congrès de la CNAOC, changement climatique : un sujet d’une brûlante actualité

29 juillet 2015

Après plusieurs années consacrées à l’évolution du régime des plantations, le congrès 2015 de la CANOC* a joué la rupture en s’attaquant à un sujet d’une brûlante actualité, le changement climatique. En 2050 – autant dire tout de suite – les prévisionnistes les plus posés annoncent une augmentation des températures de 2 °C, sans savoir si ça s’arrêtera là. Quel impact le réchauffement aura-t-il sur le vignoble, les vins, les appellations ? Comment s’y adapter ? Bernard Farges, le président de la CNAOC, parle d’une vraie ambition des AOC sur le sujet. « Pas question de laisser à d’autres segments la capacité d’innover. L’AOC est un concept moderne et le restera. »

 

 

p26.jpgA Sancerre, fin avril, il faisait beau. Sauvignon et Pinot noir, les deux cépages emblématiques du cru, commençaient à poindre et les enjambeurs déboulaient dans les vignes. Enfin, pas tous. Gilles Guillerault, le jeune président de l’UVS (Union viticole sancerroise), avait convoqué collègues viticulteurs et engins agricoles pour une opération coup de poing. « Non au détournement de notoriété ! » proclamaient les banderoles. Une manière musclée de signifier que, non, la planète viticole n’en a pas fini avec le nouveau régime d’autorisation de plantations et ses questions de gouvernance. Des points restent en suspens, comme celui de l’étanchéité entre segments (voir article page 29). Message reçu 5/5 par les représentants du ministère de l’Agriculture, présents au congrès.

La grand-messe annuelle des appellations a poursuivi son cours qui, cette année, n’était pas celui des droits de plantation mais du climat, du changement climatique plus exactement. Volonté de la famille des appellations de se projeter dans un avenir lourd d’enjeux pour elle, en se posant les bonnes questions. Et de coller aussi à un agenda, celui de la COP 21, la Conférence de Paris. Car du 30 novembre au 11 décembre 2015, Paris va recevoir la Conférence des Nations Unies sur le climat. Son objectif : tenter d’amener tous les pays à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de contenir, à horizon 2050, le réchauffement climatique en-deçà des 2 °C.

Une autre actualité, plus factuelle, interpelle aussi le monde viticole. En 2012 a été lancé le projet Laccave, un important programme d’étude sur l’adaptation du secteur viticole aux changements climatiques. Toutes disciplines confondues, les moyens en France mobilisent 24 laboratoires et 70 chercheurs. L’entreprise est coordonnée par deux scientifiques : Jean-Marc Touzard, économiste à l’INRA-UMR (Unité mixte de recherche) innovation/climat, et Nathalie Ollat, de l’INRA de Bordeaux, Bordeaux où aura lieu, du 11 au 13 avril 2016, la première restitution.

A + 2 °C, c’est jouable !

Présent au congrès de la CNAOC, Jean-Marc Touzard a livré en avant-première la conclusion des travaux.

En bref, si les températures augmentent d’un ou deux degrés d’ici à 2050, « c’est jouable ». Vigne et viticulteurs sauront s’adapter aux variations climatiques sans trop de dommages, comme ils le font depuis 5 000 ans. Mais si le réchauffement se traduit par 3, 4 voire 5 °C supplémentaires, « alors là, force est de constater que la carte du vignoble de France explosera et/ou qu’il faudra faire face à un besoin d’innovation bien plus radical », a prévenu J.-M. Touzard. D’où des rendez-vous capitaux comme la COP 21.

Changements climatiques

Au terme de « réchauffement », les chercheurs préfèrent de loin celui de « changement climatique ». Car l’augmentation des températures n’est pas, loin s’en faut, la seule manifestation du dérèglement climatique. Y participe aussi la fréquence accrue des accidents climatiques : vague de chaleur comme celle de 2003, épisodes de grêles, périodes de sécheresse… Même si des incertitudes statistiques persistent, les prévisionnistes estiment que cette fréquence des accidents va se poursuivre et s’accentuer dans toute l’Europe.

Quels impacts pour la vigne et le vin ? L’une des manifestations les plus visibles de la hausse des températures est bien sûr l’avancement de tous les stades de développement de la vigne.

Déjà, dans l’ensemble des vignobles ou presque, les vendanges ont gagné deux à trois semaines de précocité. Le phénomène de surmaturité se traduit par une augmentation du taux de sucre et donc d’alcool dans le vin, mais aussi par une baisse de l’acidité.

