Le Syndicat des viticulteurs de CognacUGVC a consacré sa « mise au courant » deprintemps, le 30 mars à Châteaubernard, àun sujet fondamental : le statut du vignobleCognac. En fait, dire ça confine à l’abus delangage. Un aspect qu’Eric Tesson, juristeà la CNAOC (la Confédération des syndicatsd’appellation d’origine), a tout desuite pointé, lui qui assistait à la réunionen « auditeur libre » : « Au plan juridique,il n’y a pas de statut du vignoble (vignobleAOP, vignoble IGP…).Non, il y a un statut des vins, qui produitéventuellement un système juridique différencié.» Un avis que partagent sansconteste les juristes régionaux. Mais c’estpar commodité que tout le monde parlede « statut du vignoble ». Une conventionqui a du moins le mérite de visualiser lesenjeux.Car, avec le statut du vignoble, de quoiest-il question ? De faire démarrer plustôt le statut du Cognac. De le faire partirnon pas « à la sortie de l’alambic » commeaujourd’hui, mais « au pied de vigne ».Ce qui a été dit avec clarté par AlexandreImbert, directeur du syndicat.A ce stade, un petit retour en arrière s’impose.A l’époque de la première OCM vitivinicole(1962), il n’était pas encore questiond’instaurer une dichotomie entre Vinsd’appellation et Vins de table. C’est dansles années 70 que la nouvelle PAC (Politiqueagricole commune) crée le distinguoentre Vins de qualité (VDQS, VQPRD) et Vinde table. Et encore, ces catégories n’ontellesqu’un rapport assez lointain avec lasegmentation actuelle : VIG (Vins à indicationgéographique), VSIG (Vins sans indicationgéographique).Le Cognac, pour ses vins « aptes à la distillation» – dits encore « vins de base »– aurait pu opter pour le segment « Vind’appellation ». Rien ne s’y opposait. AOCdepuis 1909, doté d’une aire d’appellationfaisant l’objet d’une délimitation géographique,le Cognac ressemblait étrangementà une autre appellation notoire, leChampagne.
Le choix du Cognac
Mais tandis que pour ses vins de basemousseux, le Champagne adopte la qualificationVMQPRD (Vins mousseux de qualitéproduits dans une région déterminée)– même positionnement du Pineau pourses moûts aptes à produire du Pineau – leCognac en décide autrement. Il choisit lacatégorie Vins de table. Certes, l’y encouragela double fin tirée de la distillationCharentes article 28 : Vins destinés auCognac, Vins destinés aux autres débouchés.Mais l’élément de choix le plusdécisif tient sans doute à la contrainte quipèse à l’époque sur les VQPRD : le certificatd’agrément. Ce certificat d’aptitudefonde alors l’appartenance à la grandefamille des appellations. Depuis 2006 et laréforme de l’agrément, le certificat d’agrémentne s’applique plus à personne. Et ladouble fin a disparu. Reste que, pendantdes décennies, les faits ont semblé donnerraison au Cognac. Il s’est exonéré descontraintes du certificat d’agrément, touten conservant l’ensemble des prérogativesd’une appellation prestigieuse, acquise « àla sortie de l’alambic ».
Une faiblesse
Le hic, c’est qu’aujourd’hui, par un de cesretournements dont l’histoire a le secret,ce qui représentait un avantage s’avèreune faiblesse. La réforme des autorisationsde plantation est passée par là,bouleversant l’ordre établi, un ordre quifonctionnait plutôt bien jusqu’à présent.
Aujourd’hui, le segment des VSIG (Vinssans indication géographique) apparaîtcomme le ventre mou de la viticulture, leterrain de jeu du libéralisme souhaité parla Commission européenne.Pour les vins AOP et IGP, des garde-fousexistent, qui leur permettent de se protégerassez efficacement de la concurrencedéloyale et de toute la cohorte des mauvaisespratiques. Rien de tel pour les VSIG,qui ont hérité d’un filet de sécurité beaucoupplus light.Dans ce maelström, la région de Cognacapparaît bien seule dans son cas de figure.Appellation notoire, dégageant depuisdix ans des revenus assez substantiels,capables de susciter des appétits à l’intérieurcomme à l’extérieur de l’appellation,son vin de base reste un VSIG. Qui plus est,il est produit sur une aire délimitée singulièrementvaste (deux départements). D’oùla position sans équivoque du syndicat viticole: « Nous devons changer de statut ! ».
