PAPE (production annuelle par exploitation)

14 mai 2012

Un encadrement du potentiel de production assorti de souplesse… C’est le plaidoyer que l’interprofession de Cognac est allée délivrer à Bruxelles fin mars, dans le cadre du dossier des droits de plantation. Au menu, rencontres avec des parlementaires européens et des membres de la Commission, pour leur exposer le projet de régulation économique « made in Charentes », le PAPE. Où les Charentais se sont rendus compte qu’ils devaient travailler leur message : affiner le vocabulaire, trouver des convergences. Un bon exercice pédagogique.

p29.jpgComment se rendre audible d’une députée allemande ou d’un représentant italien ? Pas facile de franchir la barre des clivages culturels, des vécus forcément différents…et de la langue. Les interprètes ne font pas tout. Les membres du comité permanent du BNIC furent confrontés à cette dure réalité les 28 et 29 mars dernier, lors de leur déplacement à Bruxelles. Qu’allaient-ils y faire ? Formellement, ils y ont tenu « un mini-comité permanent » mais, surtout, ils venaient faire œuvre de lobbying. Objectif ? Présenter dans l’enceinte européenne leur projet de régulation économique, plus connu en région Cognac sous le nom de PAPE (Production annuelle par exploitation). « Vous voulez produire plus, vous voulez libéraliser les droits de plantation ! » leur a lancé, dubitative, la députée allemande Christa Klaß. « Non, non ! » se sont récriés les représentants charentais, un peu déstabilisés par le fossé culturel qu’ils venaient de pressentir. « Articuler une idée, c’est une chose, la faire partager une autre » a reconnu Jean-Marc Morel. Pour autant, le président du BNIC ne s’est pas avoué vaincu. « La route sera longue mais nous allons continuer. On apprend en marchant. » Il a remercié Elisabeth Morin-Chartier, puissance invitante – elle est députée européen pour le Centre-Ouest (dont la région de Cognac) – d’avoir permis à l’interprofession de « roder son argumentaire ». « Nous devrons revoir notre communication, faire passer un message plus simple. » « Des exemples, des exemples, des exemples », s’est exclamé Christophe Véral, chef de famille de la viticulture au BNIC.

La souplesse économique

Qu’est-ce qui mobilisent les membres de l’interprofession cognaçaise autour du PAPE ? Ces deux jours d’immersion bruxelloise ont permis d’y voir un peu plus clair. Au cœur du sujet, la souplesse économique. « Nous devons profiter de ce moment pour nous doter d’un outil de progrès » a indiqué Yann Fillioux, chef de famille du négoce au BNIC. Le moment en question, c’est l’intense négociation qui se trame à Bruxelles autour de la libéralisation des droits de plantation. De la libéralisation totale, les Charentais n’en veulent pas. Ils sont fermes sur le sujet. « Si on ouvrait les vannes, il y aurait risque de surproduction. Ce serait un mauvais coup porté aux prix, avec un possible écroulement de la chaîne de valeur. » Horreur et damnation ! Les responsables professionnels charentais souhaitent bel et bien un encadrement. Mais un encadrement qui ménage cette fameuse souplesse dont ils sont si friands. C’est pour cela que certains d’entre eux n’hésitent pas à voir dans la libéralisation « une opportunité pour améliorer le système. » C’est au nom de la spécificité du Cognac qu’ils justifient le besoin de souplesse. « Nous sommes un produit à cycle long, explique J.-M. Morel. A ce titre, nous sommes plus exposés que d’autres aux retournements de conjoncture. En cas de récession, nous voulons pouvoir produire sur moins d’ha, tout en conservant nos droits de plantation. En préservant notre compétitivité, nous nous mettons en capacité de résistance économique. Et, en situation de croissance du Cognac, nous voulons aussi pouvoir planter davantage. »

