Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté est Maître de conférences en droit privé à l’
Université de Poitiers et attachée au centre d’étude et de recherche sur les territoires et l’environnement (CERETE). Elle nous livre son point de vue sur l’intérêt d’un contrat-type au sein d’une interprofession. Un parti pris assumé qui s’appuie sur une connaissance aigue de la réglementation et des pratiques dans les domaines agricoles en lien avec l’industrie
Les interprofessions négligent trop souvent
leur potentiel
de production normative.
Elles sont
nombreuses à se
concentrer sur un
petit nombre de missions,
pour une production normative a
minima : elles définissent des stratégies
techniques et commerciales qui bénéficient
à toutes les familles professionnelles
représentées. Cette discipline collective,
expression d’une gouvernance de filière,
est plutôt bien accueillie dans la mesure
où elle bénéficie à tous et n’interfère pas,
ou peu, dans les rapports économiques
individuels.
Le champ des possibles va pourtant bien
au-delà : l’interprofession est autorisée
par la loi à pénétrer au coeur de ces
rapports économiques individuels afin
d’imposer aux professionnels un certain
équilibre entre leurs intérêts divergents.
Elle dispose, pour y parvenir, de plusieurs
outils au titre du régime contractuel organisé
par le Code rural. Par le truchement
d’un accord interprofessionnel, la
filière peut « activer » le mécanisme de
la contractualisation et rendre obligatoire
le recours à un contrat de vente durable,
écrit et contenant certaines mentions obligatoires.
L’interprofession peut aller plus
loin encore et imposer un contrat-type de
vente : cette compétence lui est accordée
par la réglementation française autant
qu’européenne. Il ne s’agit plus alors de
développer, défendre ou représenter,
mais bien de… négocier.
Le contrat-type de vente est défini dans
un accord interprofessionnel susceptible
d’être étendu par l’autorité administrative
(et éventuellement soumis pour avis à
l’Autorité de la concurrence). De la sorte,
l’interprofession impose aux acteurs
concernés des modèles de clauses qui
concernent pour l’essentiel l’équilibre en
pouvoirs, largement compris : modalités
de révision et de résiliation du contrat,
préavis de rupture mais aussi règles appli-
sens… elles ont souvent cédé le jour de
la naissance de l’interprofession. Celle-ci
a depuis longtemps atteint le pré carré,
surtout lorsqu’elle est reconnue en qualité
d’organisme de défense et de gestion.
Lorsqu’elle impose un cahier des charges,
en effet, des règles de conditionnement,
d’étiquetage ou de circulation, elle agit
sur le coeur même du contrat : l’objet.
cables en cas de force majeure, calendrier
de livraison ou clause de réserve de propriété…
Ces modèles de clauses peuvent
aussi concerner l’équilibre en valeur :
critères et modalités de détermination du
prix (mais pas la détermination du prix)
ou principe de prix plancher (mais pas le
prix plancher). Ni sur mesure ni prêt-àporter,
la clause-type désigne l’environnement
juridique au sein duquel évoluent les
contractants, qui demeurent libres d’individualiser
leur relation. Aucune action
interprofessionnelle directe sur le prix
n’est autorisée : sa négociation est absolument
abandonnée aux partis. La législation
rurale confie à un autre acteur, le cas
échéant, le soin de rééquilibrer le pouvoir
de négociation pour une meilleure répartition
de la valeur ajoutée : ce sont les organisations
de producteurs ou leurs associations,
dans les limites posées par le droit
français et européen de la concurrence.
L’interprofession peut cependant diffuser
des informations destinées à éclairer les
négociateurs, dès lors qu’il ne s’agit pas
de recommandations de prix. Améliorer la
transparence économique ressortit pleinement
à ses compétences. C’est aujourd’hui
du reste un enjeu prioritaire et transversal
des réglementations contractuelles : droit
commun des contrats, droit commercial
et droit rural travaillent ensemble à plus
de transparence car l’opacité est toujours
une menace qui pèse sur la solidité et la
pérennité d’une filière.
Mais l’affaire n’est pas simple. Les professionnels
des familles représentées
entendent tenir l’interprofession à bonne
distance des contrats qu’ils concluent.
Sauf que ces fortifications n’ont guère de
Du reste, l’intérêt actuel des pouvoirs
publics pour l’équilibre des relations
commerciales agricoles, réaffirmé dans
le cadre des états généraux de l’alimentation,
devrait inciter les interprofessions
à s’emparer pleinement et rapidement de
l’outil contractuel, et les professionnels
à lever leurs dernières réticences. L’idée
est simple : s’ils ne le font pas lorsque les
vents sont favorables, les pouvoirs publics
risquent bien de le faire à leur place
lorsque les vents tourneront. Les rapports
économiques individuels ne seront
plus alors encadrés par des contratstypes
négociés collectivement mais par
des règles d’ordre public, imposées par le
haut.
Reste que la culture de la négociation ne
se décrète pas. Un chemin existe cependant
pour une transition en douceur : la
rédaction d’un guide de bonnes pratiques
contractuelles, sans portée normative.
Ce droit mou lèvera à n’en pas douter les
derniers obstacles psychologiques et techniques
au développement d’un dialogue
véritable au sein de l’interprofession. Ces
fiançailles contractuelles permettront à
chacun de faire l’expérience de ce que si
« seul on va plus vite, ensemble on va plus
loin ».
Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté