Des eaux-de-vie 2013 très moyennes : Interview d’Olivier Paultes et Jean-Pierre Vidal

22 avril 2014

Le millésime 2013 aura causé beaucoup de soucis aux viticulteurs durant le cycle végétatif et lors des vinifications. La récolte, plutôt tardive, a été moyenne en volume et en qualité. La structure qualitative des vins très hétérogène a rendu la conduite de la distillation complexe et les distillateurs ont dû faire preuve de savoir-faire. Olivier Paultes, le directeur des distilleries et de la communication savoir-faire eaux-de-vie de la maison Hennessy et Jean-Pierre Vidal, le responsable des distilleries, considèrent que, cette année, la conduite de la distillation nécessitait beaucoup de réactivité pour révéler le potentiel aromatique. La typicité et l’élégance recherchées par la maison Hennessy sont bien présentes dans un certain nombre d’échantillons qui ont, pour leur grande majorité, un point commun : des vins sains bien vinifiés.

 

 

p8.jpgQuelle analyse portez-vous sur la qualité des eaux-de-vie 2013 ?

Le millésime 2013 n’a pas été simple du premier au dernier jour du cycle végétatif et les raisins n’ont pas eu des conditions de maturation idéales. L’impact des conditions d’entretien du vignoble et des effets sols et terroirs ont été, cette année, plus perceptibles. Aussitôt les vendanges, nous étions assez inquiets mais les premières dégustations nous ont plutôt rassurés. 2013 n’est pas un millésime de forte expression aromatique et, globalement, les eaux-de-vie sont très moyennes. Deux éléments ont eu une influence majeure sur la qualité finale : le mauvais équilibre sucres/acidités des raisins au moment de la récolte et un état sanitaire de la vendange souvent dégradé. Le climat de septembre et d’octobre n’a pas été de la partie, ce qui a engendré un mauvais équilibre de maturité des raisins (généralement très acides et peu riches en sucres) et un développement rapide du botrytis. Cela fait plus de 10 ans que l’on n’avait pas récolté des vins de 7 % vol. L’abondance des pluies a aussi favorisé le développement du botrytis en fin de saison, qui était présent dans la plupart des parcelles. La dégustation de certains échantillons révélait des notes de moisi caractéristiques de la présence d’attaques sérieuses de pourriture.

Les défauts liés à la présence du botrytis et à la sous-maturité ont-ils été les plus fréquents ?

Ce sont effectivement les deux défauts que l’on a rencontrés le plus souvent. Néanmoins, en début de campagne de distillation, nous pensions être confrontés à plus de problèmes. Les notes de verdeur et d’amertume liées à la sous-maturité ont parfois couvert et masqué le potentiel de certaines eaux-de-vie. Les notes de type moisi, caractéristiques des attaques de botrytis, ont été aussi présentes. Les eaux-de-vie nouvelles présentant ce type de déviations qualitatives n’évolueront pas bien lors du vieillissement. Le caractère moisi ne s’estompe pas au cours du vieillissement. Ces défauts sont directement reliés à la présence de composés analytiques connus dans les vins, qu’il n’est malheureusement pas possible de gommer au moment de la distillation. En début de campagne, la dégustation des différentes fractions de distillats a été capitale pour caler le déroulement des chauffes et être en mesure d’extraire les composés bénéfiques à la qualité. La notion de prise de risque au niveau de la sélection des têtes, de la coupe et du fractionnement des fins de seconde et des queues s’est avérée capitale. L’hétérogénéité de la qualité des vins dans les chais était importante, ce qui induisait d’adapter en permanence la conduite de la distillation. Les paramètres de coulage qui donnaient satisfaction devaient être remis en cause quand on changeait de cuve. D’une manière générale, nous avons observé que les distillateurs qui ont fait l’effort de moduler la conduite de coulages en fonction de la qualité des vins ont été récompensés de leurs efforts.

La structure aromatique des eaux-de-vie 2013 ne vous paraît-elle pas un peu décevante par rapport à celle des années précédentes ?

