Le syndicat des « marchands en gros » de Cognac réfléchit à un changement de nom pour ses mandants. Il opterait volontiers pourla dénomination « commerçants de place ». Non pour se mettre en avant – « Nous avons toujours été un métier de l’ombre » – mais sans doute pour mieux rendre compte d’une profession qui a beaucoup évolué ces dernières années.Et si le métier de « marchand en gros »était le plus vieux métier de la région deCognac ? Avant de vendre leurs Cognacsen bouteilles, les négociants de la place necommercialisaient-ils pas leurs eaux-devieen fûts, se rapprochant ainsi du métierde marchands en gros ?Jusque dans les années soixante-dix, lesmarchands en gros occupèrent une placecentrale dans la fabrication du Cognac.Pour développer leurs affaires, en pleineexpansion, certaines maisons n’hésitentpas à s’appuyer sur des commerçants deplace.Elles cherchent à drainer le maximum demarchandises auprès de la viticulture, desvolumes parfois considérables. A l’époque,la taille de certains marchands en grosatteint presque celle de grandes maisonsde Cognac. Et puis, petit à petit, le négoceva se structurer autrement pour assurerson approvisionnement. Il va le « verticaliser», interagir plus directement avec laviticulture.
Des missions diversifiées
Le commerce de place allait-il disparaître? Absolument pas. Certes,aujourd’hui son rôle est sans doute moinsimportant, moins stratégique qu’autrefois.Mais surtout, il a évolué. Les « purs » marchandsen gros, pratiquant exclusivementl’achat pour la revente, ont quasiment disparu(il en reste peut-être deux ou trois).Par contre, la profession s’est diversifiée.Elle s’est aussi réorganisée autour de lafonction de bouilleur de profession. Ditautrement, beaucoup de bouilleurs de professionsont devenus marchands en groset inversement (même si les bouilleurs deprofession sont encore plus nombreux).Par le passé, les deux activités étaient bienplus séparées qu’aujourd’hui.Désormais, si le portage du stock – éleverles eaux-de-vie jeunes pour les livrer encomptes plus âgés – reste l’une des activitéstraditionnelles du marchand en gros, ils’exerce prioritairement dans le cadre d’un« mix » bouilleur de profession-marchanden gros.Dans ce schéma, le ciment, le lien, ce sontles relations de confiance et de proximitéexistant entre l’entrepositaire agréé (nomdonné par les Douanes tant au bouilleurde profession qu’au marchand en gros)et la ou les maisons de négoce. Ces relationspeuvent revêtir différentes formes :contrat de six mois, un an, cinq ans, habitudesde vente, simple « check hand »…Par contre, une chose est sûre : entre lesdeux partenaires existe toujours un cahierdes charges, respecté à 100 %.
Un intermédiaire
Le marchand en gros-bouilleur de professionaccompagne ses donneurs d’ordres.Il s’intègre à une logique d’entreprise.A ce titre, sa place au sein du commercerégional est typiquement celle d’un intermédiaire.« Nous sommes des facilitateurs,commente l’un d’entre eux. Nosentreprises participent à l’essor duCognac par leurs capacités de stockage,leurs financements, leurs savoir-faire.Elles apportent de la structuration et desoutils. » Précisions d’un autre professionnel: « Ce qu’attendent nos clients de PMEcomme les nôtres, c’est de “l’agilité”. Nousles aidons en termes de gestion financière,de gestion qualitative. Face à leurs décisionsstratégiques, nous leur apportons duconfort. »Si les ventes se tassent, il arrive aussiaux marchands en gros de jouer le rôled’amortisseur, pendant une ou deux campagnes.« Cela fait partie des servicesque nous rendons. » En période difficile,la flexibilité peut même aller plus loin.« Nous savons qu’il est plus facile d’arbitrersur une tête que sur 300 viticulteurs. »Les temps paraissent bien lointains où lemarchand en gros n’était que l’intermédiairequi conservait à ses propres risquesdes stocks lui appartenant en propre.Bien que réduite, cette facette du métiern’a pourtant pas complètement disparu.Certains y voient même l’ADN, « lecoeur du métier », sa partie la plus noble.« Nous représentons toute la gamme desCognacs, tous les crus et, ne serait-ceque pour cela, la région a besoin de nous.C’est d’autant plus vrai pour les petites etmoyennes maisons et même de plus enplus. »
Bien acheter pour bien vendre
Cette activité, le commerçant de place aplutôt tendance à l’autofinancer. La capacitédu marchand en gros à bien acheterles eaux-de-vie représente le b.a.-badu métier. « Celui qui achète mal vendramal », remarque l’un d’entre eux.Ici comme ailleurs dans l’économie duCognac, on parle d’argent et même debeaucoup d’argent parfois. Alors, êtreun commerçant de place, c’est jouer à laroulette russe ? « Pas du tout, répliqueun intéressé. Nous sommes des professionnelsavertis, dont les entreprisesexistent souvent depuis des générations.Il peut arriver de se tromper mais, globalement,le système fonctionne. Vousn’entendez pas parler de gros problèmes.Les banques elles-mêmes ont acquis del’expérience dans l’analyse de nos bilans.Elles connaissent mieux nos méthodesmême si, c’est vrai, la profession casse unpeu les codes des ratios traditionnels. »Pendant trois ans, de 2009 à 2012, la professiona bénéficié de l’envolée des coursdu Cognac. Depuis, les échanges de placeont beaucoup ralenti.
