Les conseils d’administration des coopératives du Liboreau et de Saint-Sornin viennent d’en adopter le principe. Voilà plusieurs années que cela fonctionne dans une cave comme Port-Sainte-Foy, en Bergeracois. En tant que mandataires, les adhérents qui le souhaitent vendent des bouteilles de leurs coopératives, en échange d’une commission. A la clé, plusieurs intérêts : étendre le réseau commercial de la cave, sensibiliser les vignerons à la commercialisation et, le cas échéant, leur assurer un complément de revenu.
« Le système a vocation à rester marginal. Par définition, dans les endroits où les entreprises disposent de réseaux commerciaux structurés et développés, il paraît peu probable qu’elles s’adressent à leurs adhérents pour leur demander de participer à la vente. » La CCVF (Confédération des coopératives vinicoles de France) a beau être « l’inventeur » de la formule, elle n’en est pas moins assez dubitative sur son développement, voire même son intérêt. Dans l’esprit des édiles de la coopération, les adhérents de caves coopératives n’ont toujours pas vocation à vendre. Par contre, s’ils devaient le faire, autant préserver l’essentiel, c’est-à-dire la concentration de l’offre, principe de base de la coopération. Ainsi, dans le système préconisé par la CCVF, la propriété des bouteilles de vin reste acquise à la cave, avec une commission servie aux adhérents, un peu à la manière de VRP, le statut de commerçant en moins… Si, vue de Paris, l’implication directe des vignerons coopérateurs sur le terrain de la commercialisation ne coule pas de source, vu du Bergeracois ou même des Charentes, l’intérêt est bien plus manifeste, peut-être parce que ces régions souffrent ou ont souffert dans un proche passé.
Port-Sainte-Foy, sur la RN 89, entre Libourne et Bergerac. A quelques minutes de Sainte-Foy-la-Grande, la cave se trouve bien dans l’appellation Bergerac mais à 500 m seulement de l’appellation Bordeaux. C’est la rivière Dordogne qui fait la séparation. Fondée en 1935 comme beaucoup d’autres coopératives, l’Union de viticulteurs de Port-Sainte-Foy a sans doute connu des jours meilleurs. En témoignent de grands bâtiments en bordure de route nationale, qui devaient avoir fier allure à l’aube des années 50. Aujourd’hui, ils déclenchent des crises d’urticaire chez les administrateurs qui se demandent bien quelle pièce y coudre. La coopérative n’a pas été épargnée par les crises. Des revirements de marchés aux prix qui se cassent la figurent, elle a tout connu, dans cette région du Bergeracois contrainte de vivre sous la férule de Bordeaux. En 1995, une nouvelle équipe dirigeante, plus ouverte et plus transparente, apporte un souffle d’air frais. L’accent est mis sur la qualité et la restructuration. La proportion entre rouge et blanc s’inverse (62 %/38 %) et les cépages améliorateurs se généralisent. Exit l’Ugni blanc, renvoyé à la portion congrue (5 ha aujourd’hui, 40 ha il y a 5 ans), bonjour le Sauvignon et surtout le Sémillon. La coopérative collecte 430 ha et vinifie 27 000 hl apportés par 68 adhérents. Elle vend du Bergerac rouge, rosé, blanc ainsi que du Montravel sec et moelleux. Equipement de chai, outil de production informatisé, investissement dans le chaud, le froid, cuves inox, chai à barriques… par touches successives, la cave s’est mise à niveau, sans en avoir totalement terminé avec les gros chantiers. Reste encore à revoir la réception de vendange ainsi que le centre de pressurage.
« un réseau commercial coûte cher »
« Ici nous profitons des excès de Bordeaux note Pierre Chenin, le jeune directeur de la structure. Quand les Bordeaux sont trop chers, nous vendons nos vins à un prix raisonnable mais à condition qu’ils soient de qualité. » Et bien sûr, le marasme rencontré par les Bordeaux n’a pas manqué de produire ses effets sur le Bergeracois. Si le tonneau de Bergerac a pu atteindre au plus haut 7 500 F, il est retombé aujourd’hui à 5 000 F. Un prix qui ne suffit pas toujours à couvrir les frais de production, compris dans une fourchette de 4 500 à 5 500 F. Dans ces conditions, la vente bouteille a tendance à devenir déterminante. Pourtant, le directeur de l’Union de viticulteurs l’avoue : « Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas beaucoup investi dans l’activité commerciale. Le faire avant d’avoir atteint le niveau qualitatif fixé, c’est perdre beaucoup d’énergie. Et puis il y a le problème de la mobilisation financière, car un réseau commercial coûte cher. » La seule démarche commerciale que la coopérative se soit vraiment autorisée au fil de ces années a été une démarche « filière », auprès de la grande distribution. Après passage d’un audit et respect d’un cahier des charges très strict, un tiers de ses volumes en rouge part sous les marques distributeurs d’une grande enseigne, contre un tiers vendu à la cave aux particuliers et un tiers au négoce de place. En blanc, 80 % des volumes sont achetés par le négoce. Rien que de très classique. Oui, sauf que depuis une dizaine d’années, la cave de SainteFoy a développé une expérience originale : réussir à animer un réseau de vente par les adhérents eux-mêmes. A ce titre, elle joue un peu le rôle de « laboratoire » auprès d’autres coopératives intéressées par le système. Certes il ne s’agit pas de gros volumes. Sont vendues par ce canal un peu moins de 10 000 bouteilles par an sur les 400 000 écoulées par l’Union de viticulteurs. Mais ce sont des bouteilles plutôt bien vendues, qui accompagnent une montée en gamme des produits. Surtout, la cave a réussi à insuffler un esprit nouveau à ses adhérents. En sortant de leurs vignes, ces derniers captent mieux la réalité de marché, sans oublier la source de revenu supplémentaire que cela peut leur octroyer. « Je n’y vois que des avantages » estime Pierre Chenin.
