Distillerie Tessendier : « Le Marché Tend Vers l’Equilibre »

8 mars 2009

tessandier.jpgAu croisement des intérêts de la viticulture et du négoce, la distillerie Tessendier & fils plaide pour le respect des « grands équilibres » et estime que la région y tend aujourd’hui. Son jeune P-DG Lilian Tessendier dit « croire au plan Zonta » et lui apporte un net soutien.

« Le Paysan Vigneron » – Comment expliquez-vous la remontée des prix des eaux-de-vie sur le second marché ?

Lilian Tessendier – Les ventes de Cognac ont certes progressé de 10-15 % en cinq ans mais ce n’est pas l’unique raison. La raison principale tient à la mise en adéquation de l’offre et de la demande, une recherche d’équilibre mise en route à partir de la récolte 1996. De la récolte 1998 à celle de 2000, la production a même été inférieure aux besoins, ce qui a permis à la région de diminuer son stock global. L’augmentation des cours constatée aujourd’hui nous offre l’opportunité de nous rapprocher des prix de revient, un facteur primordial pour assurer la pérennité du secteur viticole.

« L.P.V. » – Un blocage de la QNV ne risquerait-il pas de déboucher sur une pénurie de jeunes eaux-de-vie ?

L.T. – Avec une QNV de 7 hl AP/ha, nous allons produire environ 450 000 hl AP. De mémoire, les besoins en V.S. sont de l’ordre de 200 000 hl AP, ceux de VSOP de 120 000 hl AP et les autres utilisations (mutations Pineau et autres) de 60 000 hl AP, soit un total de 380 000 hl AP. Je ne pense pas qu’en produisant 450 000 hl AP, nous manquions d’eaux-de-vie jeunes sachant que la région possède un stock d’eaux-de-vie rassises suffisamment important pour alimenter les qualités supérieures pour encore quelques années. Finalement, en fabriquant 450 000 hl AP, je crois que nous ne sommes pas loin de l’équilibre. Ceci étant je comprends ce qu’il y a d’anormal aux yeux de viticulteurs comme aux yeux de négociants d’autolimiter la fabrication d’eaux-de-vie à 7 de pur alors qu’il serait possible de produire davantage sans entamer la qualité. Pourtant, l’on s’aperçoit vite que les critères de rendement économique individuel se heurtent à la rentabilité régionale. Evidemment, il appartiendrait à la restructuration du vignoble d’apporter des réponses, en clair moins d’ha destinés au Cognac. Mais l’on sait ce qu’il en est. Dans ce cadre-là, le rapport Zonta, en permettant une meilleure segmentation des ha, me semble de nature à concilier les deux attentes car, dans ce débat, tout le monde a raison, ceux qui veulent défendre leur rentabilité individuelle et ceux qui ne souhaitent pas voir se dégrader la rentabilité régionale.

« L.P.V. » – Aujourd’hui, rentabilité individuelle et rentabilité régionale ne peuvent-elles pas fonctionner de concert ?

L.T. – Dans le système de la double fin qui nous régit actuellement, la viticulture non contractuelle raisonne en terme de revenu/ha. Son choix entre vins de distillation et vins de consommation se base sur des critères financiers : « de quel marché vais-je tirer le meilleur revenu ? » Cette année, compte tenu du prix des vins, l’équivalent Cognac, à 7 de pur, s’élevait à 30 F le °hl. La même péréquation mais à 8 de pur donnerait un prix du vin Cognac à 28 F le °hl. Cela veut bien dire qu’une augmentation du quota Cognac correspondrait « mécaniquement » à une baisse du prix des vins de distillation hors achats contractuels. Aujourd’hui, nous nous situons dans une phase de retour à l’équilibre offre/demande et dans une phase de reprise des prix des eaux-de-vie. Au plan économique et plus encore au plan psychologique, je crois qu’il serait particulièrement négatif d’avoir un prix des vins de distillation en baisse l’an prochain. Et la prudence est d’autant plus de mise que la fermeté des prix des vins de base – qui explique en partie la bonne tenue des prix Cognac – n’est pas gravée dans le marbre. Dans le contexte communautaire dans lequel nous vivons, une baisse du prix des vins de conso. n’est jamais exclue.

