Confédération paysanne : les petites fermes, la PAC et le PDRR (Plan de développement rural régional

20 novembre 2015

A Sousmoulins, petite commune proche de Montendre, la Confédération paysanne, le syndicat « pour une agriculture paysanne », a tenu  récemment une réunion d’information. La thématique ? « Les petites fermes et la PAC ». Participait au débat Benoît Biteau, membre de la Conf., mais aussi vice-président du Conseil régional Poitou-Charentes, président de la Commission ruralité, agriculture, pêche, cultures maritimes. A ce titre, c’est lui qui a porté le PDRR (plan de développement rural régional) pour la période 2015- 2020.

Sousmoulins, ça se mérite ! Dans ce Sud du département de Charente-Martime, le petit village de Sousmoulins se niche au fond de son vallon. Une église du XIe siècle, un peu plus de 200 âmes… Le tréfonds de la ruralité. Pour y aller, le GPS a coupé au plus court : routes vicinales, chemins de terre. Le retour se passera mieux, sur l’axe Montendre-Jonzac. Loin de La Rochelle, la capitale administrative, de Cognac (principal lieu ressources en matière viticole), le canton de Montendre n’est pourtant pas dénué d’atouts. Demain, il sera tout près de la capitale régionale, Bordeaux. Et saiton qu’à 50 km d’ici se situe le centre géographique de la nouvelle grande région, à Saint-Vincent-Jalmoutiers exactement, pas loin de l’étang de La Jemaye. Pour l’heure, entre pins et vignes, ce Sud-Charente- Maritime reste un creuset pour « la culture des petites fermes ». D’où le choix de la Confédération paysanne. Les rangs des participants n’étaient pourtant pas très étoffés ce mercredi 16 septembre à 21 heures. Il faut dire que la tornade venait de s’abattre sur quelques communes du Pays bas de Matha, immobilisant les agriculteurs de ces zones. Les personnes présentes sont du coin mais aussi de Saintes, Rétaud, Saint-Savinien, Sablonceaux. C’est le cas du nouveau porte-parole de la Conf. 17, Etienne Morel (éleveur de chevaux) et de Benoît Biteau, adhérent du syndicat mais aussi élu du conseil régional Poitou-Charentes (Commission ruralité- agriculture). A ce titre, c’est lui qui a inspiré le nouveau PDRR (plan de développement rural régional) pour la période 2015-2020. Sa présence à Sousmoulins, ce soir-là, donnera une coloration particulière à la réunion, ce qui n’empêchera pas les autres agriculteurs de s’exprimer.

« Maître de ses décisions »

Un petit film présenté en début de soirée donne le « la ». On y entend des membres de la Conf., de toutes les régions de France – « On est soumis à personne » – « L’autonomie pour être maître de ses décisions » – « Ne pas avoir de corde au cou » – « Nous étions des gens libres »… La Confédération paysanne défend une agriculture paysanne à taille humaine, solidaire, respectueuse des hommes et des animaux, qui doit correctement rémunérer ses producteurs. A l’écoute « des attentes sociétales et citoyennes », le syndicat prône une agriculture durable. « L’agriculture paysanne s’inscrit dans un territoire, privilégie la valeur ajoutée sur la quantité produite, la reproductibilité du système plutôt que la compétitivité à court terme. » Le maintien de la biodiversité, la protection de l’environnement, les circuits courts, des systèmes économes en intrants sont autant de points qui font sens à la Confédération paysanne. Les petites fermes familiales, une utopie, un modèle obsolète ? Pas tant que ça, selon le syndicat. « En Europe, la surface moyenne des exploitations ne dépasse pas 14,2 ha. En Allemagne, pays pourtant développé, la taille moyenne est de 17 ha. » La formation tient un discours critique vis-à-vis de la Politique agricole commune. « La PAC fait souffrir les paysans et le monde agricole en général ; 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs. La moitié des agriculteurs touchent moins de 500 € par an. »

La course à l’agrandissement

Le reproche viscéral qu’adresse le syndicat à l’agriculture européenne est d’attribuer des aides en fonction des hectares cultivés, entraînant ipso facto la course à l’agrandissement, le recours à de gros engins agricoles, à toujours plus d’intrants. « Si les subventions étaient calculées en fonction du niveau de main-d’oeuvre et donc de création d’emplois, on encouragerait les envies de retour à la terre ; on rémunérerait les pratiques favorables à la fois à l’économie et à l’environnement. Le passage à une agriculture moins polluante et moins exigeante en ressources naturelles nécessiterait forcément plus de salariés. » En introduisant le principe de conditionnalité puis de convergence des aides, la PAC n’a-t-elle pas commencé à inverser le cours des choses ? « Pas suffisamment et pas de la bonne manière », disent les adhérents de la Confédération. « La PAC dérégule l’agriculture et menace la biodiversité. Elle continue d’introduire une distorsion entre les très gros et les très petits. Nous assistons à une forme de cannibalisation des fonds publiques. » Pourtant, il y a bien eu plafonnement des aides à 300 000 €, avec un soutien supplémentaire aux 52 premiers hectares ! « C’est peut-être pour cela que nous avons vu les structures se saucissonner, avec une création exponentielle de GAEC. La logique de la mesure est détournée. » Ce que souhaiterait la Confédération paysanne, c’est une politique sociale et fiscale mieux adaptée aux petites fermes (un système de cotisations différent, plus juste) et, bien sûr, un soutien forfaitaire à l’actif (au travailleur) au lieu d’être à la surface. « Les petites fermes ont un vrai rôle à jouer en termes de développement rural et d’installation. »

