Dans le vignoble bordelais, les premières démarches de sortie du périmètre de lutte obligatoire ont commencé en 2001 dans les Côtes-de-Bourg et dans le Médoc. Les témoignages des acteurs techniques et des structures professionnelles qui ont été à l’origine de ces démarches sont riches d’enseignements car tous les acteurs de la filière ont acquis une expérience dans la gestion des approches de la sortie des périmètres de lutte obligatoire. Le principal enseignement concerne à la fois l’identification et la lutte contre cette maladie. En effet, plus on cherche des symptômes de flavescence dorée dans les parcelles, plus on a de chance d’en trouver et c’est à partir de là que la lutte devient aussi la plus efficace pour, à terme, envisager un arrêt de la protection insecticide systématique et une sortie du périmètre de lutte obligatoire.
La flavescence dorée est une maladie de quarantaine de type jaunisse dont l’agent infectieux est un phytoplasme (une petite bactérie sans paroi). La propagation de la maladie est assurée pendant la phase végétative par la cicadelle Scaphoïdeus Titanus dont le cycle de développement s’étale en général d’avril à fin septembre (la durée des vols est variable selon les années). Au vignoble, la lutte contre la flavescence dorée s’appuie sur des approches prophylactiques pour éliminer les souches contaminées (des prospections en fin d’été et l’arrachage des souches parfois de parcelles entières dans l’hiver suivant) et sur une protection insecticide sans faille pour contrôler les populations de cicadelles. L’autre spécificité de cette maladie est liée au fait que les phytoplasmes sont transmissibles par le greffage, et le matériel végétal est un moyen de contamination sur de longues distances. Des recherches ont permis de démontrer que la réalisation de traitements à l’eau chaude sur des bois et des plants de vignes s’avérait très efficace pour détruire les phytoplasmes et assainir de manière définitive les plants de vigne qui sont mis en terre. Actuellement, seul le matériel de base (les bois et plants des plantations de vignes mères chez les pépiniéristes et les organisations chargées des démarches de prémultiplication) a l’obligation d’être traité à l’eau chaude alors que les plants achetés par les viticulteurs ne sont absolument pas soumis à cette réglementation. Certains pépiniéristes proposent le traitement à l’eau chaude comme une prestation supplémentaire. Lorsque des symptômes caractéristiques apparaissent dans les parcelles, les risques de confusion avec une autre jaunisse, le bois noir, sont importants et il convient de toujours aller jusqu’au test de laboratoire (Elisa ou PCR) pour valider ou pas la présence de FD. Le bois noir n’entraîne aucune conséquence sur la vigne et c’est une maladie plus fréquente dans la vallée de la Loire et en Bourgogne.
La qualité des prospections est au cœur de tout le dispositif de lutte
Ce bref rappel des principales spécificités de la FD est extrait des informations systématiques réalisées par l’équipe du SRPV Aquitaine lors des communications techniques des formations ou au cours des démarches de prospection. Mme Marie-France Chiron, l’ingénieur du SRPV Aquitaine qui a en charge le dossier FD, nous expliquait que les premières demandes de sortie des périmètres de lutte obligatoire en Gironde ont été formulées en 2001 dans deux zones, les Côtes-de-Bourg et le Médoc. Le secteur pilote a été les Côtes-de-Bourg puisque durant l’été et l’automne 2001 une campagne de prospection dans les vignes de cette appellation a été réalisée sur plus de 500 ha. A l’origine, le périmètre de lutte obligatoire dans cette zone avait été établi suite à la découverte de seulement une souche contaminée. Le travail de prospection dans les parcelles a été effectué par du personnel vacataire qui a été formé et encadré par le SRPV et la FREDON. Cette première initiative a en quelque sorte servi de test grandeur nature pour construire une démarche technique nécessaire à la sortie de la lutte obligatoire. Une concertation avec les autres organismes techniques de la région a permis de construire un projet solide qui a été soumis à la commission départementale de janvier 2002. Deux démarches ont été entérinées afin de s’adapter aux spécificités des communes contaminées et des communes en périphérie du périmètre obligatoire. Pour les communes contaminées, des prospections totales doivent être réalisées deux années successives pour sortir du périmètre de lutte obligatoire ; pour les communes situées dans le périmètre de sécurité, une à deux années de prospection totale (selon la proximité des communes contaminées) seront nécessaires. Mme M.-F. Chiron nous expliquait aussi que l’élément primordial dans ces approches de sortie de périmètre de lutte obligatoire est la qualité des prospections sur le terrain. Le travail de prospection dans les parcelles est en effet a adapté selon le type de vignoble (cépages blancs ou rouges) et le mode de conduite des vignes. Les symptômes sont plus faciles à repérer dans les cépages rouges car plus caractéristiques alors que dans les parcelles de blancs les risques de confusion avec des carences en fin de saison ou de légères chloroses sont possibles. Dans les vignes basses à forte densité (jusqu’à 1,50 m d’écartement) plusieurs rangs peuvent être observés lors d’un même passage alors que dans des vignes hautes et larges, le champ de vision du prospecteur est beaucoup plus limité.