« L.P.V. » – Quel regard portez-vous sur le déclassement des eaux-de-vie ?

L.T. – Ce n’est pas trahir un secret que de dire que de nombreux comptes 9 sont régulièrement déclassés en comptes 7, 6 voire 4 pour des qualités VSOP. A partir de là, ce déclassement masque aujourd’hui la pénurie théorique qui peut exister sur les comptes 4 et 5. D’autres réalités sont également à prendre en compte. Aujourd’hui, une partie non négligeable du sur-stock d’eaux-de-vie rassises appartient aux inactifs. Pour cette tranche de population, un peu déconnectée de la vie économique, la notion de « seuil psychologique » garde toute sa pertinence en matière de prix. Indéniablement, le prix de 5 000 F l’hl AP constitue un seuil psychologique. Avec une QNV permettant de « piocher » dans le sur-stock, nous nous donnons une chance que les prix montent à ce niveau, un niveau sans doute pas très éloigné du « juste prix ». Aujourd’hui, nous n’y sommes pas encore tout à fait. Sur le marché libre, le prix des eaux-de-vie 00 de la récolte 2003 se négocie autour de 550-600 € (3 600-4 000 F) et les comptes 2 s’affichent entre 680 et 730 € (4 500 à 4 800 F).

« L.P.V. » – Les prix du second marché ont tendance à rejoindre ceux du premier. Comment le petit et le moyen négoce vit-il cet état de fait ?

L.T. – C’est vrai que les petits négociants souffrent aujourd’hui de la remontée des cours. Sachant que, quelque part, les prix des grandes maisons bougent moins que ceux du second marché, le ciseau des prix a tendance à se resserrer. Certains opérateurs qui avaient réussi à développer des marchés de niches commencent à ressentir des problèmes. Si les grandes maisons peuvent s’appuyer sur la notoriété de leurs marques pour valider un prix, tel n’est pas le cas de certains petits négociants. Ceci étant, le Cognac a aussi besoin d’une politique stable, dégageant une bonne visibilité à long terme. Les acheteurs avouent trop souvent leur perplexité devant les variations de prix. Il y a sans doute nécessité de voir conforter l’image du Cognac pour que ceux qui vendent du Cognac « Cognac  » puissent continuer à exister.

« L.P.V. » – Vous manifestez une assez grande liberté de parole. Où trouve-t-elle sa source ?

L.T. – Au-delà de cette liberté de ton dont vous voulez bien me créditer, je dirais que ma formation financière et de gestionnaire m’a appris à avoir une attitude pragmatique face aux dossiers. Par ailleurs, et bien que je sois Charentais, la composante extra-régionale de la société m’a fait sortir du strict contexte cognaco-cognaçais. Avant de porter un jugement, j’essaie de voir ce qui se passe à l’extérieur pour en tirer des enseignements pour notre propre entreprise. Au plan des affaires, je crois tout bêtement aux grands équilibres offre/demande, relation entre la production et les stocks et l’analyse que j’en fais est purement économique. Entre 1992 et 1998, alors que la crise battait son plein, ce discours libéral avait quelque chose de choquant aux yeux de la viticulture. Aujourd’hui, les conditions ne sont plus les mêmes. La perspective change selon que l’on soit en présence de comptes 2 à 4 500-5 000 F l’hl AP ou de compte 2 à 2 500 l’hl AP. En conclusion, je me sens un supporter du plan Zonta. Je me trompe peut-être mais j’y crois et je pense qu’il n’est pas inutile de soutenir ce plan. Le plan d’avenir viticole me semble de nature à apporter une forme de stabilité à la région tant en terme d’équilibre offre/demande qu’en terme de prix. Le plan Zonta ne représente sans doute pas la panacée mais c’est la chance pour la région de faire vivre ses 75 000 ha afin que tout le monde puisse exister et cohabiter avec la meilleure rentabilité possible sur chaque produit. Et si rentabilité il y a, peut-être éviterons-nous les arrachages massifs qui constituent toujours un épisode douloureux pour une région. Aujourd’hui ce plan nous est offert. Nous n’avons pas le droit de ne pas tenter notre chance.

