L’agriculture et l’élargissement à 25

18 septembre 2009

En désignant les pays jugés prêts, le sommet européen de Copenhague des 12 et 13 décembre dernier a ouvert la voie à l’élargissement de l’Europe à 25 à l’horizon 2004. Ce n’est pas le premier élargissement vécu par l’Union européenne mais il s’agit certainement du plus lourd à traiter, à la fois par son poids – intégration de dix nouveaux pays, représentant 75 millions d’habitants – et par les difficultés particulières qu’il pose. Les candidats à l’élargissement, qui appartiennent pour la plupart aux ex-économies socialistes, affichent une somme de retards et de frustrations qu’ils aspirent légitimement à combler. En ce sens, la Politique agricole commune a des chances de se retrouver au cœur de la problématique, à la fois par la dominante agricole des nouveaux arrivants et par la promesse d’aides communautaires qu’elle porte en elle.

 

Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Lettonie, Lituanie, Estonie, Chypre et Malte… Le 1er mai 2004, huit pays d’Europe centrale et orientale ainsi que les deux îles de Chypre et de Malte intégreront officiellement l’Union européenne, après avoir signé le traité d’adhésion le 16 avril 2003 à Athènes. La Roumanie et la Bulgarie suivront en 2007. La Turquie, elle, devra se contenter d’une date conditionnelle – 2004 – pour le lancement de ses négociations avec l’Union. Quarante-cinq ans après la signature du traité de Rome, l’Union européenne vit donc son cinquième élargissement. C’est en 1957 que l’Europe signe son acte de naissance, autour des six membres fondateurs, Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas. Sur fond de reconstruction, l’union sacrée autour de l’idée européenne cimente le groupe des pionniers. Seize ans plus tard, en 1973, un tout autre climat préside à l’arrimage du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni au bateau Europe. Des questions quasi philosophiques se posent alors. Le libre-échangisme à l’anglo-saxonne va-t-il faire éclater l’idée d’unité européenne ? Avec la Grèce en 1981, l’Espagne et le Portugal en 1986, l’Europe se trouve confrontée à une problématique bien différente : faciliter l’intégration de trois pays du sud de l’Europe accusant des retards économiques forts. Pari gagné, après plusieurs années de financement communautaire à haute dose. A côté, l’élargissement à l’Autriche, la Suède et la Finlande en 1995 fera presque figure de simple formalité administrative.

Des motivations politiques

Des motivations politiques guident ce nouvel élargissement à 25. L’Europe de l’Ouest et celle de l’Est, artificiellement séparées pendant quarante ans de guerre froide se « ré » unifient, tirant un trait sur les conférences de Potsdam et de Yalta qui avaient divisé l’Europe en deux camps opposés en 1945. D’aucuns ont pu dire que l’ouverture de l’Union européenne aux pays de l’ex bloc socialiste était programmée au soir de la chute du mur de Berlin, en 1989. Mais cette vision politique, sur fond de stabilité et d’unité du continent européen, ne doit pas masquer les attentes économiques des pays candidats. Ces derniers ont dû consentir de lourds sacrifices, en termes de coûts sociaux, pour mettre leurs pays en état d’affronter la concurrence du marché économique. En retour, ils entendent bien recueillir les dividendes de leur adhésion. Vision politique et vision mercantile cohabitent donc au sein de ce nouvel élargissement, dont la phase préliminaire se termine sous la présidence danoise de l’Union européenne.

A Copenhague, un pays comme la Pologne a très âprement négocié son entrée dans l’Europe, bataillant jusqu’au bout pour obtenir davantage d’aides. Une augmentation des quotas laitiers, la libre circulation des infirmières, le maintien d’un taux réduit de TVA sur les constructions neuves… telles furent les dernières concessions arrachées par les négociateurs polonais aux Quinze. Ne faisant pas preuve d’une exceptionnelle générosité, ces derniers sont restés fermes sur l’objectif qu’ils s’étaient fixé au sommet de Berlin de mars 1999 : ne pas consacrer plus de 42,6 milliards d’euros à l’élargissement. L’explication donnée aux pays candidats : « L’état de vos économies, l’absence d’infrastructures administratives et financières limitent votre capacité “d’absorption” des aides communautaires, en particulier agricoles. » Au total, le coût de l’élargissement sera de 40,8 milliards d’euros de 2004 à 2006, soit environ 25 euros par an/habitant pour les 380 millions d’Européens de l’Ouest, les 75 millions d’habitants des pays candidats recevant pour leur part environ 120 euros par an. Globalement, les nouveaux venus capteront en 2004, 2005 et 2006 0,15 % du PIB (Produit industriel brut) européen tandis que les Quinze en conserveront 1 %.

