Congrès de la CNAOC. Négociations européennes, le discours de la méthode

23 juillet 2014

Pour son congrès, qui s’est tenu cette année en Avignon, la Confédération nationale des AOP viticoles s’est concentrée moins sur le fond que sur la forme ou, plus exactement, elle a débattu des conditions de la négociation européenne. Pour cela, elle s’est penchée avec ses invités sur deux exemples : le dossier déjà ancien du « Coupé/rosé » et bien sûr celui de l’encadrement des plantations.

 

 

Est-ce de tenir ses travaux dans l’enceinte du palais des Papes qui inspira à la CNAOC le choix de son temps public ? Sans doute la Cour pontificale avignonnaise (1305-1377) a-t-elle connu de ces négociations serpentines pour élire un pape.

Dans une tout autre sphère, celle de l’Union européenne, la négociation est aussi affaire de temps, de tractations, de lutte d’influences, de constitution d’alliances. Bien souvent, c’est sur la distance que se juge un bon ou un mauvais accord.

Le jeudi 10 avril, jour de son congrès, la CNAOC avait en ligne de mire une négociation fondamentale pour son secteur d’activité, ce fameux « acte délégué » de la Commission européenne qui, peu ou prou, va conditionner l’encadrement des plantations nouvelles.

Rappel des faits. Le 25 juin 2013, le Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE, dans le cadre de la réforme de la PAC, a donné son feu vert à l’accord politique sur le maintien de l’encadrement des plantations, jusqu’en 2030. Mais, depuis le traité de Lisbonne, la Commission européenne a hérité d’une prérogative importante, celle de pouvoir proposer les règles d’application des textes votés par le Parlement et le Conseil. En d’autres termes, les deux instances politiques posent le cadre et la Commission s’occupe des détails. Cependant, chacun sait que le diable se cache souvent dans les détails. D’où la réflexion circonspecte de Bernard Farges, président de la CNAOC, à Avignon : « Nous avons bien les murs mais ils nous manquent le toit, la porte, les huisseries. » La crainte de toute la communauté viticole ! Que, par un tour de passe-passe, l’accord politique sur la régulation du potentiel de production se retrouve détourné de ses objectifs initiaux.

Car, ce n’est un secret pour personne. Depuis le début (2008), les fonctionnaires européens de la DG Agri ont soutenu le projet de libéralisation des droits de plantation. Ont-ils « digéré » le retour vers plus de régulation ? En tout cas, les deux tendances cohabitent toujours au sein de la Commission, la tendance de la DG Agri et celle du commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos.

Un nouveau champ de négociations

En ce mois d’avril 2014, à quelques mois de l’échéance annoncée (projet d’acte délégué de la Commission), chacun était bien conscient qu’un nouveau champ d’intenses négociations s’ouvrait entre les différents protagonistes : Commission d’un côté, Etats membres, Parlement européen, groupes d’intérêts (lobbying) de l’autre. Les négociateurs allaient-ils travailler sans filet ? Pas tout à fait. En dernier ressort, le Parlement européen dispose d’un droit de veto. Le traité de Lisbonne prévoit en effet que si l’acte délégué de la Commission ne satisfait pas le Parlement, il peut le rejeter. Par contre, si le Parlement ne s’exprime pas à l’issue des deux mois du dépôt de texte, son silence vaut approbation. Mais, comme le soulignait Astrid Lulling à Avignon, rien ne vaut l’anticipation. « Je défends, dit-elle, la méthode qui consiste à “tuer dans l’œuf” les initiatives qui ne nous plaisent pas. » Avec l’accent luxembourgeois.

Ce sont de toutes ces arcanes de la négociation dont le dernier congrès de la CNAOC s’est fait l’écho. Le parterre d’invités était constitué de Michel Dandin, député européen, rapporteur pour le Parlement de Strasbourg d’un volet de l’OCM unique, Astrid Lulling, encore présidente à l’époque de l’Intergroupe Vin, Fruits et Légumes, Tradition et Alimentation de Qualité au Parlement européen, Thierry Coste, président du groupe de travail vin du Copa-Cogeca, Julien Turenne, sous-directeur de la production et des marchés à la DGPAAT (ministère de l’Agriculture) et les politiques de l’étape, François Patriat, sénateur de la Côte-d’Or, vice-président des élus de vigne et du vin, Françoise Grossetête, députée européen, conseillère régionale Rhône-Alpes.