Préparation des coupes
La préparation des coupes « jusqu’à lamise » représente un autre pan de l’activitéde commerce de place. Certains s’ensont même fait une spécialité. Dans cecas, prévaut la sensibilité aux assemblages,pour une marque, une gamme, unmarché. Enfin, un autre service offert parles marchands en gros tient au stockagepour le compte des viticulteurs. « Nousdisposons des infrastructures aux normeset du savoir-faire nécessaire. »
Un métier de l’ombre
Les marchands en gros revendiquentd’exercer un « métier de l’ombre ». « Entant que professionnels, nous apportonsnotre pièce. Mais nous ne nous mettonspas en avant. L’important pour la région,ce sont les marques. Ce sont elles quitouchent les consommateurs finaux. »Malgré tout, la jeune génération s’emploieà développer le syndicat, à le rendre plusvisible (voir encadré page précécente).Objectifs : se fédérer pour mieux partagerl’information, voire mieux expliquerle métier à la profession, à la région. « Sinous ne faisons pas de marketing, notreimage compte quand même. » Cela dit,pas question de déroger à la proverbialediscrétion de la profession. « Nous nesommes pas dans la communication.Nous restons à notre place. Nous sommestrès vigilants à ne pas mordre la ligne. »Conscients que, sur le long terme, leurrôle a beaucoup changé et que leurmétier a sans doute perdu une partie deson influence, les entrepositaires agréésrestent cependant confiants dans l’avenir.« Nos clients nous laisseront probablementencore de la place. Mais il est importantque nous ayons “un coup d’avance”,pour pouvoir leur proposer ce dont ils ontbesoin. Il faut se tenir prêt. »Ils affirment aussi que leurs entreprises,grâce à la structuration opérée ces dernièresannées, « sont bien plus solidesqu’il y a dix ans ».
Le Syndicaten bref…
Créé en 1959, le Syndicat des marchandsen gros de Cognac – puisquetel est encore son nom – rassembleà ce jour 34 entreprises. Les marchandsde place dépeignent leurssociétés comme des établissementsfamiliaux, des PME intermédiaires« au service du négoce et un peuaussi de la viticulture ».« A la louche », le stock détenu parles entrepositaires agréés, dont lescommerçants de place, représenteraitenviron 9 % du stock régional(360 000 hl AP à fin juillet 2015sur un stock total de 4,2 millionsd’hl AP).
Syndicat des commerçants de place :la modernité en plus
Le partage de l’information, valeur éminemment moderne, a gagné le Syndicat desmarchands en gros. Face à une réglementation foisonnante et à de possibles économiesde coûts, la nouvelle génération a saisi l’intérêt de se fédérer.
« Au BNIC, à côté du SMC, de l’UGVC, du Syndicat des bouilleurs de profession, notreformation est la plus petite des quatre. » Président du Syndicat des marchands engros de la place de Cognac depuis deux ans, Julien Nau – Société SVE à Saint-Palaisde-Négrignac – n’est pas un président empesé… ni désireux de s’incruster. Il expliqueque les statuts ont été modifiés pour éviter de laisser s’installer des « baronnies ».« Le mandat de président ne peut excéder deux ans. » Le bureau, composé de8 membres, affiche une moyenne d’âge de 40-45 ans. Sans parler de jeune garde nide génération montante, il s’agit quand même de la génération des quadra-quinquaaux commandes des entreprises de stockage et de distillation. Un renouvellementqui s’accompagne d’un fonctionnement « moderne ». Organisé en commissions, lesyndicat privilégie le partage de l’information, la recherche de synergie, la mutualisationde certains coûts. Et l’exercice d’un certain lobbying, quand l’occasion seprésente. « Nous avons intérêt à faire remonter toutes les problématiques liées austockage des eaux-de-vie. Et Dieu sait s’il y en a, compte tenu de la réglementationfoisonnante applicable (alcool, vieillissement, fiscalité, épalement, cahier descharges, ODG, sécurité alimentaire, normes environnementales…). A l’interprofession,les membres du syndicat participent à plusieurs commissions de travail. JulienNau évoque un bureau bien structuré, où chacun agit selon ses compétences. « C’estplus moderne comme fonctionnement et cela aide à se démultiplier. Nous noussommes organisés pour que le syndicat soit plus présent et plus actif dans les instancesdu Cognac. Car nous souhaitons offrir un vrai service à nos adhérents. »En interne, une commission s’est mise en place pour travailler sur le métier demarchand en gros : sa définition, ses fonctions… et son nom. L’idée ! Le valoriseret surtout mieux l’expliquer. In fine, la commission a trouvé le nom de « marchanden gros » un peu réducteur, voire un brin péjoratif (notion de « vrac » soulignée).L’alternative à marchand en gros serait « commerçant de place », plus exactement« commerçant de place de la région délimitée Cognac ». Est-ce que la professions’appropriera ce nom ? Le syndicat a conscience que le chemin sera long. « A nousd’initier le changement. »
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