La main-d’œuvre serait-elle en passe de devenir le facteur limitant des exploitations viticoles charentaises ? Après des décennies où l’économie de main-d’œuvre fut, il faut bien l’avouer, un sport régional, aujourd’hui, nombre d’exploitants souhaiteraient recruter du personnel. Mais ils en sont souvent empêchés, par manque de candidats correspondant à leurs besoins. Ce qui ressemble à une pénurie de main-d’œuvre se nourrit de plusieurs facteurs : l’embellie du Cognac qui encourage un retour vers la productivité ; l’agrandissement des exploitations qui, en faisant chuter le nombre des exploitants n’a pas diminué le nombre de pieds de vignes ; le départ d’un gros bataillon de salariés viticoles que les jeunes générations ne se bousculent pas à remplacer. Comment restaurer l’image du métier auprès des pousses montantes ? La profession viticole s’est saisie de la question mais le temps de réponse sera long, forcément. Pendant ce temps, les effectifs viti-œno des établissements scolaires n’ont jamais été aussi bas, pouvant même faire craindre des fermetures d’options. D’où une rentrée 2008-2009 pressentie comme charnière. Parallèlement, les métiers viticoles se féminisent, des solutions d’ajustement se mettent en place, tel le recours aux ETA, aux groupements d’employeurs ou à la main-d’œuvre venue des pays de l’Est. Pour ceux qui s’inscrivent dans la démarche, les modes de conduite économes de main-d’œuvre conservent leur attractivité. Les exploitants sont également amenés à réviser leur politique de recrutement, de formation, de rémunération, de considération du personnel. Des évolutions qui prendront du temps et auxquelles tout le monde ne souscrira pas. Pourtant une chose est sûre : vigne et main-d’œuvre ont parti lié, indissolublement.
Tous les jours, des dizaines de demandes restent insatisfaites. Les employeurs potentiels ont beau activer tous les réseaux qu’ils connaissent – ANPE, groupements d’employeurs, établissements scolaires, annonces dans les journaux, bouche à oreille – rien n’y fait. Trouver le « bon » salarié, doté d’une certaine expérience pour être efficient de suite, relève de la gageure, à moins de le débaucher chez un confrère ou compter sur le facteur chance (le salarié qui change d’emploi par convenance personnelle). Comment en est-on arrivé là ? Même s’il ne s’agit pas de la raison la plus « glamour », la première cause de cette crise de la main-d’œuvre est à rechercher du côté de la pyramide des âges. Le baby-boom des années d’après-guerre s’est transformé, 40 ans plus tard, en papy-boom, pour les salariés viticoles comme pour les exploitations agricoles. Aujourd’hui et dans les deux-trois ans qui viennent, des départs massifs sont attendus. Sur le seul canton de Segonzac on escompte, en 2008, le départ à la retraite de 117 personnes entre les salariés viticoles et exploitants. Comme le fait observer un spécialiste main-d’œuvre, le décalage entre offre et demande ne signifie pas forcément une désaffection totale des métiers viticoles. Une augmentation des postes à pourvoir l’explique aussi. Le phénomène est aggravé, si l’on peut dire, par la concentration des exploitations. En dix ans, la région délimitée Cognac a vu le nombre des exploitations baisser de 40 % (autour de 5 500 aujourd’hui contre plus de 9 000 il y a dix ans). Logiquement, on peut penser que la main-d’œuvre familiale s’est réduite d’à peu près autant. Par contre, le nombre de pieds de vigne reste identique. D’où, aujourd’hui, un impact beaucoup plus stratégique de la main-d’œuvre salariée dans l’organisation des structures viticoles. Si la grande majorité des chefs d’exploitations ne remet pas en cause cette concentration des structures, vécue comme une évolution plus ou moins inéluctable, certains, à la marge, se demandent « si le courant qui poussa à l’agrandissement des exploitations comme seul facteur de sauvegarde fut une bonne chose » ? « Certes, disent-ils, la problématique charentaise a toujours consisté à limiter la main-d’œuvre par des gains de productivité, car la main-d’œuvre, comme de bien entendu “c’est l’ennemi de l’économie.” Mais s’il n’y a plus personne pour entretenir les vignes, ne risque-t-on pas d’assister à une “industrialisation du vignoble”, avec de la main-d’œuvre basique travaillant sur de grosses haciendas de 400 ha et plus, sur le modèle des vignobles du nouveau monde ? » Et de poser la question : « La région s’interroge-t-elle suffisamment sur son projet d’avenir ? » Une réflexion bonne à entendre. A décharge, il est à noter que les structures d’une certaine taille, quand elles ont réussi à stabiliser leur fonctionnement, ne cherchent plus trop à s’agrandir, sauf exception…