Une niche juridique
Au tout début, la coopérative avait instauré une formule de paiement à la journée. Les viticulteurs se déplaçaient sur les foires et la coopérative leur versait une rémunération forfaitaire, au temps passé. A son arrivée en 1995, le jeune directeur souhaite « professionnaliser » l’approche. « Ce n’était pas très motivant. Quel que soit le chiffre d’affaires, la rémunération était la même. Qui plus est, la cave pouvait perdre de l’argent, si la foire ne marchait pas. Par-dessous tout, je tenais à intéresser les viticulteurs à la vente. » Renseignements pris, une niche juridique existe. La qualité de mandataire permet au viticulteur de vendre le vin de la cave, sans devenir pour autant salarié de la cave mais tout en préservant le lien de subordination avec elle (le vin reste la propriété de la coopérative). Au plan fiscal, c’est la notion d’activité accessoire qui s’applique : imposition au BA (et non au BIC) dans la limite de 200 000 F et de 30 % du chiffre d’affaires. Sur ces bases, une convention est signée entre la cave et les viticulteurs intéressés. Ils peuvent vendre pour ordre et pour compte de la coopérative des vins aux particuliers, foires, salons, associations, comité d’entreprise, CBHR, à l’exclusion de la grande et moyenne distribution, des grossistes et des demi-grossistes, clientèles réservées de la cave. Ce pouvoir n’est pas transmissible. Les frais et charges sociales liés à l’activité de mandataire sont à la charge du viticulteur. La commission s’élève à 30 % du prix HT de la bouteille (11 % sur le vrac), calculé sur le montant net de la facture. En 1995, ils sont 9 viticulteurs sur 68 à s’engager dans la démarche. On retrouve parmi eux tous les profils et pas forcément les plus grosses exploitations. Par contre, ils possèdent en commun le sens du commerce ou du moins l’envie de sortir de chez eux. Tous, ils ont réussi à dépasser la crainte de l’inconnue et l’inhibition de départ, manifestée par la sempiternelle phrase : « Je ne sais pas vendre, ce n’est pas mon métier. » En 2001, la cave leur a versé 130 000 F de commission, des montants qui varient selon les cas de 1 000 F à plus de 35 000 F dans l’année. Chez la plupart, le « fonds de commerce » se résume à deux ou trois clients restaurateurs et deux ou trois foires par an. Mais une poignée se montre plus pugnace. Tel viticulteur tient durant deux mois et demi non-stop un stand de vente sur un lieu très touristique, les Eyzies. A l’expérience, la vente à la propriété ne fonctionne pas. « Le chai particulier a déjà beaucoup de mal à assurer une permanence, alors le coopérateur ! » La vente par correspondance, pratiquée par quelques-uns, n’est pas non plus très développée. C’est compliqué à mettre en place et cela demande des investissements. Comme déjà dit, la vente par les adhérents a favorisé la montée en gamme. « Au tout départ, les viticulteurs vendaient des produits génériques à 20-22 F TTC la bouteille. Même à 30 %, la commission n’était pas bien lourde. Aujourd’hui, quand ils vendent une bouteille 48 TTC (40 F HT), ils touchent 12 F par bouteille. Cela commence à devenir plus intéressant et, pour eux, l’énergie déployée ne diffère guère, qu’ils vendent la bouteille 20 ou 48 F. » Les viticulteurs disposent de carnets de commande ou de bons de livraison sur lesquels ils notent les produits vendus, le prix et le mode de règlement. En fin de mois, ils déposent leur carnet de commande à la cave, qui verse les commissions sur factures payées. C’est le viticulteur qui établit la facture de commission. La coopérative n’a pas opté pour le dépôt de vin chez l’adhérent. Il vient chercher les bouteilles à la cave, selon ses besoins. Le transport, s’il existe, reste à la charge des viticulteurs ainsi que les frais de foires. Même chose pour les échantillons ou la dégustation, à leur frais, pour éviter les excès. Seuls les dépliants publicitaires sont fournis gratuitement par la cave. « C’est pour cela, précise P. Chenin, que le taux de commission consenti aux viticulteurs est aussi important et aussi pour leur laisser la faculté de ristourner sur les grosses commandes. » Car les adhérents n’ont pas la latitude de négocier le prix, sauf à prendre sur leur propre commission.