Les régions gestionnaires des fonds européens

En janvier 2014, petite révolution ! L’Union européenne choisit de confier la gestion de ses fonds européens structurels et d’investissement (FESI) aux régions. Une revendication récurrente de ces mêmes régions qui, jusque-là, s’était soldée par une fin de non-recevoir. Désormais, les régions bénéficieront d’une plus grande latitude pour décider des clés de répartition des fonds structurels. Elles feront aussi office de guichet unique. Auparavant, l’argent transitait en partie par l’Etat, en partie par les régions. Quels fonds sont concernés ? Il y en a quatre : le fonds européen de développement régional (FEDER), le fonds social européen (FSE), le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) et le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Ce dernier correspond, en gros, aux aides du second pilier de la PAC (dont les MAE représentent pas loin de 40 % du budget). Pour mettre en musique leurs politiques – dire ce qu’elles veulent faire des enveloppes – les régions sont invitées à rédiger des documents programmatiques pour la période 2015-2020. Pour l’agriculture et la ruralité, ce sera le PDRR (plan de développement régional rural).

Trois axes forts

En tant que président de la Commission ruralité-agriculture au conseil régional Poitou-Charentes, un homme s’implique particulièrement dans l’écriture du PDRR : Benoît Biteau. « J’ai choisi de défendre trois axes forts, explique-t-il, l’installation, l’élevage et la qualité de l’environnement. » Ainsi, le Poitou-Charentes est elle la seule région française à soutenir de manière aussi déterminée l’agriculture bio et son volet conversion. De même existe un dispositif caprin très volontariste, des mesures de protection des races anciennes, des semences… Au titre du fonds FEADER, la région Poitou- Charentes hérite d’une enveloppe de 403 millions d’euros sur 6 ans (2015-2020, année 2015 incluse). A cette somme, il faut ajouter le complément Etat-Région. Car, selon la règle communautaire, pour lever 1 € d’aide, l’Europe s’engage pour un certain pourcentage, mais l’Etat et la Région doivent trouver le solde. Pour le Poitou- Charentes, la clé de financement s’établit de la façon suivante : 67 % pour l’Europe, 33 % pour les fonds « locaux ». C’est toute la finalité du Contrat de plan Etat-Région que de mobiliser ces fonds dits « locaux » qui viennent de l’Etat et de la région.

Calendrier 2015-2020

Assez logiquement, le calendrier du contrat de plan se calque sur celui du PDRR : 2015- 2020. En tout, entre fonds européens et fonds « locaux », la région Poitou-Charentes sera éligible – au titre du second pilier de la PAC – à 700 millions d’euros d’aides sur 6 ans soit, annuellement, 116 millions d’euros d’aides. Parallèlement, les aides du premier pilier représenteront, elles, 660 millions d’euros par an. Le conseiller régional pointe du doigt ce décalage de valeur : « Avec nos 116 millions d’euros annuels, nous dépassons à peine les 10 % du volume distribué annuellement par le premier pilier de la PAC. Dans ces conditions, nous ne pouvons qu’intervenir à la marge pour réparer les c… du premier pilier. J’aurais aimé qu’une partie de ce premier pilier soit aussi régionalisée, peut-être à hauteur du verdissement de la PAC (30 % des 660 millions d’euros annuels). Nous aurions pu ainsi agir davantage en amont pour réorienter les pratiques culturales (agriculture bio autour des périmètres de captage, etc.). Aujourd’hui, nous consommons de l’argent public pour réparer ce que d’autres fonds publics ont contribué à dégrader, par leur soutien à l’agriculture intensive, etc. C’est un peu la politique du Shadok. Nous allons dans le mur ! ». Ceci dit, l’élu régional ne renie pas son PDRR, bien au contraire. « J’aurais fait ce que j’ai pu pour défendre une agriculture plus en phase avec les attentes sociétales et environnementales. » Fin septembre 2015, l’Europe a validé le PDRR de la région Poitou-Charentes.