l’attractivité du métier
La pénurie de main-d’œuvre pose naturellement la question de l’attractivité du métier. C’est un euphémisme de dire que les métiers agricoles en général et viticoles en particulier ne mobilisent pas les foules. Demandeurs d’emploi comme jeunes en formation ne font pas assaut de candidature. A cet égard, les effectifs des établissements scolaires agricoles sont éloquents. Mille causes peuvent expliquer cette désaffection. Pourtant, plus que tout autre, la responsabilité de la profession est mise en avant. Un directeur d’établissement scolaire agricole ne mâche pas ses mots : « Nous sommes en train de payer au prix fort le discours négatif des viticulteurs sur leur métier. D’un côté, je les comprends. On ne peut pas vivoter pendant des décennies, se serrer la ceinture et encourager dans le même temps ses enfants à prendre la relève. Mais chez eux aussi, il y a une propension à ne pas paraître trop riche, à tenir un discours misérabiliste, même quand les choses ne vont pas trop mal. Parce qu’ils savent que les cycles peuvent se retourner, que le temps joue rarement en leur faveur. Cependant, en cas d’embellie sur le marché, comme actuellement, ils sont piégés. Entre le constat des besoins et la réponse à ce besoin, il y a un temps d’inertie incompressible. » « Qu’on me donne du monde et vous aurez du personnel qualifié dans un an » s’exclame un autre chef d’établissement. Mais, justement, tout le problème consiste à « lui donner du monde ». Les ANPE ont beau multiplier les stages de taille auprès des demandeurs d’emploi, cela ne suffit pas !D’autant que ce n’est peut-être pas toujours la panacée, dixit un professionnel : « Former des tailleurs de vignes en 15 jours-3 semaines, il ne faut pas se leurrer ! Ils apprennent à couper des bois mais, dans leur tête, ils ne savent pas ce qu’ils font. Ce sont de mauvais tailleurs de vigne. » Voilà qui est dit ! Que faire alors ? La seule attitude, bien sûr, consiste à tenter d’actionner tous les leviers à la fois : s’adresser au public adulte comme au public jeune, travailler sur l’image du métier… Au niveau des demandeurs d’emploi, drainés en grande partie par les ANPE et les associations spécialisées, le manque de qualification constitue évidemment le cœur du problème. Face à ce constat, que faire ? De plus en plus, l’idée est de dire que les viticulteurs doivent devenir « les formateurs de leur propre personnel », seuls ou avec le concours des stages. Même chose pour l’apprentissage. A un agriculteur qui lui demandait de lui trouver un apprenti, le directeur d’un établissement d’enseignement répondait : « repérez-le vous-même parmi les petits gamins du village, envoyez-le moi et je vous le formerais ». Naturellement, cette attitude active face à l’emploi et la formation sollicite une implication importante de l’employeur, investissement humain que tout le monde n’est pas prêt à assumer. Pourtant « les exploitants sont en train de se remettre en cause, des portes s’ouvrent » témoigne Christelle Puglia, animatrice de l’ASAVPA* 16. Car, il faut bien l’avouer, nécessité fait loi. Les agriculteurs savent qu’ils auront de moins en moins l’occasion de tomber sur le « mouton à cinq pattes », celui qui possède de suite les qualifications requises. Ch. Puglia relate de belles histoires, du genre de celles qui se terminent bien, comme ce plombier qui ne connaissait rien de rien à la viticulture. Il a tout appris sur le tas. Aujourd’hui, son employeur ne voudrait pas s’en séparer pour un empire. De sa besace, elle tire aussi le cas de cette ancienne libraire ou de cette artiste peintre qui travaillent toutes les deux dans les vignes, à la satisfaction partagée des unes et des autres. « Les gens qui veulent bosser trouvent du travail » affirme la technicienne. On la croit volontiers. Mais elle n’ignore rien non plus des limites de l’insertion. Quand l’employeur ou la structure d’insertion sont confrontés à des gens instables, « qu’il faut réveiller tous les matins », qui sont bloqués aux portes des villes, faute de moyens de locomotion. Pas facile d’organiser du covoiturage jusqu’à la parcelle de vigne.
