser le temps aux racines des plants de bien se tasser naturellement par l’alternance de périodes pluvieuse, froide et plus douce. Une mise en terre tardive est plus propice à l’apparition de phénomènes de compaction qui sont en mesure de gêner le développement racinaire. Les pépiniéristes proposent diverses solutions pour optimiser le taux de réussite des entreplantations et ensuite faciliter l’établissement des jeunes plants. L’apparition des caches protecteurs de désherbage a constitué, il y a une dizaine d’années, la première évolution importante. Certains pépiniéristes se sont mis à commercialiser des plants en containers de deux litres parfois livrés avec des caches protecteurs, ce qui facilite à la fois la mise en terre et ensuite toutes les opérations du tuteurage.

Des plants surdimensionnés facilitent considérablement l’entretien des jeunes plants dans les vignes adultes

Le souci de rationaliser les travaux d’entreplantation a amené les Pépinières Bugnet à Castillon-la-Bataille, en Gironde, à développer une approche de production de plants spécifiques. C’est à la demande de plusieurs de ses clients que M. Jean-Pierre Bugnet a décidé de créer un plant de vigne dit « surdimensionné » ou grand plant dont l’entretien et l’établissement sont considérablement facilités dans les vignes adultes. Pendant quelques années, ce pépiniériste a expérimenté diverses possibilités pour essayer de trouver le meilleur compromis technique, et la commercialisation systématique des plants surdimensionnés n’a commencé que depuis 5 à 6 ans.

Le principal avantage des plants surdimensionné réside dans le fait que le développement végétatif se gère sans contraintes particulières par rapport à celui des souches adultes. Le plant surdimensionné possède une longueur de porte-greffe de 65 à 70 cm (au lieu de 27 cm habituellement pour les plants standards), ce qui permet d’avoir la zone de greffage à environ 40 cm au-dessus le niveau du sol et aussi juste en dessous le premier fil porteur du palissage. Les Pépinières Bugnet ont fait breveter leur démarche de production et en Gironde, bon nombre de domaines viticoles ont « redécouvert » l’intérêt de l’entreplantation par le biais des plants surdimensionnés. La filière de production des plants surdimensionnés diffère de manière assez significative de celle des greffés soudés traditionnels.

Un tronc droit et solide « fabriqué » dès la mise en terre

dev_plan.jpgLe principal avantage des plants surdimensionnés réside dans le fait que le tronc des ceps se trouve donc « fabriqué » dès la mise en terre des plants. Cela facilite ensuite considérablement la réalisation de tous les travaux d’établissement des souches au niveau du fil porteur. Le plant n’a plus besoin d’être monté au fil et la phase de formation est considérablement simplifiée. Des tuteurs sont indispensables au bon maintien des plants pendant les deux premières années et par la suite les troncs des ceps entreplantés sont souvent plus droits que ceux du reste des parcelles. La situation du greffon à une hauteur de 45 à 50 cm permet très facilement d’utiliser les fils de palissage pour tuteurer les jeunes plants, ce qui supprime toutes les interventions d’attachage et de montée au fil. Il n’est plus nécessaire non plus d’utiliser des caches protecteurs pour le désherbage (souvent difficiles à enlever et à positionner), et le désherbage de l’interligne des rangs peut-être réalisé sans contraintes. Cela peut permettre d’envisager de gérer les programmes de traitements uniquement avec des produits foliaires sans aucunes contraintes.

Pour les viticulteurs bio, la taille des jeunes plants facilite les interventions mécaniques au début du printemps. Les grands plants attirent beaucoup moins les escargots que les plants traditionnels du fait de la situation de la végétation bien au-dessus le niveau des herbes et de l’absence des manchons de désherbage. Les jeunes pousses des plants sont naturellement protégées du développement des mauvaises herbes au printemps et elles sont beaucoup moins sensibles aux dégâts des lièvres et des lapins.  

Un surcoût d’investissement compensé par une facilité d’entretien des jeunes plants

Une des limites techniques des plants surdimensionnés concerne bien sûr la sensibilité au gel d’hiver des jeunes plants lorsque le thermomètre descend aux alentours de -12 à -15 °C. C’est tout de même un risque à prendre en compte car les plants sont plus sensibles au froid (au niveau du bourrelet de greffage) durant les trois ou quatre premières années qui suivent leur plantation. Il faut se rappeler que durant les hivers 1985 et 1987, des niveaux de températures bien inférieurs à -12 °C avaient localement occasionné quelques dégâts dans les plantations (par éclatement des bourrelets de greffage). Il arrive aussi avec certains porte-greffes comme le SO4 et Riparia, que le diamètre faible des porte-greffes rende plus fragile le tronc des souches. Un tuteurage parfaitement maîtrisé doit tout de même permettre de limiter ce risque. L’autre handicap des plants surdimensionnés est bien sûr leur coût car, d’une part, leur culture en pépinière est plus complexe à mettre en œuvre et, d’autre part, des longueurs de porte-greffe de 65 cm renchérissent le prix final du plant.

La conduite des plants en pépinière nécessite la mise en place d’un palissage pour obtenir des plants parfaitement droits et rigides, et les greffés soudés sont maintenus par des fils releveurs agrafés sur deux niveaux, juste en dessous la zone de greffage et un peu plus haut pour bien contenir la végétation. La prise en considération de tous ces éléments a amené les frères Bugnet à commercialiser les plants surdimensionnés sur la base deux fois le prix de base du plant traditionnel, soit environ 15,60 F pour des cépages Merlot et Cabernet. Ces niveaux de prix peuvent paraître prohibitifs mais en fait les 6 à 7 F de surcoût correspondent à environ 8-10 minutes de main-d’œuvre salariée nécessaire à l’entretien des plants. M. J.-P. Bugnet considère que l’économie de temps réalisée au niveau de l’entretien des plants durant les trois années d’établissement dépasse très largement les 6 à 7 F d’investissement supplémentaires de départ.