Des prospecteurs salariés indépendants représentent un gage d’objectivité
La notion de prospection totale signifie que chaque parcelle fera l’objet d’une recherche de symptômes rang par rang et ce travail sera réalisé généralement par des vacataires formés et encadrés par le SRPV et la FREDON. M. M.-F. Chiron justifie ce choix de mode de prospection par une recherche d’objectivité maximum : « Il nous semble que les meilleurs prospecteurs sur le plan de l’objectivité du travail ne peuvent être que des personnes totalement extérieures et indépendantes de toutes contingences de production. La formation à la reconnaissance des symptômes est un aspect très important et les prospecteurs sont au départ encadrés pour s’assurer de leur niveau de compétences. Le calendrier de travail est géré par des techniciens qui de façon ponctuelle participent aux prospections. En effet, l’idéal est en fait de réaliser les prospections en permanence à deux afin d’observer les deux faces d’un même rang à la fois. Lorsque des symptômes sont repérés, les souches sont expertisées par les techniciens qui réalisent ensuite les prélèvements de matériel végétal en vue de l’analyse. » Le coût de cette méthode de prospection n’est pas anodin puisque par exemple dans les Côtes-de-Bourg, deux vacataires formés ont circulé pendant plus de deux mois dans les vignes. Certains syndicats viticoles ont aussi préféré utiliser les compétences de groupes de jeunes étudiants en viticulture-œnologie pour réaliser les prospections. Pendant quelques jours (parfois une semaine), 10 à 20 jeunes formés et encadrés par les techniciens de la FREDON et du SRPV effectuent une véritable mission « commando » pour prospecter dans les vignes d’une ou plusieurs commune. Cette seconde méthode n’est pas moins onéreuse compte tenu des frais de déplacement des groupes d’étudiants sur le terrain. Les deux méthodes de prospection totale ont reçu la pleine adhésion des viticulteurs et sur le plan technique leur intérêt depuis trois ans a été largement démontré.