Remise en cause

Reste une question : les grandes régions qui se profilent à l’horizon 2016 vont-elles venir bousculer les PDRR signés avant la fin 2015 ? Benoît Biteau a une vision très claire sur le sujet. « C’est vrai qu’Alain Rousset (président de la région Aquitaine NDLR) a tenté de vendre l’idée d’une “harmonisation” des trois PDRR Poitou-Charentes, Limousin, Aquitaine. Il n’en est absolument pas question ! Le PDRR est un contrat entre l’Europe et une région, en l’occurrence la région Poitou-Charentes. C’est une ligne directe entre Bruxelles et Poitiers. L’Etat n’y peut rien ni les autres régions. On ne remet pas impunément en cause un contrat, sauf à en prendre plein la tr… devant la Cour de justice européenne. Par ailleurs, ce serait une erreur stratégique fondamentale, dans la mesure où notre région bénéficie d’un taux de financement européen supérieur aux autres. » L’élu paysan l’affirme : « Nous avons bien cinq ans devant nous pour évaluer la pertinence de notre politique. »

p19.jpgBenoît Biteau (48 ans) se qualifie luimême de « paysan agronome ». Après un bac D’ au lycée agricole de Saintes puis un BTSA, il reprendra une dizaine d’années plus tard des études pour obtenir en 1997 un diplôme d’ingénieur agricole (ENITA de Bordeaux). Entretemps, il exerce comme technicien agricole à la coopérative de Cozes puis de Syntonie. Sensibilisé aux questions d’hydraulique agricole, de conservation des races anciennes, il occupe un poste de chargé de mission au conservatoire génétique du Centre-Ouest atlantique, puis sera l’un des directeurs techniques du Parc interrégional du Marais poitevin. En 2006, à Sablonceaux, il reprend la ferme de son père, Paul Biteau, (côté champs) tandis que son frère Jean-Jacques s’occupera de la partie vignes à partir de 2009 (J.-J. Biteau est responsable de la Commission communication-promotion du Syndicat des vins de pays charentais). Sous la conduite de Benoît Biteau, la ferme familiale rebaptisée « Val de Seudre Itdenti’terre » engage sa mue « écocitoyenne » : biodiversité, atelier de maraîchage bio, vente directe, conservation des races anciennes, gestion de l’eau, abandon du maïs irrigué, agroforesterie… Un laboratoire d’idées et de pratiques qui lui vaut en 2009 un prix national du développement durable et que Benoît Biteau va s’employer à relayer à travers son engagement syndical et politique. « La rentabilité de l’agriculture intensive est un leurre, ditil. Si l’on réintégrait les coûts cachés, comme le traitement des eaux polluées par les engrais et les pesticides, les produits qui en sont issus coûteraient beaucoup plus chers que le bio. Certaines villes l’ont compris. Confrontée à un problème de traitement des eaux, Munich a hésité entre construire une nouvelle station d’épuration et accompagner les agriculteurs. Elle a choisi la deuxième solution et s’est rendue compte que celle-ci coûte finalement 17 fois moins cher. C’est un peu schématique, mais si l’on réintègre ces externalités négatives, votre salade issue de l’agriculture intensive vendue 0,70 € coûte en fait 17 €. Alors que la bio à 1 € coûte réellement 1 €. Via nos impôts, l’agriculture traditionnelle est doublement subventionnée. Ce modèle qui touche le fond ne s’en sortirait pas sans les aides. » Membre du PRG (Parti radical de gauche), élu régional, il brigue un nouveau mandat lors des élections « grande région » des 6 et 13 décembre prochains. Sur la liste d’Alain Rousset (président PS d’Aquitaine), sur une autre liste ? « Je serai candidat mais je ne m’associerai pas à une liste à n’importe quel prix. Je souhaite faire vivre la politique publique que je défends », prévient B. Biteau.

 

 

Confédération paysanne : des actions pour le groupe

 

A l’individualisme, le syndicat paysan préfère la solidarité. Une de ses marques de fabrique.


« La Confédération paysanne, c’est plutôt un syndicat qui fonctionne pour le groupe », résume Chantal Bégaud, secrétaire générale (on dit porte-parole à la Conf.) de l’antenne 17 pendant 3 ans. La viticultrice de Villars-les-Bois vient de céder son poste à Étienne Morel, un éleveur de chevaux de Sablonceaux. Boulevard Vladimir à Saintes, le syndicat a un bureau. De manière ponctuelle, c’est Agathe Freniot qui occupe le poste d’animatrice. Après une prépa littéraire, la jeune femme a intégré l’ISMaPP, l’Institut supérieur de management public et politique, où elle effectue sa dernière année. « En moins connu, c’est un peu comme Science Po », indique-t-elle. Ce profil de recrutement – atypique pour un syndicat agricole – incarne bien le positionnement de la Confédération paysanne, connectée à la société depuis ses origines. Ce qui ne l’empêche pas de défendre les « paysans » (le vocabulaire est très important à la Conf.). Dernière initiative en date : une réflexion sur les abattoirs de proximité. En Charente-Maritime, il n’y en a que deux : à Surgères et à Montguyon. « En termes de maîtrise et d’autonomie, c’est important de se réapproprier de tels outils », indique la jeune animatrice. Début 2016, le syndicat prévoit de travailler sur une autre thématique : les pesticides et la viticulture. Réunion entre paysans et réunion grand public sont prévues. L’ARDEAR – l’organisme de développement Conf. mutualisé entre les quatre départements – se penche régulièrement sur l’installation. En Charente-Maritime, le syndicat paysan compte une élue chambre (Chantal Bégaud), un représentant à la Safer (Pierre Machefert, trésorier du syndicat). Etienne Morel siège à la CDOA.

 

 

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