Identifier les problèmes
• Viennent-ils de l’attribution des plantationsnouvelles ?
Pas vraiment. A conditionque la région s’entende – ce qui n’estpas forcément gagné tous les ans – l’Europea prévu un mécanisme de protectionvalable pour tous les vins, IG comme sansIG. C’est celui du « contingent régional ».Illustration en 2015 pour le bassin Charentes-Cognac. Collectivement, le bassin,via la fédération des interprofessions, aréussi à se mettre d’accord pour fixer leniveau maximum de plantations nouvellesà 250 ha. Conséquence, en 2016, l’accroissementdu vignoble charentais en plantationsnouvelles ne pourra pas excéder250 ha, quoiqu’il arrive. C’est déjà ça !
• Par contre, l’attribution de ce « paquet »s’effectue sans « fléchage » d’un segmentde production à l’autre. Autrementdit, au gré des intentions des opérateurs,les plantations peuvent s’exercer aussibien en Cognac qu’en Pineau, Vins de paysou VSIG.En l’absence de contingent régional, quese serait-il passé ? La règle posée parl’Europe est la suivante : sans contingentrégional, les viticulteurs de la zone peuventaller se servir dans le reliquat du contingentnational1. En toute liberté, sans freinni possibilité de refuser une demande. Laporte ouverte à tous les abus.
• Au niveau des plantations nouvelles, uneautre question se pose, celle du cloisonnementdes surfaces. Clairement, peut-onêtre sûr que les surfaces attribuées auxVins de base mousseux cette année nese retrouveront pas demain au Cognac ?Aujourd’hui, ces deux productions partagentle même segment, celui des VSIG(Vins sans indication géographique). Pourempêcher les « vases communicants », lasolution ne tiendrait-elle pas à une différenciationdes vins ? Peut-être en partie,mais les spécialistes ne nourrissent guèred’illusion sur le sujet. « Dans le monde desvins, le cloisonnement n’existe pas. C’estun leurre. Sans doute des mécanismesd’orientation peuvent-ils freiner le passaged’un segment à l’autre, mais impossible deparler d’étanchéité. » La justification d’unchangement de régime n’est donc pas àchercher de ce côté-là.
• Non, aujourd’hui, la vraie motivationpour changer de statut porte surun point a priori secondaire, celui desreplantations ou, plus exactement, destransferts de surface d’une exploitationà l’autre. Historiquement, ce que l’ona longtemps appelé « les transferts dedroits de replantation » d’une exploitationà l’autre ont toujours été possibles, dansles limites d’un certain périmètre (l’arron-dissement de l’exploitation viticole et sescantons limitrophes, limites pouvant êtreportées à 70 km du siège de l’exploitationviticole2). Mais, à cette notion, se substitueaujourd’hui une vision beaucoup plusélastique. Dorénavant, la réglementationprévoit que les limites de l’exploitation viticolecorrespondent à celle de l’Etat (pour laFrance, de Lille à Hendaye !). Pour stoppercette dérive, les bassins peuvent décider demettre en place ce qui est convenu d’appelerla
« restriction à la replantation ».Son principe est le suivant : ne peuventêtre replantées dans l’aire d’appellationque les autorisations de plantationsissues d’arrachages effectuésdans l’aire d’appellation. Parfait ! Saufque cette disposition ne peut être activéeque pour les vins AOP et IGP. Unepreuve supplémentaire des protectionsaccordées au segment AOP-IGP et, enregard, le « laisser faire, laisser aller »octroyé aux VSIG.Concrètement, on sait qu’en Charentes,dès cette année, des « petits malins » sesont exercés au sport d’aller acheter oulouer des vignes dans des régions en crisepour les rapatrier dans l’aire délimitée.Cela concernerait déjà plusieurs centainesd’hectares (au bas mot plus de 200 ha).