On ne peut pas nier que la qualité des eaux-de-vie 2013 n’extériorise pas un potentiel aromatique aussi ample que celui des millésimes 2011 et 2012. Néanmoins, nous avons dégusté cet hiver quelques échantillons intéressants sur le plan aromatique et équilibrés au nez comme en bouche. Les soins apportés à l’état sani-
taire des raisins et la conduite des vinifications ont eu un impact fort et très perceptible sur la qualité finale des produits. Cette année, les lies n’ont pas apporté leur typicité habi-
tuelle et, d’une manière générale, les saveurs en bouche manquaient un peu de longueur. Lors des dégustations des échantillons d’eaux-de-vie distillées avec lies, nous avons fréquemment remarqué l’effet bénéfique de la décantation des moûts en sortie des pressoirs. La structure de ces eaux-de-vie était à la fois plus fine, complexe, harmonieuse et en phase avec la
typicité recherchée par Hennessy.

Les vins acides et de faibles degrés de la récolte 2013 étaient à priori plus faciles à distiller ?

Contrairement à certaines idées reçues, la distillation de vins titrant 7 à 7,5 % vol. n’est pas facile à conduire en raison des risques qualitatifs liés à la sous-maturité des raisins lors des vendanges. Le déclenchement de la récolte a été très souvent conditionné par l’état sanitaire des raisins. Les vendanges ont été souvent anticipées car il n’était pas possible d’attendre la pleine maturité des raisins. Cette situation a eu une incidence sur la structure qualitative des vins qui présentaient un réel déséquilibre entre des niveaux d’acidité très élevés et des titres alcoométriques plus faibles. Beaucoup de jeunes viticulteurs n’avaient jamais été confrontés à des conditions de maturation de ce type. La variabilité des niveaux de richesse alcoolique des vins était cette année importante au sein des chais. La distillation de vins titrant 8,5 à 9 % vol. d’alcool et 7 à 7,5 % vol. a rendu nécessaire une conduite des coulages bien différente. Plus les vins sont déséquilibrés, plus la distillation devient technique. Le fractionnement des prélèvements de têtes, la prise de risque au niveau de la coupe et la sélection des fins de secondes et des queues nécessitaient une attention permanente des distillateurs. Le risque majeur de l’année était lié à l’insuffisance de maturité des raisins qui était propice à l’extraction de composés révélant des notes herbacées (ou de verdeur) et de la lourdeur dans les eaux-de-vie.

Les eaux-de-vie cette année ont finalement été peu marquées par les dégâts du botrytis ?

On s’attendait à trouver beaucoup plus d’échantillons marqués par les dégâts du botrytis. La proportion d’eaux-de-vie extériorisant le défaut caractéristique de type moisi a certes été trop importante mais peut-être plus faible que nous aurions pu le penser en début de distillation. Par contre, on se demande si la structure aromatique un peu maigre de certaines eaux-de-vie n’est pas à relier aux attaques de pourriture. Les efforts au niveau des vinifications et l’implication de plus en plus de distillateurs pour extraire le meilleur ont tiré la qualité du millésime vers le haut. Les vins se sont bien tenus malgré un hiver doux et humide. Dans la plupart des propriétés et des distilleries, l’hétérogénéité de la qua-lité des eaux-de-vie a été plus forte. Nous sommes très satisfaits de voir que de plus en plus de distillateurs nous sollicitent pour venir passer quelques jours avec nos équipes de la distillerie du Peu avant de mettre le feu sous leurs alambics. Leur souhait est à la fois d’acquérir une meilleure maîtrise de la gestion des coulages et de se former à la dégustation.

Pouvez-vous définir la notion de typicité aromatique Hennessy dans les eaux-de-vie nouvelles ?