Coupé/rosé

Si un dossier européo-viticole a défrayé la chronique en son temps, ce fut bien celui du « Coupé/rosé ». Pour résumer, la Commission européenne, dans le cadre de la réforme de l’OCM vin, proposait de pouvoir élaborer du rosé par coupage entre vin rouge et vin blanc. Vive opposition de la France. La région des Côtes-du-Rhône devint l’épicentre de la contestation avec un Christian Paly, président d’Inter-Rhône, en tête de pont de la résistance. « Ce fut un épi-
sode assez scandaleux de la fin de mandature du précédent commissaire européen à l’Agriculture (Marian Fischer-Boël – ndlr) » a commenté sobrement Françoise Grossetête. La mobilisation de l’opinion publi-que mais aussi la montée au créneau des députés européens, notamment à travers l’Intergroupe vin, viendront à bout de la position d’un commissaire européen pourtant déterminer à ne pas bouger. « Vous pouvez nous faire confiance. Quand nous sommes convaincus que ce n’est pas bon, on y va » a lâché l’intrépide Astrid Lulling, 85 ans.

Hommage à Astrid Lulling

Lors des dernières élections 2014 du Parlement européen, la vieille dame ne s’est pas représentée. Elle ne briguera donc pas un nouveau mandat à la tête de l’Intergroupe vin, un Intergroupe qu’elle a animé de son incomparable énergie, de son courage et de son esprit délié. Hommage lui a été rendu à Avignon où elle a reçu la médaille de la ville et surtout une ovation chaleureuse et nourrie de la profession.

Dans le dispositif de négociation européenne, les intergroupes jouent un rôle majeur bien qu’informel. A proprement parler, ce ne sont pas des organes du Parlement. Leur mission ? Faire remonter les dossiers, assurer les contacts entre les députés et la société civile, sensibiliser les autres parlementaires sur les questions en débat. Composé de députés motivés par la thématique, l’Intergroupe sert de relais privilégié. Sous la précédente mandature, le nombre d’Intergroupes s’élevait à 27, dans des domaines très variés : Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle (!), Média, Ville, Tibet, Ciel et espace, Droits des lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, Petites et moyennes entreprises, Changement du climat, biodiversité… Demain, combien seront-ils ?

Car, à chaque élection du Parlement, leur existence est remise en cause. Pour fonder un Intergroupe, il faut recueillir trois signatures, de trois groupes politiques. L’Intergroupe vin figure comme le plus ancien du Parlement. Créé en octobre 1994, il compte une centaine de membres et a su faire évoluer son périmètre pour trouver l’assise nécessaire. Aujourd’hui, il intègre les Fruits et Légumes ainsi que la dimension « Tradition et Alimentation de qualité ». Il risque encore d’évoluer lors de la prochaine mandature. « Chacun peut s’y inscrire, quelle que soit sa couleur politique. Nous prenons tout le monde ! » a lancé, mutine, Astrid Lulling.

L’idée que le Parlement européen trans-cende en grande partie les clivages politiques a été reprise par Michel Dantin. En 2008, le député européen (région Sud-Est) fut « la » cheville ouvrière qui a permis de faire machine arrière sur la dérégulation des droits de plantation, votée en 2008. « Je n’ai pas beaucoup de mérite car je l’ai fait en plein accord avec ma conscience. J’étais déterminé et convaincu qu’il fallait revenir sur le texte. »

Lobbying

Il a vécu en direct « le lobbying forcené des pays consommateurs pour la suppression des droits de plantation. » Parallèlement, il se souvient du travail en profondeur réalisé avec les élus du sud de l’Europe, ses homologues espagnols, portugais, italiens, roumains, hongrois, grecs. Il en est convaincu ! Sur les questions agricoles, la ligne de fracture européenne est moins dictée par des idéaux politiques que par une diversité d’appréciation culturelle et même cultuelle (liée à la religion). A la convivialité des Latins, leur goût pour les saveurs s’oppose la rigueur et même la vision hygiéniste des pays du Nord. Pour défendre son point de vue, Il faut donc mobiliser les élus nationaux et travailler en réseau. A Bruxelles, la France souffrirait, dit-on, d’une image d’arrogance – « le coq gaulois chantant sur son tas de fumier ».

