L’univers poétique et marchand d’Olivier Blanc

10 février 2009

La Rédaction

Trente ans qu’Olivier Blanc sublime l’histoire du Cognac Gourmel : âge du fruit, âge des fleurs, âge des épices… Trente ans aussi qu’il parcourt le monde 200 jours par an à la rencontre de ses clients. Le reste du temps, il le consacre au marché français. O. Blanc fait partie de ces grands arpenteurs du Cognac, à la fois passionnés et marchands.

 

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Olivier Blanc n’hésite pas à parler de « concept Gourmel ». Il en décerne la paternité à son premier beau-père, Pierre Voisin. Concessionnaire automobile régional, ce dernier avait, dit-il, « un palais extraordinaire pour les vins et notamment pour les Bordeaux, sa passion ». Il apprécie surtout les notes de fruits, la persistance en bouche, le côté crémeux et « beurré ». A l’époque, dans les années 70, le Cognac n’incarne pas vraiment cet univers gustatif. « Qui plus est, deux idées nous paraissaient bizarres, poursuit Olivier Blanc : que les vins Cognac présentent d’aussi faibles degrés et que les eaux-de-vie soient assemblées ». Les deux compères rêvent de Cognacs « simples et vrais », « naturels », « non assemblés », avec une longueur, une finesse, une persistance aromatique qui rappellent le vin. Leur Cognac sera « fruité, floral, épicé ». A coup d’intuitions, se dessine peu à peu un territoire d’expression qui n’appartiendra qu’à eux. Ce caractère exclusif, Pierre Voisin et Olivier Blanc le cultivent en cherchant à se démarquer des dénominations traditionnelles du Cognac : VS, VSOP, XO… « Ces désignations génériques correspondaient à des Cognacs d’assemblage. J’avais 32 ans alors et ces termes n’évoquaient rien pour moi. Et puis nous allions forcément nous adresser à une frange minoritaire de consommateurs. Nous pouvions donc prendre le risque de leur parler différemment », explique O. Blanc. Pour donner de la chair à ses Cognacs, la petite maison va se forger son propre vocabulaire : Age du Fruit, Age des Fleurs, Age des Epices, complétés par Premières saveurs et Quintessence. Cette mise en mots, comme l’on parle d’une mise en bouche, est censée illustrer l’évolution du Cognac au cours de son vieillissement. Et le discours n’est pas que de pure forme. Il s’accompagne d’un parcours technique qui se veut résolument atypique.

Rendements faibles et forts degrés

Pour perpétuer le concept de départ, la société Gourmel privilégie les rendements faibles et les vins de forts degrés, sur le principe simple que la distillation est la traduction, la sublimation du vin. Et donc que plus un vin est intense et aromatique, meilleure sera l’eau-de-vie. « A l’exception des vieilles vignes, ailleurs, nous sommes sur des densités de plus de 5 000 pieds/ha. Nos rendements sont faibles, au plus bas 65 hl/vol., au plus haut 90 hl et, en terme de degré, nous descendons rarement en dessous des 10 % vol. Nous nous situons davantage dans la fourchette des 10-14 % vol. » La maison ne possède pas d’exploitation viticole en propre. Par contre des accords de longue date la lient avec deux propriétés, l’une au sud de Hiersac et l’autre à Etriac, en face du château. Alors que les bureaux de la société se trouvent à Genté, au cœur de la Grande Champagne, Olivier Blanc trouve les accents d’un barde pour chanter les mérites « de cette petite poche des Fins Bois de Blanzac qui représente le meilleur du cru. Les sols, dit-il, y sont plus crevassés qu’ailleurs et le sous-sol très vieux ». A l’appui des richesses du terroir, pas de techniques viticoles révolutionnaires mais un respect de la vendange, une absence de trituration, un pressurage de qualité et une distillation qu’Olivier Blanc qualifie d’un mot, « grasse ». Que recouvre ce terme ? La maison revendique un style de distillation qui fait fortement appel aux lies, associé à coupe intervenant à des degrés bas, voire très bas. « Les bouilleurs de cru coupent généralement à 60 % vol. Nous, nous pouvons descendre jusqu’à 42 % vol., sans tenir compte du degré mais de ce que nous goûtons. » De ce principe de distillation, Olivier Blanc n’en fait pas un principe absolu. « Ce que j’adore dans cette région, c’est que personne ne procède de la même manière. Il n’y a pas de vérité avérée. Des Cognacs que tout le monde trouve bons et qui ne sont pas faits comme les nôtres, je les trouve bons aussi. » Il est d’ailleurs convaincu que la région possède « les meilleurs distillateurs du monde ». « Cognac, dit-il, présente deux qualités extraordinaires, ses distillateurs et sa connaissance du bois. » Un bois qui va guider le vieillissement. Pour sa part, la société choisit des chênes de l’Allier au grain extrêmement fin, à la structure très dense, qui laisse peu de place à l’oxydation, avec une pénétration très lente du Cognac dans le bois. Le négociant rend hommage à ces tonneliers qui ont su faire progresser leurs pratiques de manière spectaculaire. « Aujourd’hui, les fûts sont très peu marqués par la chauffe. On arrive à chauffer sans pratiquement brûler les douelles. »

« Du temps et de l’énergie »