Des plantations réalisées avec des plants surdimensionnés dans le Bordelais

Depuis trois ans, la demande de grands plants est en constante évolution dans le Bordelais et la production 2001 des Pépinières Bugnet de 70 000 grands plants s’avère nettement insuffisante. Il faut savoir que d’autres régions viticoles s’intéressent à ce type de plant dans l’optique des entreplantations mais également pour des plantations nouvelles. En Alsace et en Allemagne, les producteurs réalisent désormais des plantations avec des grands plants, compte tenu des économies de main-d’œuvre que cela génère par la suite durant les trois années d’établissement des souches. M. Henri Verhaeghe, du domaine Vigouroux à Massuguas en Gironde, utilise depuis cinq ans des plants surdimensionnés et son expérience est très intéressante.

La première année, ce viticulteur a réalisé des entreplantations sans être réellement convaincu, mais à la fin de l’été il avait pris conscience des avantages du système. L’utilisation de plants surdimensionnés permet de gérer l’entretien du sol, et notamment le désherbage, d’une manière beaucoup plus souple. L’autre principal avantage se situe aussi au niveau de l’épamprage qui est inexistant sur toute la partie du tronc en dessous le bourrelet de greffage. Avec des cépages comme le Merlot ou le Cabernet, le gain de temps au niveau de l’épamprage compense les surcoûts de l’investissement au niveau des plants. M. H. Verhaeghe a aussi observé que les plants surdimensionnés avaient une vigueur supérieure aux autres dans la mesure bien sûr où la plantation est réalisée dans de bonnes conditions. Tous ces avantages ont amené ce producteur à réaliser 6 hectares de plantations nouvelles depuis 4 ans. L’entretien des jeunes plants est grandement facilité par le positionnement dès la première feuille de la végétation à 15 à 20 cm en dessous le fil porteur. Le surcoût d’investissements de 20 000 F HT/ha (pour environ 3 000 pieds) est rapidement compensé par les économies de main-d’œuvre durant les années d’établissement des souches.

Cinq années de recul en entreplantation sur une exploitation de Charente-Maritime

5_ans_apres.jpgEn Charentes, plusieurs pépiniéristes produisent de petites quantités de grands plants pour répondre à la demande de viticulteurs qui sont aussi de fervents promoteurs de l’entreplantation. M. Pierre Proud, le chef de culture du vignoble de M. Bernard Gain à Mons, en Charente-Maritime, a tout de suite été séduit par ces plants géants lorsque M. Bellebeau, de Sonnac, son pépiniériste, lui a parlé de ce produit. L’exploitation située au cœur du pays bas est assez touchée par l’eutypiose et dans les parcelles âgées de 20 à 30 ans, M. P. Proud pratique l’entreplantation depuis de nombreuses années. C’est un moyen de maintenir en état le potentiel des souches et d’éviter d’arracher prématurément des parcelles dont la productivité baisserait de manière significative.

Chaque année, 1 200 à 1 500 greffés soudés sont entreplantés sur cette exploitation. L’installation des ceps entre 0,70 m et 1 m de hauteur, qui constitue une sage protection vis-à-vis des gelées de printemps dans cette zone, a par contre l’inconvénient de compliquer le travail d’établissement des greffés soudés traditionnels. Par ailleurs, la pratique du désherbage sous le rang rendait indispensable l’utilisation des caches protecteurs (en l’occurrence de poche de désherbage) pour éviter les projections d’herbicides sur les jeunes pousses. Ces accessoires sont efficaces mais leur pose et leurs diverses manipulations au cours des opérations de taille ne sont pas toujours faciles à réaliser. Par ailleurs, les caches protecteurs ont tendance au printemps à accentuer l’intensité du gel, et en été de fortes chaleurs peuvent provoquer des phénomènes de grillure sur une végétation tendre.

pierre_proud.jpgL’utilisation des grands plants permet de gérer le désherbage d’une manière beaucoup plus souple, ainsi que l’application des herbicides et le raisonnement des calendriers de traitements. L’établissement des souches s’avère également grandement facilité car, dès la première pousse, la végétation se trouve à proximité du fil porteur et en deuxième feuille les sarments se palissent naturellement avec le reste de la végétation. Cela fait maintenant 5 ans que les entreplantations sont effectuées avec des plants surdimensionnés et M. P. Proud considère que cela a permis de simplifier considérablement tous les travaux d’entretien (surtout la gestion du désherbage) et d’établissement des jeunes plants. Par contre, ce chef de culture ne cache pas non plus que la préparation du sol en vue de l’entreplantation joue un rôle déterminant sur le taux de réussite final. Sur cette exploitation, les souches sont arrachées dans le courant de l’été précédent l’entreplantation et l’utilisation d’une tarière pivotante permet d’explorer le sol en profondeur. La plantation intervient dans une terre, en général, bien ameublie à la fin novembre ou courant décembre. Les plantations plus tardives de mars ou d’avril donnent de moins bons résultats. Lors de la plantation, le grand plant est solidement attaché au marquant avec deux liens en nylon souple et le tuteur reste dans la parcelle jusqu’à la quatrième feuille.

Bibliographie :

– Pépinières Bugnet à Castillon-la-Bataille en Gironde.

– M. Robert Bellebeau à Sonnac.

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