Pour son premier exercice à la tête de la coopérative Viti-Oléron, le président Fabrice Micheau a présenté un bilan équilibré, dans la continuité des précédents. Invités de l’assemblée générale : les dirigeants de la filière Pineau. Où il fut question de production, de marque, de mention particulière, de valorisation.
C’est dans un beau cadre, celui de la plage de Gatseau (village de Saint-Trojan-les-Bains) que s’est déroulée l’assemblée générale de la coopérative Viti-Oléron, le 21 mars dernier. Ici, il y a 30 ans, les eaux du pertuis de Maumusson se perdaient à l’horizon, tout au bout de l’estran. Aujourd’hui, à marée haute, la mer lèche les transats du centre de thalasso. Signe de la montée des eaux, d’une modification des courants ? Si, à la pointe de la Grand-Plage, le cordon lagunaire venait à se cisailler, la vie du bassin Marennes-Oléron en serait sans doute changée. Mais ceci est une autre histoire. Encore que ! Le tourisme est une économie systémique (en interaction avec tout son écosystème). Et comme la coopérative viticole vit aussi du tourisme…
Sur l’exercice 2012-2013, clos le 30 sep-tembre 2013, le chiffre d’affaires de Viti- Oléron s’est élevé à 4,5 millions d’€. Sur ce montant, la vente des produits embouteillés a dû représenter 40 % du total, dont la plus grande partie réalisée sur l’île. En saison, Oléron voit sa population multipliée par dix.
Des ventes au caveau en hausse de 13 %
Au caveau de Saint-Pierre-d’Oléron (le magasin de la cave), les ventes directes ont progressé de 13 %. Sur le créneau des produits embouteillés, les Vins de pays conservent leur leadership. Leur plus haut niveau de vente a été atteint en 2013, avec une mention spéciale pour le rosé. Sa commercialisation a presque doublé en dix ans. A elles deux, les îles de Ré et d’Oléron produisent environ 20 % des volumes de Vins de pays charentais de la région délimitée. Sur la récolte 2013, toutes couleurs confondues, la production de Vins de pays charentais aura atteint 4 200 hl vol. à Viti- Oléron (+ 800 hl vol./2012).
Et le Pineau dans tout ça ? Sur la récolte 2012, il s’en est élaboré 6 200 hl vol. sur l’île d’Oléron, dont la moitié (3 150 hl vol.) à la coopérative. Sans doute les dirigeants de la filière Pineau, président du Syndicat des producteurs en tête, souhaiteraient que la coopérative arbitre davantage en faveur du Pineau. Mais le président Fabrice Micheau a parlé d’une production à l’équilibre entre eaux-de-vie de Cognac vendues sur le marché de place, Pineau des Charentes et autres débouchés. Il a signalé que le conseil d’administration avait décidé de contrac-tualiser un volume global d’eaux-de-vie avec trois maisons de Cognac, Marnier-Lapostolle, Larsen et Camus. « L’histoire démontre que le marché du Cognac peut être très fluctuant selon l’évolution de l’économie mondiale et les relations politiques avec les pays acheteurs. »
A l’invitation de Viti-Oléron, Jean-Marie Baillif, président du Syndicat des producteurs de Pineau des Charentes, avait fait le déplacement jusqu’à Saint-Trojan. Il était accompagné de Patrick Raguenaud, président du Comité national du Pineau.
Le président du syndicat a d’abord cha-leureusement remercié Louis Auvray, président de la cave jusqu’à l’an dernier, pour tout le travail accompli au sein du conseil d’administration du syndicat et de l’ODG. Il a ensuite souhaité la bienvenue à Fabrice Micheau qui va bientôt intégrer le même conseil d’administration. A noter que la coopération dans son ensemble – 5 coopératives – mobilise 25 % de la production globale de Pineau.