En moyenne, dans le Languedoc-Roussillon, les vins ont gagné 2 % vol., passant de 11,5 à 13,5 % vol. Quid du caractère aromatique des vins, de la tenue de leur couleur, de l’adaptation des cépages au climat ?

En 2050, le cépage phare du Bordelais, le Cabernet-Sauvignon, pourrait faire son lit d’un climat plus frais comme celui de la Bourgogne. « Il y a de multiples impacts en cascades », commente J.-M. Touzard. Augmentation des risques climatiques ici, progression des rendements là, pression sanitaire accrue, en sachant « que la réponse ne pourra pas venir des seuls intrants chimiques ».

Avec des zones de coteaux aux sols trop asséchants et des zones de plaine aux réserves hydriques intéressantes, la hiérarchie des terroirs pourrait bien se trouver un jour bousculée.

Stratégies d’adaptation

Toutes ces questions renvoient aux stratégies d’adaptation. Comment faire en sorte que le climat ne représente pas un obstacle infranchissable ? Comment éviter que la viticulture devienne, en se libéralisant totalement, une viticulture nomade ? « Il n’existe pas de solutions clé en main, confirme le chercheur. L’adaptation passera par une série de leviers. »

C’est tout l’objet des travaux en cours. Clones bien adaptés, variétés plus tardives, hybrides résistant aux maladies, nouveaux modes de conduite, évolutions éventuelles des aires d’appellation…

« L’important, précise le scientifique, c’est que toutes ces techniques soient gérées à l’échelon local. Il faudra revisiter l’hétérogénéité du terroir, repenser la manière de s’adapter aux écarts de températures. Demain, la différence de deux degrés entre fonds de vallée et flancs de coteaux pourra peut-être aider à neutraliser en partie le changement climatique. »

Changer pour ne pas changer

Ce travail de prospective, la profession viticole l’a déjà largement entamé, en partenariat avec ses organismes de gestion FranceAgriMer, INAO. La philosophie ambiante pourrait se résumer d’une formule : « Changer pour rester » ou encore « que tout change pour que rien ne change ».

« Le cahier des charges de l’appellation n’est pas gravé dans le marbre », a approuvé Eric Rosaz, responsable du pôle vin à l’INAO. Aujourd’hui, nombre d’appellations réfléchissent à l’évolution de leur encépagement. En la matière, trois grands types de demandes s’expriment.

• Il y a d’abord l’introduction, dans le cahier des charges, de cépages « reconnus » du type Chardonnay, Sauvignon… Ainsi, le Muscadet soutient-il une demande auprès de l’INAO pour ajouter à sa liste des cépages autorisés le Colombard et le Chardonnay.

• Une autre évolution porte sur la reconnaissance de nouveaux cépages issus du croisement de deux parents Vitis vinifera (type Follignan, en Charentes, déjà inscrit sur la liste des cépages Cognac). Cette voie de « progrès » commence à connaître une véritable ampleur.

• Enfin, existe toute la démarche autour de nouveaux cépages non OGM issus de l’hybridation, résistant à certaines maladies.

« Nous ne nous interdisons rien en termes d’expérimentations », indique le Comité national de l’INAO (voir article page 31).

Après, reste à régler des « points de détail » qui n’en sont pas vraiment. Par exemple, quel sort réserver aux produits issus de l’expérimentation ? En d’autres termes, peut-on les commercialiser quand, une fois arrivés au stade de l’expérimentation grandeur nature, les volumes deviennent significatifs ? Une vraie question qui interpelle toutes les régions d’appellation ou presque.

Expérimentations et commercialisation

A Sancerre, Eric Rosaz, de l’INAO, a livré un point précis sur le sujet (voir encadré). « Aujourd’hui, a-t-il dit, le cadre réglementaire est assez simple. On ne peut pas commercialiser un vin sous une appellation sans que ce vin respecte entièrement le cahier des charges de ladite appellation. » « L’INAO, a-t-il poursuivi, est absolument d’accord pour que les vignobles expérimentent de nouvelles variétés, de nouvelles pratiques œnologiques. Là n’est pas le problème. Après, il faut trouver un cadre juridique à la commercialisation de ces produits qui ne correspondent pas exactement aux critères du cahier des charges. » « La profession, a-t-il indiqué, pousse très fort pour obtenir, dans certains cas, la possibilité de vendre sous signe de qualité ». « Le ministère de l’Agriculture est en train de travailler le sujet », a-t-il signalé.