Aide à l’agriculture et fonds structurels

Les aides vouées à l’élargissement se déclinent en deux grandes masses : d’un côté les aides à l’agriculture, de l’autre les fonds structurels destinés aux grands projets d’infrastructures. Ces aides représenteront respectivement 10 et 22  milliards d’euros, le solde allant aux contrôles des frontières, à la sûreté nucléaire et à des mesures internes et budgétaires. La négociation de Copenhague ne vaut que jusqu’en 2006. Le sommet à peine terminé, le débat sur l’avenir des politiques communes en Europe – agriculture, aides régionales – va s’ouvrir, comme celui du financement de l’Union européenne pour la période 2007-2013.

Les pays candidats voulaient bénéficier des aides PAC dès leur adhésion. L’accord de Berlin de mars 1999 ne l’a pas prévu ainsi. Les propositions retenues ont été celles d’un versement progressif des aides directes en deux étapes. Au cours de la première étape (2004-2006), les aides directes seraient introduites partiellement dans les nouveaux Etats membres au rythme de 25 % des montants actuels en 2004, 30 % en 2005, 35 % en 2006. Dans une deuxième étape (2006-2013), les aides directes augmenteraient progressivement pour atteindre 100 % de l’existant en 2013. Parallèlement, se mettrait en place une politique de développement rural renforcée, dotée de moyens financiers importants (mesures cofinancées par l’Union européenne au taux maximal de 80 %), afin de faire face aux problèmes structurels des zones rurales. Ce soutien a d’ailleurs été anticipé, grâce à une stratégie de pré-adhésion décidée par le Conseil européen de Berlin de 1999, dans le cadre de l’Agenda 2000. Avaient été mis en place à cette occasion plusieurs programmes : programme PHARE (1,5 milliard d’euros par an) destiné au renforcement des administrations et aux investissements des PME ; programme ISPA (1 milliard d’euros par an) destiné aux infrastructures de transport et à l’environnement ; programme SAPARD (500 millions d’euros par an) destiné à l’agriculture et au développement rural.

Une adhésion avec obligations

Pour les nouveaux membres de l’Union européenne, l’adhésion n’ira pas sans obligations. Le principe de base de l’élargissement est la reprise intégrale de « l’acquis communautaire actuel » par le pays candidat, c’est-à-dire de l’ensemble de la législation communautaire et la mise en place des structures administratives pour le mettre en œuvre. La Commission a clairement indiqué que l’élargissement ne devait, en aucun cas, entraîner une diminution du niveau de protection du consommateur. Un vœu pieu ? En tout cas, il paraît difficile que l’Union européenne face l’économie de périodes transitoires, pour faire face au challenge énorme de la mise à niveau. Un autre challenge s’annonce à l’horizon. Comment faire vivre ensemble 25 pays disparates ? Ce qui n’était déjà pas facile à Quinze risque de devenir une véritable gageure à 25. Aujourd’hui, le fonctionnement de l’Union repose sur trois piliers : le Conseil des ministres (15 membres), le Parlement européen (626 députés) et la Commission européenne (20 commissaires). Le Conseil des ministres décide et fixe les grandes orientations politiques, le Parlement européen co-décide (politique régionale, politique de l’environnement, politique sanitaire…) ou rend un avis (politique agricole), la Commission propose. L’Europe a envie de faire perdurer la « méthode communautaire », basée sur l’équilibre des trois institutions (Conseil, Commission et Parlement). Mais elle sait aussi que l’élargissement dicte une évolution du cadre institutionnel. L’Europe devient trop vaste pour s’accommoder de méthodes de travail conçues pour un « club » plus restreint. Question : faut-il tirer une croix sur le passé et imaginer de nouvelles formes d’indépendance ou tenter de faire perdurer le modèle intégrateur, tel que l’UE l’a pratiqué depuis cinquante ans ? Sur ce choix fondamental et qui conditionnera la suite, l’Europe des Quinze ne sera pas la seule à décider. C’est un consensus à vingt-cinq qu’il faudra dégager, avec une règle démocratique simple : une nation, une voix.

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