Contrats cadres interprofessionnels : un intérêt commun

12 décembre 2017

 

Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté est Maître de conférences en droit privé à l’

Université de Poitiers et attachée au centre d’étude et de recherche sur les territoires et l’environnement (CERETE). Elle nous livre son point de vue sur l’intérêt d’un contrat-type au sein d’une interprofession. Un parti pris assumé qui s’appuie sur une connaissance aigue de la réglementation et des pratiques dans les domaines agricoles en lien avec l’industrie

Les interprofessions négligent trop souvent

leur potentiel

de production normative.

Elles sont

nombreuses à se

concentrer sur un

petit nombre de missions,

pour une production normative a

minima : elles définissent des stratégies

techniques et commerciales qui bénéficient

à toutes les familles professionnelles

représentées. Cette discipline collective,

expression d’une gouvernance de filière,

est plutôt bien accueillie dans la mesure

où elle bénéficie à tous et n’interfère pas,

ou peu, dans les rapports économiques

individuels.

Le champ des possibles va pourtant bien

au-delà : l’interprofession est autorisée

par la loi à pénétrer au coeur de ces

rapports économiques individuels afin

d’imposer aux professionnels un certain

équilibre entre leurs intérêts divergents.

Elle dispose, pour y parvenir, de plusieurs

outils au titre du régime contractuel organisé

par le Code rural. Par le truchement

d’un accord interprofessionnel, la

filière peut « activer » le mécanisme de

la contractualisation et rendre obligatoire

le recours à un contrat de vente durable,

écrit et contenant certaines mentions obligatoires.

L’interprofession peut aller plus

loin encore et imposer un contrat-type de

vente : cette compétence lui est accordée

par la réglementation française autant

qu’européenne. Il ne s’agit plus alors de

développer, défendre ou représenter,

mais bien de… négocier.

Le contrat-type de vente est défini dans

un accord interprofessionnel susceptible

d’être étendu par l’autorité administrative

(et éventuellement soumis pour avis à

l’Autorité de la concurrence). De la sorte,

l’interprofession impose aux acteurs

concernés des modèles de clauses qui

concernent pour l’essentiel l’équilibre en

pouvoirs, largement compris : modalités

de révision et de résiliation du contrat,

préavis de rupture mais aussi règles appli-

sens… elles ont souvent cédé le jour de

la naissance de l’interprofession. Celle-ci

a depuis longtemps atteint le pré carré,

surtout lorsqu’elle est reconnue en qualité

d’organisme de défense et de gestion.

Lorsqu’elle impose un cahier des charges,

en effet, des règles de conditionnement,

d’étiquetage ou de circulation, elle agit

sur le coeur même du contrat : l’objet.

cables en cas de force majeure, calendrier

de livraison ou clause de réserve de propriété…

Ces modèles de clauses peuvent

aussi concerner l’équilibre en valeur :

critères et modalités de détermination du

prix (mais pas la détermination du prix)

ou principe de prix plancher (mais pas le

prix plancher). Ni sur mesure ni prêt-àporter,

la clause-type désigne l’environnement

juridique au sein duquel évoluent les

contractants, qui demeurent libres d’individualiser

leur relation. Aucune action

interprofessionnelle directe sur le prix

n’est autorisée : sa négociation est absolument

abandonnée aux partis. La législation

rurale confie à un autre acteur, le cas

échéant, le soin de rééquilibrer le pouvoir

de négociation pour une meilleure répartition

de la valeur ajoutée : ce sont les organisations

de producteurs ou leurs associations,

dans les limites posées par le droit

français et européen de la concurrence.

L’interprofession peut cependant diffuser

des informations destinées à éclairer les

négociateurs, dès lors qu’il ne s’agit pas

de recommandations de prix. Améliorer la

transparence économique ressortit pleinement

à ses compétences. C’est aujourd’hui

du reste un enjeu prioritaire et transversal

des réglementations contractuelles : droit

commun des contrats, droit commercial

et droit rural travaillent ensemble à plus

de transparence car l’opacité est toujours

une menace qui pèse sur la solidité et la

pérennité d’une filière.

Mais l’affaire n’est pas simple. Les professionnels

des familles représentées

entendent tenir l’interprofession à bonne

distance des contrats qu’ils concluent.

Sauf que ces fortifications n’ont guère de

Du reste, l’intérêt actuel des pouvoirs

publics pour l’équilibre des relations

commerciales agricoles, réaffirmé dans

le cadre des états généraux de l’alimentation,

devrait inciter les interprofessions

à s’emparer pleinement et rapidement de

l’outil contractuel, et les professionnels

à lever leurs dernières réticences. L’idée

est simple : s’ils ne le font pas lorsque les

vents sont favorables, les pouvoirs publics

risquent bien de le faire à leur place

lorsque les vents tourneront. Les rapports

économiques individuels ne seront

plus alors encadrés par des contratstypes

négociés collectivement mais par

des règles d’ordre public, imposées par le

haut.

Reste que la culture de la négociation ne

se décrète pas. Un chemin existe cependant

pour une transition en douceur : la

rédaction d’un guide de bonnes pratiques

contractuelles, sans portée normative.

Ce droit mou lèvera à n’en pas douter les

derniers obstacles psychologiques et techniques

au développement d’un dialogue

véritable au sein de l’interprofession. Ces

fiançailles contractuelles permettront à

chacun de faire l’expérience de ce que si

« seul on va plus vite, ensemble on va plus

loin ».

Raphaèle-Jeanne Aubin-Brouté

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