Plan de sauvegarde de l’appellation Pineau
J.-M. Baillif a ensuite présenté dans le détail la mécanique du Plan de sauvegarde de l’appellation, incarné par un programme de plantation de plus de 400 ha sur 4 ans. Ce Plan, il l’a justifié par le constat sui-vant : de 2003 à 2012, la surface dédiée au Pineau des Charentes est passée de 6 000 ha (ha Cognac + ha moûts Pineau*) à environ 2 600 ha. « Pendant dix ans, a-t-il dit, nous avons assisté à une érosion des surfaces Pineau, compensée par une hausse des rendements. Cependant, aujourd’hui, nous sommes arrivés au niveau du rendement butoir (42 hl vol./ha). Nous ne pouvons pas aller plus loin. C’est pourquoi nous avons sollicité auprès de l‘INAO de nouveaux droits de plantation. »
Le premier contingent accordé en 2012-2013 s’élevait à 210 ha. Cette année, le syndicat a sollicité l’attribution de 120 ha de droits. Au total, sur quatre campagnes, la surface Pineau devrait progresser de 26 %. J.-M. Baillif a vivement encouragé les coopérateurs oléronnais à rentrer dans le Plan. « Il faut saisir l’opportunité. Si vous arrivez à acheter un ha de vigne 600 € – le prix d’un transfert de droit – dites-le moi ! »
Des avis partagés
Sur la question de l’adhésion au Plan au sein de la coopérative, manifestement, les avis sont partagés. « Nous avons été bridés l’an dernier » a pointé un coopérateur tandis qu’un autre qualifiait le système de « pas très égalitaire ». « Celui qui n’a pas de terre disponible ne peut pas intégrer le système. C’est un frein. » Le même a évoqué une autre piste. « Pourquoi ne pas se battre pour obtenir un rendement libre Cognac dédié au Pineau ? » Réponse du président du syndicat : « Cette proposition revient de manière récurrente. Mais non seulement nous n’avons pas la main dessus – c’est l’affaire du Cognac – mais il nous est apparu beaucoup plus intéressant de nous battre pour obtenir l’utilisation d’un rendement Cognac plein – rendement libre + réserve de gestion – pour le mutage des moûts Pineau. C’est un avantage énorme. Et puis, combien de gens ont atteint les 13,21 hl AP/ha cette année ? » Dernier argument évoqué : « Créer une catégorie spéciale de Cognac pour le Pineau des Charentes revien-
drait à dévaloriser ce même Pineau ».
« Oui, a répliqué Vincent Libner, vice-président de Viti-Oléron. Mais alors pourquoi le Pineau ne communique-t-il pas davantage sur le fait que le Cognac rentre dans son élaboration ? » « Excellente remarque » a reconnu, beau joueur, J.-M. Baillif.
« Je vous apporte l’œil du commerce »
En prenant la parole, Patrick Raguenaud, président du Comité national du Pineau et ci-devant directeur production de la maison Marnier-Lapostolle, a annoncé la couleur : « Je vous apporte l’œil du commerce ». D’emblée, il a cité un indicateur : le 3,6 % de hausse volumique des ventes de Pineau sur l’année civile 2013. « Après plusieurs années de diminution, le Pineau a enrayé la tendance baissière » s’est-il réjoui.
Pour mémoire, c’est en 2006 que le Pineau a réalisé sa meilleure performance « de tous les temps ». Cette année-là, il s’était commercialisé 112 000 hl vol. de Pineau des Charentes. Pourtant, à partir de 2008-2009, un lent grignotage des volu-
mes s’installe, jusqu’en 2013.