Un exercice légal dans sa pratique maistrès très limite dans son essence. Devantles viticulteurs réunis salle du Castel, àChâteaubernard, l’UGVC n’a pas hésité àéventer le manège. Au risque de donnerdes idées à ceux qui ne les auraient paseues ? Peut-être, mais n’est-ce pas aussiune façon, pour le syndicat, de siffler lafin de la partie, d’encourager la prise deconscience de la profession « pour qu’ellefasse le ménage chez elle » ? Commentaired’un participant : « J’en ai un peumarre de voir ces initiés profiter en toutediscrétion des ficelles de la réglementation.Autant porter l’affaire sur la placepublique. »
Changement de statut
La solution juridique pour empêcher cesretours ? Que les vins Cognac changent destatut. Pour adopter celui d’AOP ou d’IGP ?Oui, sans doute, encore que la question nesoit pas si simple. Si l’urgence existe, il nefaudrait pas non plus « jeter le bébé avecl’eau du bain ». En d’autres termes, seprécipiter tête baissée.Concernant le statut des vins, plusieurspistes existent : obtenir leur classementen AOP, les faire reconnaître ipso factocomme IG, en se demandant tout de mêmesi une IG peut être assimiliée à une AOP ouà une IGP ? Une autre famille de penserincline à dire « qu’il faut peut-être inventerquelque chose plutôt que de chercher àcoller à l’existant ». C’est la thèse du vin dedistillation « pour créer un lien entre le vinet les eaux-de-vie sans forcément passerpar l’AOP ou l’IGP ».
Cahier des charges :tout y est
En tout cas, ce qui paraît évident aujourd’hui,c’est que le vignoble charentaisn’aurait pas grand-chose à faire – voirerien ou presque rien – pour que ses vinsCognac accèdent au statut d’indicationgéographique. C’est ce que s’est employéeà démontrer LubomiraChinkov, juriste àl’UGVC. Il n’y a pas si longtemps, quelqu’uncomme Christian Baudry, ancien présidentdu Comité du Pineau, l’avait déjà dit etécrit.Aire délimitée, cahier des charges, ODG,plan de contrôle, déclaration de revendication…les vins Cognac possèdent toutela panoplie des vins à indication géographique.D’ailleurs n’est-il pas symptomatiquede voir, dans le nouveau CVI, lesparcelles Cognac identifiées comme « parcellesd’appellation » ? Certes, les vignesCognac n’obéissent pas au mécanisme dela délimitation parcellaire, comme c’est lecas en Champagne de Reims. Pour information,la délimitation parcellaire, c’estle fait de dessiner, par commune, lesparcelles qui peuvent revendiquer l’appellation.Mais est-on obligé d’en passerpar là ? Dans le monde des appellations,existent deux outils de délimitation : l’outilde la délimitation parcellaire déjà cité etl’outil de l’identification parcellaire. C’estd’ailleurs celui qui s’applique aux vignes« moûts Pineau ». Par identification parcellaire,il faut comprendre une classification« a priori » des parcelles, sauf àne pas respecter un critère discriminant.En l’occurrence, pour le Pineau, il s’agit de« l’inondabilité des parcelles ». Il y a pire !
Retour possible de la crise
Dans la salle, beaucoup de questions ontporté sur un retour possible de la crise.« En cas de crise, pourrait-on faire autrechose que du Cognac sur les parcelles ? »Oui, ont répondu unanimement les intervenants.Comment ? En se servant toutsimplement de l’affectation parcellaire.Depuis plusieurs années, ce mécanismes’applique au bassin charentais. Vignesaffectées au Pineau, au Cognac, aux Vinsde pays, aux VSIG… Les opérateurs peuventchanger l’affectation des parcelles à leurguise, sous réserve de respecter le ou lescahiers des charges et de garder à l’espritl’affectation N + 1 (pour tous les segmentssauf les VSIG). Plus généralement, dans lemonde des appellations, l’opérateur a toujoursla liberté de revendiquer – ou pas –l’appellation sur sa déclaration de récolte.Et dans ce cas-là, on ne parle pas de repli(terme impropre) mais d’une vraie latitude,sans entrave. LubomiraChinkov a concluson intervention d’un tonique : « Vous aveztout intérêt à y aller ! ».
Convaincre le négoce
Mais pour « y aller », doit-on encore réussirà convaincre la famille du négoce, réticenteet depuis longtemps à l’idée d’INAOdans le vignoble. Quelque part, il faudradonc se compter.Car si changement il y a, il passeraforcément par une décision de l’ODGCognac (Organisme de défense et degestion de l’appellation) et, à Cognac,l’ODG est paritaire entre le négoce et laviticulture. Ne serait-ce que pour cetteraison, la construction d’une position« partagée » est nécessaire.Invitée à s’exprimer à la tribune, CatherineLe page, directeur du BNIC, a indiquéque « le Bureau national du Cognac,en tant qu’interprofession reconnue ODG,devait jouer tout son rôle pour porter cetteréflexion collective ». Elle s’est ensuiteattardée sur les questions de gouvernance,entre GT (groupe de travail) et GP (groupesprojets). Tous, ils fonctionnent sur le modeparitaire viticulture-négoce. Sur le sujet,deux groupes sont principalement concer-nés, le GT Production et, bien sûr, le GPStatut du vignoble, constitué spécialementpour l’occasion. Des réunions ont eu lieuen décembre et en février. Le directeur del’interprofession a précisé qu’un prochainGroupe Projet se tiendrait le 3 mai prochain« pour affiner la réflexion collective ». Sonapproche sera présentée au Comité permanentdu BNIC le 13 mai 2016.