Distillerie Tessendier & filsPlace à la mise

Du commerce de place au Cognac prêt à la mise… la distillerie Tessendier & fils a choisi de se reconvertir et ne le regrette pas. Depuis plus de dix ans, elle a opéré une mutation radicale de son métier, tout en gardant ses fondamentaux : un gros stock d’eaux-de-vie, un réseau d’approvisionnement et un savoir-faire dans la filière des spiritueux.

Lilian Tessendier intègre la société en 1992 et son frère Jérôme le rejoint en 1993. A cette époque, le Cognac est en crise et les marchands en gros mis à l’index, après avoir connu des jours bien meilleurs dans un passé proche. « Les grandes maisons n’avaient plus besoin de nous. Désormais, elles souhaitaient privilégier leurs propres réseaux d’approvisionnement » se souvient l’actuel président-directeur général de la société. Le chiffre d’affaires du marchand en gros de place se retrouve d’un coup divisé par trois. Moins qu’une fatalité, les « Viticulteurs réunis » – comme on les nomme à l’époque – y voient l’occasion de rebondir vers d’autres cieux, en l’occurrence l’offre de produits prêts à la mise (prêts à la mise en bouteille). Aujourd’hui 80 % des ventes de Cognac de l’entreprise portent sur des Cognacs prêts à être embouteillés. Car, dans le même temps la crise, toujours elle, a incité le petit et moyen négoce « à faire le ménage » dans ses charges de structures. Chais, fûts, frais de main-d’œuvre… Une frange de négociants s’adresse à des marchands en gros désireux de mieux valoriser leurs produits. Depuis une dizaine d’années, la distillerie livre à ses clients des Cognacs de 40 % vol., passés au froid, filtrés et ce du V.S jusqu’à l’X.O et l’Extra. Cahier des charges, traçabilité, permettent de tenir des qualités référencées pour chacun, avec certificat de dégustation et d’analyses à la clé. Les clients ayant eux-mêmes accentué leurs diversifications sur d’autres produits – brandy, spiritueux en tout genre – la distillerie a élargi sa gamme à une offre multi-produits et multi-sites. La société réalise aujourd’hui 30 à 35 % de son chiffre d’affaires à l’export, notamment sur les pays de l’Est, un secteur que s’emploie à développer Jérôme Tessendier. Sur le créneau des spiritueux prêts à la mise, la distillerie se retrouve au coude à coude avec une dizaine d’opérateurs européens – « en tout cas ceux que nous voyons en face de nous » précise-t-on – et, au plan local, avec trois ou quatre autres marchands en gros. Ce terme de marchands en gros, les frères Tessendier pensent d’ailleurs qu’il reflète mal leur activité actuelle. « Nous nous considérons davantage comme des grossistes en vins et spiritueux. Nous réalisons des produits de A à Z et nous sommes aussi en mesure d’apporter un véritable partenariat technique et commercial. » Par contre, leur spécialité reste toujours d’avoir un gros stock – entre 25 et 35 000 hl AP selon les années – qui, indéniablement, constitue leur principal atout. « Nos clients savent qu’ils peuvent disposer quasi en flux tendu de la marchandise dont ils ont besoin. Par ailleurs un gros stock permet toujours de trouver une alternative qualitative, contrairement à un stock plus faible. Enfin, le principal intérêt pour nos clients consiste sans doute à coller au marché. Parce que nous achetons tout au long de l’année, nous sommes toujours dans le prix de marché. » Pour s’approvisionner en vin et en eaux-de-vie jeunes, la distillerie s’appuie sur un réseau de viticulteurs animé par un réseau de coutiers.

Le 1er janvier dernier, la distillerie de la Soute et les « Viticulteurs réunis » ont fusionné pour donner naissance à la distillerie Tessendier & fils.

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