En conclusion au congrès, Bernard Farges, président de la CNAOC, a insisté sur la dimension « projection sur l’avenir ». « Aujourd’hui et après plusieurs années consacrées au dossier des autorisations de plantation, deux thèmes sont à mettre au-dessus de la pile : le changement climatique et la réduction des intrants. Nous devons nous y embarquer le plus vite possible et le plus collectivement possible. Pas question de laisser aux autres segments de vin la capacité d’innover. L’AOC est un concept moderne et le restera. »

(*) Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie d’appellations.

Commercialisation de produits issus de l’expérimentation
Le cadre juridique actuel
Pour ne retenir que les expérimentations liées aux cépages, plusieurs cas de figure sont à considérer.
– L’expérimentation porte sur une nouvelle variété qui n’appartient pas au classement des variétés dites de « raisins de cuve »* : en attente du classement éventuel du cépage, impossibilité de produire du vin et donc de le commercialiser.
(*) Seules les variétés de raisins de cuve sont autorisées à produire du vin. L’arrêté de classement (20/02/2009) publie la liste des quelque 250 cépages reconnus comme variétés de raisins de cuve.
– L’expérimentation porte sur une variété inscrite au classement des variétés de raisins de cuve : à ce jour, l’unique possibilité consiste à commercialiser ces vins en VSIG (vin sans indication géographique).
La demande des professionnels de certains vignobles AOC : pouvoir commercialiser les vins issus de l’expérimentation sous le signe de qualité du cahier des charges de l’appellation, en obtenant une évolution des règles françaises et communautaires.
Contrainte supplémentaire : suivant la réglementation communautaire, l’élaboration d’AOC ne peut se faire qu’à partir de variétés Vitis vinifera. Le croisement Vitis vinifera/Vitis ne peut produire, au mieux, selon l’OCM vin, que des IGP et non des AOP.

Environnement, « fonds de commerce » de l’appellation

Bernard Angelras, le président de la commission environnement de l’INAO, envisage presque comme une chance les nouvelles contraintes environnementales qui s’annoncent. « Comment ne pas se préoccuper de protéger notre territoire », dit-il. La région viticole des Costières de Nîmes, dont il préside l’ODG, a investi depuis une dizaine d’années charte paysagère, biodiversité et autres outils de développement durable.

« Depuis 30 ans, dit-il, sur mon exploitation, je me suis engagé à défendre des pratiques respectueuses. En protégeant le terroir, c’est notre patrimoine que nous défendons. » L’appellation Costières de Nîmes, née en 1986 sous le nom de Costière du Gard, fait partie des onze appellations des Côtes-du-Rhône qui s’égrènent sur près de 200 km le long du Rhône. Entre pentes cévenoles et Méditerranée, les Costières de Nîmes se situent à l’extrême Sud-Ouest de la vallée du Rhône. Sur ce petit vignoble de 4 500 ha, la « démarche de progrès » débute en 2004-2005, quand le syndicat viticole commence à réfléchir à une charte environnementale et paysagère. « Pour moi, commente B. Angelras, le paysage est quelque chose de très important, très identitaire. » La charte, signée en 2007, se complète d’un volet agriculture raisonnée (cahier des charges Terra vitis). En 2009, l’ODG Costières rejoint la charte de Fontevraud, réseau international qui fédère les vignobles français et européens soucieux de défendre leurs paysages viticoles. Dans le cadre d’un appel à projet lancé en 2009 par l’Agence de l’eau, l’ODG réalise un guide des bonnes pratiques annexé au cahier des charges de l’appellation (tournières, paillage, plantation de haies…). C’est sur une base volontaire – le président de l’ODG y tient – que les viticulteurs peuvent y adhérer. Le projet européen Life + Biodivine vient donner un nouvel élan. Comme le nom l’indique, il s’agit d’actions favorisant la biodiversité dans le vignoble (confusion sexuelle, diminution des intrants, enherbement, implantation de bosquets, jachère fleurie…). « Chez nous, indique le président de l’ODG, il y a plus de 200 ha de jachère fleurie en juin-juillet. C’est non seulement joli mais ça retient l’eau lors des “épisodes cévenoles”. » En 2013-0214, les Costières s’inscrivent dans un nouveau projet piloté par l’IFV (Institut français de la vigne et du vin, ex-ITV) : les laboratoires Paysages viticoles. Objectif : tester une méthodologie pour protéger, valoriser, aménager les paysages viticoles.

En tant que président de la commission environnement de l’INAO, B. Angerlas s’est donné une nouvelle mission : mettre au point un glossaire du développement durable, afin de savoir de quoi l’on parle. Ce dossier, transerval, est partagé par tous les signes de qualité sous bannière de l’INAO (labels rouges, agriculture bio…). « Sur cette voie de progrès environnemental, les AOC doivent être leaders », soutient Bernard Angelras.

 

 

 

 

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