Les attentes qualitatives de la maison Hennessy en matière de typicité aromatique des eaux-de-vie nouvelles doivent associer la richesse, l’élégance et une harmonie globale au nez comme en bouche. Nous aimons les EDV ayant un nez floral élégant dont la structure en bouche persistante laisse entrevoir de belles capacités de vieillissement. La recherche d’un équilibre global avec des notes subtiles, le fruité des vins et de la longueur est pour nous essentielle. À l’inverse, des échantillons dominés par des arômes puissants, sur-extraits, perdent en général en finesse et en élégance. Trouver l’équilibre entre l’extraction aromatique optimale et l’harmonie des odeurs et des saveurs en bouche représente un challenge qualitatif prioritaire pour la maison Hennessy. C’est pour cette raison que le rôle du distillateur est si important. Aucune technologie ne peut remplacer le nez de l’homme pour sentir et déguster les différentes fractions de distillats. L’âme du métier de distillateur, c’est d’aller chercher le meilleur du potentiel de chaque vin. Par exemple, les préconisations de prélèvements de têtes de la maison Hennessy représentent un principe de base qu’il faut savoir adapter au cas par cas, le verre à la main. Savoir doser et optimiser le moment de la coupe du cœur est une approche de prise de risque qui doit être raisonnée à chaque cuve et dans toutes les distilleries. Descendre parfois le degré de coupe de l’eau-de-vie pour rechercher des notes aromatiques intéressantes (réglisse, florale…) ne peut que bonifier la qualité finale des eaux-de-vie.

Les hommes sont donc les pilotes indispensables de la conduite des cycles de distillation ?

Les outils d’aide à la gestion de la conduite des cycles de distillation et de la maîtrise thermique des distillats contribuent à aider le distillateur à maîtriser les coulages. Ce sont des outils d’aide à la décision mais actuellement la technologie n’est pas en mesure de se substituer au nez de l’homme. La spécificité des eaux-de-vie de Cognac réside justement dans leur grande finesse que l’on ne retrouve pas dans les autres eaux-de-vie d’origine viticole. Cette spécificité unique, il faut en permanence la rechercher au cours de la distillation. Les vins de distillation sont des produits nobles qui concentrent les différents terroirs de la région. Le rôle du distillateur, c’est justement de savoir déguster les différentes fractions de distillats pour sortir le meilleur de chaque cuve. Trier les têtes, descendre le degré de coupe des eaux-de-vie, trier les queues doivent mobiliser le savoir-faire des hommes pour sortir la typicité des eaux-de-vie de Cognac. L’expérience de la dégustation des fractions de distillats s’acquiert au fil des mois et des campagnes de distillation. La finalité de la distillation pour Hennessy, c’est de trouver l’équilibre entre la finesse et la complexité des composés aromatiques. Il faut en permanence prendre des risques pour aller chercher les petits composés bonifiant l’ensemble et faire attention à ne pas en extraire trop non plus. En devenant trop présents, ces petits composés peuvent aussi nuire à la typicité aromatique. Distiller, c’est être en permanence sur le fil pour trouver l’harmonie d’extraction qui confère aux eaux-de-vie de Cognac leur typicité inimitable. Sans de belles qualités d’eaux-de-vie à la sortie des alambics, on ne pourra pas élaborer de grands Cognac. Or, dans le monde, de plus en plus de consommateurs apprécient le Cognac pour ses qualités uniques.

Conduire les cycles de coulage en ayant le souci permanent de rechercher le meilleur est pour vous le seul objectif de la distillation ?

Distiller, c’est l’art de savoir concentrer les bonnes choses potentiellement contenues dans les vins. Dans certaines situations, il n’est malheureusement pas possible de concentrer ce qu’il n’y a pas dans les vins. À l’inverse, quand nous sentons une très belle eau-de-vie nouvelle, nous sommes fiers de la région. Nous avons le sentiment d’avoir atteint cet objectif de recherche de typicité inimitable propre aux eaux-de-vie Cognac. Il faut continuer d’être suffisamment fort pour améliorer encore cette qualité, en mobilisant toutes les énergies au niveau du vignoble, des vinifications et de la distillation. Le respect de la qualité des eaux-de-vie nouvelles représente les fondations du Cognac. Chez Hennessy, on a le respect de la qualité et on se donne les moyens de la faire progresser.

 

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