Le grand (gros) mot est lâché. Planter plus ! Car, dans toutes les têtes des représentants professionnels, plane l’idée qu’il ne faut pas « injurier l’avenir », qu’il faut donner du carburant au moteur Cognac. En d’autres termes, approvisionner les ventes actuelles mais surtout les ventes futures, ces fameux 20 millions de caisses à horizon 2020, que tous les membres de l’interprofession ont à l’esprit. Et c’est vrai que la progression actuelle du marché du Cognac a de quoi nourrir la confiance, inciter à l’optimisme, « tourner les têtes ». Même un porte-parole de la viticulture comme Jean-Bernard de Larquier, vice-président du BNIC, souscrit au raisonnement. « Nous ne pouvons pas bloquer notre vignoble. Il faut pouvoir le faire évoluer pour répondre au développement du Cognac. » « Oh, certes, prend-il la précaution d’ajouter, l’augmentation jouerait à la marge (en “off”, certains citent le chiffre de 3 % d’augmentation, réparti entre tous les viticulteurs). » « Les erreurs du passé, poursuivit le viticulteur, nous ne voulons pas les reproduire. Aujourd’hui, nous fabriquons 650 000 hl AP pour des sorties de 550 000 hl AP. C’est amplement suffisant. Mais, dans quelque temps, la question peut se poser. Car, face à une augmentation des ventes, nous ne pourrons pas exiger du vignoble qu’il produise 11,5 hl de pur ha. Il sera en limite de capacité. Or, dans le système actuel, il n’y a pas d’attribution de droits de plantation pour les vins sans IG. » (Le vignoble de Cognac est un vignoble sans indication géographique). Chorus de Yann Fillioux : « Il est très important pour le négoce de ne pas se retrouver dans un système bloqué. Nous avons besoin d’un système qui prenne en compte le développement des affaires et nous avons besoin, bien sûr, que la viticulture nous accompagne. Un système bloqué est un système qui ne nous convient pas ! » Et de renchérir : « N’oublions jamais une chose. A la sortie de l’alambic, les coûts de production du Malt Whisky sont 7 fois moins chers que ceux du Cognac Fins Bois. » « C’est pour cela que nous voulons profiter de la refonte des droits de plantation pour proposer un système qui nous permette de nous adapter » a complété Jean-Marc Morel.

Ce système que la région des Charentes appelle de ses vœux, de quel bois est-il ? Pas toujours facile de faire la synthèse, entre ce que les uns et les autres expriment. Si les représentants professionnels partagent l’essentiel – un système « à la main du Cognac » – des glissements sémantiques laissent poindre des nuances, voire des dissonances. Ainsi, à un moment, Jean-Bernard de Larquier a-t-il décrit une organisation qui ressemblait trait pour trait au schéma échafaudé au Conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. « Il n’y aurait plus d’interdiction de planter mais une autorisation de plantations nouvelles, avec des allocations nationales par Bassin. Le tout se ferait sous couvert d’un règlement européen. Car il ne s’agit pas que les régions se déstabilisent entre elles. »

La notion de bassin

D’ailleurs, lors de ces deux jours à Bruxelles J.-B. de Larquier comme Xavier Desouche ont veillé à mettre en avant la notion de bassin. Une subtilité lexicale qui, après décodage, ne serait pas que de pure forme. Ceci dit, dans la communication, ce qui a primé, c’est la notion de régulation partagée, « de co-décision viticulture/négoce pour la gestion du potentiel de production ». Autrement dit, une gestion interprofessionnelle des droits de plantation. « Nous ne sommes pas si éloignés de la position de l’AGEV » a dit Jean-Marc Morel. (L’AGEV est la structure professionnelle du négoce vin français. Elle défend elle aussi une approche interprofessionnelle des droits).

« A Cognac, a relevé Yann Fillioux, nous avons un univers complètement paritaire. Nous possédons une très bonne capacité de dialogue entre viticulture et négoce, ce qui ne semble pas être le cas partout. » Catherine Le Page s’est placée en technicienne tant des rouages européens que des interprofessions. « Si la notion interprofessionnelle est aujourd’hui inscrite dans les textes européens, elle demande encore à être confortée. Plus nous aurons ce confort dans le cadre de l’OCM unique, plus nous pourrons mettre en place un outil qui nous correspondra. » L’enjeu ! « La possibilité d’instiller de la régulation économique sans que l’Etat nous dise “attendez !” » Un Etat perçu par la région délimitée comme toujours un peu « hésitant ».