Il y a quinze ans, la famille Voisin décide de vendre Gourmel. La marque est rachetée par un fonds de pension parisien, mais ce dernier bute sur sa gestion. En avril 1993, Olivier Blanc reprend la totalité des parts et va consacrer « 100 % de son temps, de son énergie et de son argent » au développement de la société. Le créneau de la maison est celui des cavistes, de la belle restauration et des « bistrots » branchés. En France, Gourmel compte 2 000 clients, travaille avec 55 VRP. A l’étranger, la société s’appuie sur 70 importateurs, des maisons moyennes et petites « qui partagent notre passion ». Ce modèle de la restauration de qualité, des cavistes de renom est-il encore viable à l’heure de la consommation de masse ? « Nous en vivons. Nous ne sommes pas portés par un marché particulier mais par une multiplicité de marchés. A l’évidence, le volume n’est pas à la base de notre modèle. » Olivier Blanc explique que ses « petits camarades » et lui-même vendent généralement des eaux-de-vie bien plus vieilles que les grandes maisons, mais qu’ils ne portent pas le même stock et ne font pas de publicité. En clair ils possèdent les avantages des petites structures. « C’est vrai que nous en faisons bénéficier nos clients, reconnaît-il. Comparativement à l’âge des Cognacs, nous vendons moins cher que les grandes maisons mais en valeur absolue, nos prix sont bien plus élevés. » Le P-DG de Gourmel reconnaît volontiers tout ce que la région doit au grand négoce. « Sans lui, nous n’existerions pas. » Il souligne aussi le rôle déterminant joué par la seconde marque de Gourmel, le Cognac Jon Bertelsen. Distribuée dans les pays nordiques et notamment en Norvège, cette marque concourt pour un tiers des ventes de la société et environ 20 % de ses profits. « Elle nous aide énormément », admet O. Blanc. Dans sa manche, la petite maison a également une autre carte : « Les Amis de Gourmel ». Créé il y a six ans, ce club de marques comprend, outre le Cognac Gourmel, un Whisky de malt, Eilan Gillan, une eau-de-vie de fruit suisse, Etter et un Calvados du Domfroontais, Lauriston. Sur la France, le Cognac Gourmel assure la
distribution de ce petit portefeuille de marques en tant que prestataire de service. « Nous ne sommes pas des distributeurs au sens strict du terme », précise Olivier Blanc. Cependant il reconnaît aux « Amis de Gourmel » un rôle important. « En plus du service logistique dit-il, s’ajoute la possibilité de panachage et l’effet de gamme. Aujourd’hui, c’est clair. Nous ne vendrions pas de Cognacs si nous ne pouvions pas offrir ce panel de produits. »

« Tout faire pour protéger le caviste »

En France comme à l’étranger, les premiers clients de Gourmel restent les cavistes. En ce qui concerne le Cognac, le P-DG de Gourmel indique qu’une cave « qui ne fait rien » peut réaliser 1 000 € de chiffre d’affaires et une bon caviste 25 000 €. Le concept « bistrot » marche aussi très bien. Des ventes au rythme d’une caisse par mois (douze par an) ne sont pas rares. Par comparaison, la grande restauration de type « étoilé Michelin » arrive loin derrière. Sur ce genre de segment, la commande classique oscille davantage entre 12 et 36 bouteilles par an. Qui plus est, « il faut y aller trois fois car le sommelier est toujours très pris ». Dans ces conditions, l’investissement est-il rentable ? « A l’évidence, le volume ne permet pas d’amortir les frais confirme O. Blanc. Par contre, si un caviste est installé à proximité, il en profitera en terme d’image. » Car pour le P-DG de Gourmel, si une règle existe, c’est bien celle de tout faire pour protéger son caviste. Pas de ventes à la grande distribution, pas de ventes aux particuliers… « Les cavistes nous font vivre. Nous leur devons bien cela. » Lui qui dit ne pas connaître le poids de la tradition, il reconnaît à la profession de caviste une capacité à se renouveler. « Des caves reprises par de jeunes sommeliers marchent très fort. D’autres souffrent de conservatisme et se sentent agressées de toute part, grande distribution, foire aux vins, salons de vendeurs directs… Elles sont sur une position défensive. »

Le marché français représente aujourd’hui 18 % des ventes de Gourmel. Olivier Blanc le décrit comme un « marché d’humilité ». Pour quelqu’un qui voyage dans le monde entier 200 jours par an, le marché français s’apparente à ce qu’il y a de plus dur, de plus ingrat. « A l’extérieur, celui qui dit venir du Cognac est presque célèbre. En France, c’est un quasi inconnu car le Cognac occupe une place marginale. La France est d’abord un marché de Whisky et ensuite de Malts. Mais en même temps, cela fait du bien de se colleter à ce genre de réalité. Cela nous oblige au sérieux. » Pour lui, le Cognac en France est définitivement un produit de digestif. « Il faut en convenir. Le Cognac à l’apéritif est un échec. Avec les Malts, les Whiskies sont en train de passer au rang de digestifs et nous, nous voulons nous rabaisser à des mélanges pas toujours de bon aloi. »

Si le marché américain n’est pas facile – trop grand pour une petite marque – Olivier Blanc s’y sent à l’aise. Il y a passé son enfance. Sa seconde femme est américaine. Depuis trente ans, il dit « travailler comme un forcené à vendre du Cognac ». Il fait souvent des présentations sur le marché US et il aime ça. « Si tout le monde n’est pas debout en train de m’applaudir, j’estime avoir fait une mauvaise présentation. » L’intérêt grandissant pour le Cognac qu’il ressent aux Etats-unis, il le perçoit de la même façon en Russie. Mieux, la Russie manifeste une indéniable curiosité à l’égard des petites maisons. La place Rouge, le nouveau terrain de jeu d’Olivier Blanc ?

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