Les Côtes-de-Bourg ont été une région pilote en matière de gestion du risque Flavescence Dorée
Dans les Côtes-de-Bourg, le premier foyer de flavescence dorée a été découvert en 1999 sur la commune de Pugnac. Dans une parcelle assez jeune, une seule souche contaminée avait été identifiée et aussitôt une forte mobilisation technique s’est créée pour lancer des prospections sur les 4 000 hectares de l’appellation. Aucun autre foyer de FD n’a été découvert mais compte tenu de l’importance des surfaces viticoles autour de Pugnac, 1 650 ha ont été mis en périmètre de lutte obligatoire dès le printemps 2001. Le Syndicat viticole des Côtes-de-Bourg n’avait pas attendu la découverte de ce premier foyer pour sensibiliser les viticulteurs, car, dès l’automne 1998, une communication technique sur la maladie avait été envoyée à tous les producteurs afin de les inciter à aller prospecter dans les parcelles. La taille relativement réduite de cette zone de production lui a toujours conféré un certain dynamisme pour le développement des thèmes techniques ayant trait à la mise en œuvre d’une viticulture et d’une vinification de qualité. Aussi la découverte de ce foyer de FD a été abordée avec le même souci d’efficacité technique au niveau du syndicat viticole et le directeur, M. Didier Gonthier, nous a expliqué tout le travail qui a été accompli : « Au sein du syndicat, les professionnels ont décidé de s’investir collectivement dans la lutte contre cette maladie. Dans un premier temps, une réflexion a été engagée au niveau de la conduite des prospections en s’appuyant sur l’expérience et les compétences des organismes techniques, le SRPV, la Fredon, l’ADAR. Ce travail a débouché sur la mise en œuvre d’une attitude responsable à la fois au niveau de la lutte à court terme et à moyen terme en vue d’une sortie des périmètres de lutte obligatoire. Beaucoup de viticulteurs de la région se sont investis dans des démarches de lutte raisonnée depuis presque 10 ans et la réalisation d’une protection insecticide systématique allait à l’encontre de ces démarches. L’intensité faible du foyer découvert, une seule souche contaminée, a permis de construire dès le départ une démarche de lutte intégrant la perspective d’une sortie du périmètre de lutte obligatoire. Concrètement, le syndicat viticole a décidé de se donner les moyens de rechercher les symptômes dans les parcelles en utilisant les compétences de personnes salariées totalement extérieures et indépendantes à la petite région. L’encadrement technique (la formation, l’organisation des prospections sur le terrain, le suivi des résultats quotidiens et hebdomadaires) de l’équipe de deux prospecteurs a été réalisé par la FREDON et le SRPV, et le sérieux de ce dossier nous a permis d’obtenir des aides de la part du CIVB. Le travail de prospection totale s’est déroulé en 2000 et en 2001 sur l’ensemble des communes situées dans le périmètre de lutte obligatoire ; en 2003, il a été limité seulement à une petite zone. Le syndicat a toujours été particulièrement sensibilisé vis-à-vis des démarches de respect de l’environnement qui constituent un moyen de valoriser l’image des vins sur le plan commercial. La gestion du dossier FD a été abordée avec cette même volonté et quatre ans plus tard, les bons résultats de ce travail attestent de son efficacité. La flavescence dorée est une maladie grave dont la lutte nécessite au niveau de l’observation des moyens conséquents pour envisager de l’éradiquer, mais finalement cet investissement dans trois années de prospections successives revient beaucoup moins cher qu’une protection insecticide systématique pendant 5 à 10 ans sur plus de 2 000 ha de vignes. » Au cours des automnes 2000 et 2001, des prospections ont été réalisées dans toutes les communes situées dans le périmètre de lutte obligatoire et de façon plus ponctuelle dans le reste de l’appellation. La forte présence de cépages rouges (90 % des surfaces) a facilité le repérage des symptômes et les résultats ont été encourageants. Dans les communes contaminées, tous les rangs ont été observés alors que dans les communes situées dans le périmètre de lutte obligatoire, les prospections ont été réalisées dans toutes les parcelles mais en passant tous les quatre rangs. Parmi les 22 pieds douteux ayant été repérés et soumis à une analyse à l’automne 2001, aucun ne s’est révélé porteur de la maladie. Ces résultats ont permis d’envisager une sortie définitive du périmètre de lutte obligatoire de l’ensemble des communes dès le printemps 2003, sauf Pugnac qui, de par son statut de commune contaminée, devait subir une année d’observation supplémentaire. La commune de Teuillac est également restée une année supplémentaire dans le périmètre de lutte obligatoire compte tenu qu’elle était limitrophe de Saint-Vivien-de-Blaye qui était contaminée.