Franc-tireur

En se déplaçant à Bruxelles, le Cognac a joué sinon les francs-tireurs, du moins la carte de celui qui s’affranchit de tout « suivisme ». Pour autant, comment la région s’inscrit-elle dans la stratégie de défense des droits de plantation ? Là aussi autant de nuances que de réponses. Pour Olivier Louvet, président de l’ODG Cognac et membre du comité permanent du BNIC, « il n’est pas question de déstabiliser la position viticole française. Il est important de jouer collectif, tout en affirmant sa spécificité et en laissant aux autres bassins et aux autres pays le soin de s’organiser ». « Dans cette affaire, on ne peut pas jouer cavalier seul » a confirmé J.-B. de Larquier. Jean-Marc Morel s’est montré, lui, moins rassembleur. Il a contesté l’approche de la CNAOC sur le dossier de la libéralisation des droits de plantation. « Bernard Farges (le président de la CNAOC – ndlr) nous dit qu’il faut jouer la demi-finale avant de jouer la finale. Nous, nous pensons que pour gagner une bataille, il faut avoir un plan de jeu. C’est ce que nous essayons de mettre en place : un plan de jeu. » En disant cela, le président du BNIC pensait-il à la question de la « gouvernance des droits de plantation » chère à la Commission européenne et dont la CNAOC fait un « casus belli ». Car, pour la Confédération des vins et eaux-de-vie d’AOC, se serait une grave erreur stratégique que de commencer à négocier la gouvernance du potentiel de production avant d’avoir obtenu de la Commission la réinscription d’un règlement communautaire sur le contrôle des plantations. A l’évidence, Cognac ne partage pas pleinement ce point de vue. Malgré tout, après s’être déjà exprimée une première fois sur le sujet (voir plus haut), Catherine Le Page a repris la parole, comme pour tempérer le propos. « Notre objectif, maintenant, est de travailler tous ensemble. Nous ne sommes pas là pour diviser. Nous nous inscrivons dans une démarche pro-active, positive. Au niveau européen, on ne gagne pas seul. On ne gagne qu’en équipe. »

Aujourd’hui, sur le dossier des droits de plantation, le plan de marche de l’interprofession de Cognac consiste à rencontrer les autres régions viticoles. « C’est ce que nous a dit Michel Dantin (député européen, rapporteur sur l’OCM unique) quand il est venu à Cognac : faites partager votre vision aux autres régions françaises. » Message reçu 5 sur 5 par les Charentais, même s’ils savent que ça ne sera pas facile. « Les Champenois ne veulent pas que ça bouge. A 800 000 €-
1 million d’€ l’ha de vigne, ils sont dans une logique patrimoniale. A Cognac, nous sommes dans une logique entrepreneuriale. »

« Trouvez des alliances, faites du lobbying » les a cependant encouragé le député européen Elisabeth Morin-Chartier. « Ici le lobbying fait partie de la vie politique. Avec votre projet de régulation partagée, vous avez une longueur d’avance. Mais ce n’est pas un problème. Car, à Bruxelles, le temps de la négociation est un temps relativement long. Vous êtes dans le timing. »

p30.jpg

A lire aussi

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Depuis le 1er avril et jusqu’au 15 mai 2024, les télédéclarations de demande d’aides au titre de la campagne 2024 sont ouvertes.Voici tout ce qu’il faut savoir pour préparer au mieux sa déclaration.

La Chine et le cognac : un amour inséparable

La Chine et le cognac : un amour inséparable

Avec plus de 30 millions de bouteilles officiellement expédiées en Chine en 2022, la Chine est le deuxième plus important marché du Cognac. De Guangzhou à Changchun, ce précieux breuvage ambré fait fureur. Plutôt que se focaliser sur les tensions actuelles, Le Paysan...

error: Ce contenu est protégé