Position d’observation
Après avoir rappelé la position de la viticulture– faire évoluer le statut du vignobleCognac – Catherine Le Page a livré la positiondu négoce, issue du SMC (Syndicat desmaisons de Cognac), formation qui comptedans ses rangs grandes et petites maisonsde Cognac.
« Pour le moment, le vignobleCognac doit rester dans le segment desVSIG, tout en observant ce qui se passeen termes d’autorisations de plantation etpour le contingent 2016. » « Les servicesdu BNIC, a dit C. Le Page, sont missionnéspour poursuivre l’analyse du dossier. Ils lefont en conservant en tête deux éléments :s’assurer du soutien des pouvoirs publics,ministère de l’Agriculture, INAO ; ne pasfaire peser de contraintes supplémentairessur les opérateurs Cognac. »Le président de l’ODG, Eric Bilhouet, aapporté le complément d’information suivant: « Le négoce a exprimé une position“à date” et non une position définitive. LeSMC a vraiment la volonté d’affiner le processusde réflexion pour déminer l’intégralitédu sujet. »Stéphane Roy, le président de l’UGVC, arebondi sur l’incise : « Bien sûr, il s’agitd’une position “à date”. » Une rencontreavec Christian Paly, le président du Comitévins et eaux-de-vie de l’INAO, est prévue.Si Stéphane Roy est persuadé « que le plusdur à convaincre, ce sera le négoce », ilveut y croire. « Nous arrivons toujours àtrouver une position commune. »
« Que la viticulture et le négoce s’entendent et jene vois pas ce qui empêcherait de mettreen place le nouveau régime pour la prochainecampagne. »Le président du syndicat viticole l’arépété : « Le statu quo n’est pas tenable !La crainte de perdre la maîtrise du potentielde production concerne tout le monde.Pas seulement la viticulture, mais aussile négoce, qui détient aujourd’hui 75 % dustock Cognac. Le commerce n’a pas plusintérêt que nous à ce que cette région soitdéstructurée. » Reste à trouver les élémentsde la négociation. A l’évidence, lesuns et les autres ont quelques idées entête.
(1) Cette année par exemple, le reliquat nationals’élève à 3 500 ha : les 8 000 ha de plantations nouvellespotentiellement attribuées à la France – le1 % national – moins les demandes de contingentsexprimées par la dizaine de bassins français.(2) OCM vin, règlement CE n° 1493/1999 du 17 mai1999.
Verbatim
Jean-Marie Baillif, président du Comité national du Pineau
« On aime parfois se faire peur avec “le grand méchant loup”INAO. L’INAO est une institution qui n’existe que parce que lesappellations existent.L’AOC appartient à ses professionnels, négociants et viticulteurs.A ces professionnels de faire vivre l’appellation. NosAOC seront ce que nous en ferons. L’INAO a énormément évolué.Si les professionnels choisissent ensemble de changerle statut de leurs vins, ils convaincront le service juridique del’INAO. Quand nous avons voulu aller chercher des droits deplantation nouveaux, en deux mois le dossier était validé.Le système INAO n’a pas que des avantages. Il n’a pas non plus que des inconvénients.Au sein de l’appellation Pineau, personne ne songe à le remettre en cause. »
Bernard Gauthier, ancien président du CRINAO
« Ce dossier du changement de statut des vins Cognac, je l’aiporté avec certains de nos amis en juillet 90, puis plus tard, àla fin de la décennie. A deux reprises, il n’a pu aboutir. Pourquoi? Par ce que, dans la région, certains lobbies ont été lesplus forts. J’espère que vous n’allez pas vous faire “cartonner”à nouveau. Faites aussi très attention aux accords transatlantiquessur la propriété intellectuelle. Pour protéger nosappellations, c’est à Genève, au siège de l’OMC, qu’il faut êtreen ce moment. »
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