Les députés européens le disent tous : « A six c’était jouable, à neuf peut-être encore mais à vingt-huit cela ne passe plus. Il faut trouver des majorités et pour que ces majorités existent, il faut forcément nouer des alliances. » « La bonne stratégie n’est pas de rechercher à qui revient la faute mais de trouver des convergences d’intérêts. »

Thierry Coste, président du groupe vin du Copa-Cogeca, partage cette approche. Pour lui aussi, le modèle politique européen ressemble à celle de la mosaïque : être capable de se retrouver à l’intérieur d’une proposition et donc tisser des compromis. Si le compromis incarne en quelque sorte l’alpha et l’oméga de la négociation communautaire, la plateforme en représente son modèle. Hier, la plateforme de négociation des GHN (groupes à haut niveau) sur les droits de plantation, proposée par Dacian Ciolos, avait permis d’aboutir à un accord, en sortant de la négociation « par le haut ». Au congrès de la CNAOC, les professionnels ont demandé la création d’une telle plateforme pour la négociation de l’acte délégué. Les députés européens présents les ont rassurés sur leur engagement. « Le Parlement européen a un rôle à jouer et c’est sûr qu’il le fera, quel que soit le résultat des élections. »

Côtes-du-Rhône – Un chapelet d’appellations

De Marseille à Lyon, sur près de 300 km, les 171 communes viticoles des Côtes-du-Rhône s’égrènent de part et d’autre du fleuve éponyme. Un flamboyant chapelet de vins, des plus fins aux plus ensoleillés.

Saint-Joseph, Crozes-Hermitage, Côte-Rotie, Gigondas, Vacqueyras, Beaumes-de-Venise, Châteauneuf-du-Pape, Tavel…. Toutes ces appellations se fédèrent sous la bannière des Côtes-du-Rhône. De Vienne près de Lyon à Nîmes, aux portes de Marseille, les vignes jouent à saute-mouton, de part et d’autre du Rhône. Il y a l’appellation générique Côtes-du-Rhône, les 18 Côtes-du-Rhône Villages, les 16 crus (Saint-Joseph, Crozes-Hermitage… Gigondas, Vacqueyras…) et les deux Vins doux naturels (Rasteau et Muscat de Beaumes-de-Venise). En tout, une petite trentaine d’appellations méridionales et septentrionales qui, sur 70 000 ha, aura produit en 2013 un peu plus de 2,5 millions d’hl vol. Le vignoble est exploité par environ 5 000 producteurs. Philippe Pellaton, de la commune de Laudun dans le Gard (Côtes-du-Rhône Village), préside le Syndicat général des vignerons des Côtes-du-Rhône. Le négoce commercialise environ les deux tiers des volumes, le solde étant vendu en direct par les producteurs. Avec 137 millions de cols, l’exportation absorbe 34 % des quantités.

A 40 mn d’Avignon, une petite merveille géologique se dessine à l’horizon, les Dentelles de Montmirail. C’est le domaine du Gigondas, vin puissant et charpenté. Tout près, dans le sillage des Dentelles, se niche le petit vignoble de Vacqueyras – petit par la surface, grand par la réputation – dont le vin, dit-on, plaît aux palais féminins.

Les Dentelles de Montmirail sont nées à l’ère tertiaire. Lors du plissement alpin, une plaque sédimentaire de 6 mètres d’épaisseur fut brisée en trois parties. Faites de calcaire très dur, les Dentelles s’élèvent à 400 m d’altitude. Leur magie tient à la beauté du paysage mais aussi à ces parois verticales de 100 mètres de hauteur qui offrent de magnifiques voies d’escalade (plus de 850). S’y pressent les amateurs aimant défier les lois de l’apesanteur (technique de hightline).

Avant le gel de 1956, il y avait plus d’oliviers que de vignes sur les pentes du massif, même si la présence de la vigne est attestée depuis le XIVe siècle. Depuis, l’essor de la vigne ne s’est pas démenti. Plus de 80 propriétaires y possèdent des parcelles viticoles.

Si les Dentelles de Montmirail évoquent un feston aérien (d’où leur nom), il arrive parfois de les comparer « à des dents sur une gencive ». Beaucoup moins poétique. C’est ainsi que les petits pics s’appellent le croc, le caïman ou, plus joli, « la dent sarrasine ». Des belvédères, un petit miracle se produit tous les matins : aux alentours de 10 heures, émerge de la brume la vallée du Rhône. Au loin, se profile le mont Ventoux, porte de la Provence. Le mont Ventoux où, dit-on, les quatre saisons se succèdent dans la journée.

dernière minute

A fin juin, le projet de texte de la Commission européenne sur l’acte délégué n’était toujours pas paru. Les discussions se poursuivent aux termes d’une négociation dite « des petits pas » entre services de la Commission et cabinet du commissaire. Suite à la réunion d’un groupe d’experts courant juin, un texte a bien circulé, sans manifestation concrète. Une nouvelle réunion du groupe d’experts est prévue en juillet. Il est possible que le texte définitif ne sorte qu’en septembre, après les congés d’été.

 

 

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