30 % de Marge brute
Ce montant de 30 % de marge brute, la coopérative l’a négocié dans l’optique de ne pas perdre d’argent sur la bouteille mais elle n’en gagne pas non plus. « Ce n’est pas le but. » Dernièrement, la cave a investi dans un fourgon et un frigidaire, histoire de mutualiser les frais d’approche. Le coût de location a été fixé à 70 c du km. Pour une première participation à un salon, la coopérative peut prendre à sa charge les frais d’inscription, le déplacement et les frais d’hébergement restant à la charge de l’adhérent. Si le directeur de l’Union de viticulteurs ne ressent pas de lassitude chez les vignerons s’adonnant à la vente, il a le sentiment de devoir « en permanence les tenir par la main ». « Ils ne sont pas autonomes. Comme dans tout groupe, le besoin d’un leader, d’un animateur se fait sentir. Cela demande du temps mais c’est la condition sine qua non pour que ça marche. » Il faut aussi gérer les demandes récurrentes des viticulteurs. « Quand ils rentrent dans une démarche commerciale, ils veulent tous vendre leurs châteaux. Nous devons lutter contre de telles exigences. On ne peut pas vinifier 50 châteaux et vendre deux palettes de chaque. » Pour Pierre Chenin, la prochaine étape va consister à élargir le groupe. Une idée lui tient à cœur ! Développer la notion d’appartenance à la cave. « Un vigneron coopérateur doit considérer la cave comme son chai particulier, le prolongement de son exploitation. J’aimerais qu’il puisse y accéder à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, pour y recevoir ses amis. » Le jeune directeur reconnaît être « à des années-lumière » d’une telle situation même s’il n’y voit que des problèmes matériels, pas si difficiles à résoudre. « En fait, tout porte sur le contrôle : qui est venu, à quelle heure, combien de temps ? Un système de digicode permettrait de lever la difficulté, à condition d’y consacrer un peu d’argent. » Poussant plus loin le raisonnement, il regarde avec intérêt ce qui se fait en Alsace, où des vignerons tiennent le magasin de vente le dimanche et reçoivent certains jours pas loin de 30 bus. « Nous sommes en plein dans la réappropriation de la cave par ses adhérents. Au-delà de l’aspect financier, ces pratiques permettent de retrouver l’esprit originel de la coopération. J’y crois énormément même si l’on ne vendra jamais par ce biais-là 60 ou 80 % de nos vins. »
Liboreau / Saint-Sornin
Ils Prennent De La Bouteille
Dès cet été, des adhérents des deux coopératives devraient commencer à vendre des vins de leurs caves.
Début juillet, le conseil d’administration de la cave du Liboreau a validé le règlement intérieur et la convention proposée aux adhérents qui souhaiteront vendre des vins de la coopérative. Michel Not, directeur de la cave, y voit deux intérêts principaux : permettre un complément de revenu aux viticulteurs mais aussi couvrir plus largement le terrain. « L’exemple typique, dit-il, est celui de la Champagne. Quand on se promène dans la région, on a l’impression que tout le monde vend son vin. Cela crée une émulation assez exceptionnelle. Les problèmes “il y en aura, c’est sûr” mais la seule manière de ne pas s’en attirer serait de ne rien faire. Une forte recommandation existera pour que les adhérents vendent les bouteilles au prix magasin de la cave. Et de toute manière, s’ils les vendent à un prix inférieur, ce sera au détriment de leur commission. » A la coopérative de Saint-Sornin, Michel Bonnin tient exactement le même langage, à la virgule près. Rien d’étonnant puisque les deux structures partagent une union commerciale et au-delà, le même état d’esprit. Un viticulteur de Saint-Sornin pratique déjà la vente. Comme au Liboreau, Saint-Sornin s’est fortement inspiré des directives de la CCVF pour mettre aux points les modalités du mandat liant la cave et le coopérateur. Le principe consiste à vendre les vins de la coopérative et en aucun cas celui des adhérents. Par contre, il peut se faire que le coopérateur fasse imprimer des étiquettes personnalisée du type « Vin sélectionné par M. X » ou « cuvée Y ». Il lui appartiendra alors de se rapprocher lui-même de la DGCCRF (direction de la Concurrence et des Prix) et bien sûr d’acquitter le coût de conception et d’impression de l’étiquette. A l’évidence, la préférence des structures va à la vente des produits de la gamme. Et comme il est permis de rêver, M. Bonnin rêve, un jour, à la création d’un réseau des « viticulteurs Sornin ».