Lors de la dernière année civile, il s’est vendu 93 105 hl vol. de Pineau, en croissance de + 4,7 % sur le marché français et de + 0,5 % à l’export. Compte tenu des freintes (des pertes), la profession estime qu’une production à l’optimale devrait représenter 110 000 hl vol. Il s’est fabriqué 80 000 hl vol. de Pineau en 2013. « Un chiffre très décevant » estime P. Raguenaud. « En l’espace de 7-8 ans, nous avons perdu une année de stock. C’est considérable et cela peut se révéler pénalisant pour la filière. »
Ainsi le collège des négociants s’est-il associé au collège des producteurs pour aller plaider la bonne cause auprès du Comité vins et eaux-de-vie l’INAO, celle de l’allocation de nouveaux droits de plantation. Car le président du Comité du Pineau en est convaincu : « Une filière qui n’a pas de produit, à terme, est vouée à disparaître. » « A un certain moment, renchérit-il, vous disparaissez des écrans radars, vous ne comptez plus pour vos clients, vos acheteurs. »
Patrick Raguenaud en est venu assez logiquement aux prix. Pour constater que les prix du Pineau vrac avaient quasiment doublé. « Risque, opportunité ? » s’est-il interrogé. Pour conclure très vite que c’était une bonne chose que les prix du Pineau vrac aient augmenté. « Il faut regarder les choses en face. Si l’ha Pineau n’offre pas un revenu équivalent à celui du Cognac, à terme, il ne restera plus que des ha Cognac. »
La premiumisation comme seule alternative
Pour lui, la montée en gamme – autrement dit la premiumisation – représente la seule voie à suivre. « Regardez ce qui arrive aux VDN (Vins doux naturels). « A force d’être moins chers que moins chers, plus personne n’en veut. Ils ont perdu au moins 50 % de leurs volumes. Arrêtons de nous comparer à eux. » « L’avenir passe par la valorisation de notre produit. Il s’agit d’un travail collectif partagé par les viticulteurs et les négociants. C’est l’une des missions du comité que d’y réfléchir. »
En bon représentant du négoce qu’il est, Patrick Raguenaud a expliqué « l’effet de halo » que pouvait représenter une marque. « Une marque a une histoire à raconter. C’est grâce à elle que vous pouvez expliquer au consommateur pourquoi vous êtes plus cher que votre collègue. » « Pour vous coopérateurs, développer une marque de Pineau premium peut représenter une opportunité » a-t-il ajouté.
Soleil d’Oléron
La cave Viti-Oléron possède déjà une marque, le Soleil d’Oléron. Créée dans les années 50, à la naissance de la coopérative, elle dispose d’une belle antériorité et d’une reconnaissance certaine. Dans le magasin de vente de la cave, le Pineau « Soleil d’Oléron » fait de l’œil aux clients. Sauf qu’aujourd’hui, un obstacle se dessine sur sa route. Un décret paru en 2012, relatif à l’étiquetage des produits vitivinicoles, ne prévoit-il pas de suspendre la référence à une aire géographique – comme Oléron pour « Soleil d’Oléron » – à la condition que cette mention géographique particulière figure bien dans le cahier des charges de l’appellation (en l’occurrence celle du Pineau des Charentes). Or ce n’est pas le cas aujourd’hui, pas plus pour Oléron que pour Ré d’ailleurs.
La solution existe : réouvrir le cahier des charges, avec l’assentiment du syndicat des producteurs reconnu ODG. Mais J.-M. Baillif s’est interrogé en direct : « Peut-on accorder une mention particulière s’il n’y a pas de valorisation particulière ? »
Un groupe de travail a été constitué sur le sujet. Le président a conseillé aux producteurs oléronnais (coopérateurs comme vendeurs directs) « de mettre les bouchées doubles ». « Ce serait une erreur que de jouer la montre. Je crois que pour vous le sujet est fondamental. Avec le Pineau des Charentes, nous avons une pépite. Cette pépite-là, elle doit être encore plus belle demain. »
Un « chantage »
Moyennement satisfaits d’être ainsi tancés, les producteurs oléronnais ne sont pas loin d’y voir un certain « chantage ». « Chez nous, les touristes aiment bien le Pineau des Charentes mais à condition qu’il soit frais. Ils arrivent en tongs au magasin. La bouteille est bue dans les 10 mn. En face, nous avons la grande distribution. Si nous augmentons d’un €, elle baisse d’un €. La différence, de deux €, chasse les clients de l’autre côté. » Et de poursuivre : « L’été, nos collègues du continent viennent vendre leurs Pineaux sur l’île. Cela les « em… » de voir la mention particulière Oléron sur nos bouteilles. » Ils ont aussi argué de l’argument Bons Bois. Montée au créneau de Jean-Marie Baillif. « Je suis moi-même en Bons Bois. Ce que j’applique à Saint-Palais-de-Phiolin doit pouvoir s’appliquer à Oléron. »
Les positions sont-elles si irréconciliables que cette passe d’armes le laisserait entendre ? Peut-être pas. A chacun de mettre un peu d’eau dans son Pineau. Même si, paraît-il, cela ne se fait pas.
* Pour produire du Pineau il faut, en gros, deux ha de Cognac pour un ha de moût Pineau.
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