Un assainissement de la situation dans le Médoc après trois années de prospection successives
Dans le nord du Médoc, la découverte à l’automne 1999 d’une souche contaminée par la flavescence dorée sur la commune de Valeyrac a suscité un certain émoi auprès des viticulteurs de cette zone très viticole puisque, dès le printemps 2000, le périmètre de lutte obligatoire englobait 1 500 ha. M. Francis Etourneaud, le directeur du Syndicat du Médoc et du Haut-Médoc, nous expliquait que dans les quatre communes concernées (Valeyrac, Bégadan, Jau-Dignac et Loirac) et aussi dans toute cette petite région, la mise en place de 1 500 ha de périmètre de lutte obligatoire pour une souche « infectée » a fait naître un débat vif et passionné, surtout chez les viticulteurs soucieux de gérer leur protection du vignoble de façon raisonnée : « Au sein du syndicat, l’apparition de ce foyer de FD a généré au départ des tensions entre viticulteurs, car le fait de réaliser trois traitements insecticides systématiques était perçu comme une grosse contrainte par les responsables de nombreuses propriétés. Suite à ces discussions animées, les viticulteurs des quatre communes concernées ont adopté dans l’hiver 1999-2000 une attitude positive en décidant bien sûr de respecter les contraintes de protection liées à la maladie et en se donnant aussi les moyens de bien cerner l’importance de la maladie dans l’avenir. Leur réflexion était simple et pleine de bon sens : si réellement il n’y a qu’une seule souche de contaminée, nous devons nous entourer de compétences pour mettre en œuvre une démarche de prospection exhaustive qui à échéance de deux ou trois ans nous permettra d’arrêter la lutte. Le syndicat a eu pour mission de conduire cette action avec les interlocuteurs techniques de la filière, le SRPV, la FREDON et la Chambre d’agriculture. Compte tenu du climat assez passionnel, il a été décidé de réaliser des campagnes de prospection pendant plusieurs années en s’appuyant sur les compétences des personnes salariées complètement indépendantes. Le syndicat a recruté chaque fin d’été en 2000, 2001, 2002 et 2003 deux personnes pendant deux mois et demi qui parcouraient l’ensemble des vignes d’une zone incluant le périmètre de lutte obligatoire et aussi les communes périphériques. Les personnes recrutées ont suivi une formation d’une à deux semaines, et ensuite le SRPV et la FRedon établissaient et géraient le programme de prospection sur les parcelles. Lorsque des pieds étaient douteux ou extériorisaient des symptômes, les techniciens intervenaient pour réaliser les prélèvements de matériel végétal destiné à l’analyse. D’un point de vue pratique, l’observation dans les parcelles était adaptée au mode de conduite des vignes. Dans les vignes à très forte densité et basses, une dizaine de rangs étaient prospectés à la fois. La largeur d’observation est directement liée au champ de vision du prospecteur sur les rangs de vignes. Le travail de prospection a couvert une surface d‘environ 2 500 hectares par an et à l’issue des années 2000 et 2001, aucun foyer important n’a été découvert. La plupart des symptômes repérés visuellement s’est avérée être du bois noir. Néanmoins, à l’automne 2000, quelques souches isolées ont été identifiées sur les communes de Civrac et de Couququès, ce qui a fait intégrer dans le périmètre de lutte obligatoire huit communes qui représentaient 2 500 ha, soit 25 % des surfaces totales des aires d’appellation Médoc et Haut-Médoc. Le choix de faire réaliser les prospections par des personnes extérieures à la zone de production a aussi permis de maintenir une parfaite confidentialité lors de la détection des souches contaminées et ainsi le climat entre viticulteurs est resté beaucoup plus consensuel. La présence à l’automne 2002 de quelques souches contaminées a obligé le syndicat à poursuivre les prospections jusqu’à l’automne 2003 et à l’issue des commissions départementales de janvier, le périmètre de lutte obligatoire a été limité à seulement deux communes. L’investissement nécessaire au travail de prospection de deux personnes pendant 2 mois et demi représente un budget de 10 000 e par an tout compris (frais de déplacement inclus). M. F. Etourneaud considère qu’il serait bon dans l’avenir de maintenir un dispositif d’observation moins lourd pour s’assurer de l’assainissement total du vignoble. En outre, le syndicat a incité les viticulteurs a réalisé cette année des prospections dans leurs vignobles, et au cours de l’hiver dernier une information sur l’intérêt du traitement à l’eau chaude des plants de vigne a été largement diffusée.
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