la formation initiale
La solution viendra-t-elle de la formation initiale de jeunes salariés viticoles ? C’est évidemment la voie royale, celle qui, par le CAP, le BEP, le Bac pro voire le BTS vit-œno, ménage le cursus d’apprentissage le plus progressif et donc le plus enrichissant. Sauf qu‘en 2007-2008, les classes sont étrangement clairsemées : 6 élèves en 1re année de BEP viti-œno au lycée professionnel agricole de Barbezieux, 11 en seconde année. Le Bac pro viti-œno du lycée professionnel a dû fermer, faute d’effectifs suffisants. Le lycée agricole du Renaudin à Jonzac a sauvé le sien, de Bac pro, mais il fonctionne avec des effectifs également « ric rac » : 9 élèves en 1re année, 5 en seconde. Avec 25 élèves moitié « vignes et vins », moitié « production végétale », le cycle BEPA du Renaudin fait presque figure de confortable matelas. Si le BTS viti-œno de l’Oisellerie compte 20 élèves de seconde année, il n’en recense que 9 en première année. Etat des lieux similaire dans l’enseignement agricole associatif du réseau des MFR (Maisons familiales rurales). Bon an mal an, les classes de BEP viti-œno de la MFR de Triac-Lautrait ne dépasse pas 8-10 élèves par promotion et ce depuis une dizaine d’années. « Cette situation ne pourra pas durer éternellement » note Christophe Bonafous, directeur de la structure. A l’IREO de Richemont, le Bac pro viti-œno ne totalise que 11 élèves sur les deux classes (5 et 6). Le BTS viticole ne crève pas les plafonds non plus : 19 jeunes sur les deux ans (10 et 9). Par ailleurs, que ce soit dans le public ou dans le réseau associatif, il faut savoir que les 3/4 des jeunes en formation sont des fils d’exploitants qui se destinent, le plus souvent, à l’installation. C’est dire la portion congrue restant au salariat viticole. « Nous ne formons quasi aucun jeune non issu du milieu agricole, susceptible de devenir salarié » constate le directeur de Triac-Lautrait. Pas étonnant dans ces conditions que les établissements d’enseignement agricoles regorgent d’offres d’emplois non satisfaites. Pour un jeune sortant de formation, il y a en permanence dans les tiroirs une quinzaine d’offres d’emplois. C’est bon pour le taux de placement des élèves, moins bons pour les employeurs.
options en balance
A la rentrée 2007-2008, les chefs d’établissement du secteur public* ont tiré la sonnette d’alarme. « Attention, nos classes sont en danger ! » Car le ministère de l’Agriculture a prévenu : dorénavant, au-dessous d’un seuil de 8 élèves, il sera difficile de maintenir une option et ce, quel que soit le niveau d’étude, BEP, Bac pro ou BTS. Chacun sent le souffle du boulet. La rentrée 2008-2009 sera une année charnière, donnée comme déterminante. Dominique Labattut, directeur du LEGTA (lycée d’enseignement général et technologique agricole) de l’Oisellerie prend l’affaire très au sérieux. « Veut-on que le savoir-faire viticole disparaisse de nos départements, alors qu’aujourd’hui nous sommes en mesure de proposer l’ensemble du cursus, du CAP jusqu’à la licence professionnelle ? » Il sait aussi que l’Etat, la DGER (Direction générale de l’enseignement et de la recherche qui dépend du ministère de l’Agriculture) parlent de regrouper les filières de formation viticole par grands bassins régionaux, car le marasme, bien sûr, dépasse les seules Charentes. Verra-t-on un jour la région Aquitaine concentrer toutes les formations viticoles à 300 km à la ronde ? « Les pratiques charentaises ne sont pourtant pas les mêmes que celles du vignoble bordelais » interjecte D. Labattut. Wali Nourestani, directeur de l’IREO, prône quant à lui la mutualisation des moyens entre établissements scolaires agricoles. « Nous n’allons pas continuer à nous battre pour 9 élèves. D’une manière ou d’une autre, nous devrons jouer collectif. De toute façon, nous y serons contraints économiquement. » Reste à savoir comment la distribution des effectifs pourrait s’opérer ?
la profession viticole mobilisée
La profession viticole a entendu le message des formateurs, avec une acuité d’autant meilleure qu’elle se trouve être la première victime de cette pénurie de candidats aux métiers viticoles. Des groupes de travail se sont réunis, associant BNIC, syndicats viticoles, Chambre d’agriculture, établissements d’enseignements, DRAF… Outre le fait de participer à tous les forums emploi et formation de la région (ce qui était déjà le cas), il a notamment été décidé de tourner un film pour promouvoir l’emploi viticole auprès des jeunes. Malheureusement, cet outil ne sera pas prêt au printemps 2008, à l’heure où se décident les orientations dans les classes.
Plus globalement, c’est de l’image du métier agricole dont il s’agit. Force est de constater que cette image a besoin d’être revalorisée. Qui doit s’en charger, avec quels moyens et pour quels résultats attendus ? On comprend que les filières spécialisées s’estiment légitimes à conduire ce chantier. Mais quelqu’un comme Nathalie Leclercq, détachée par la FNSEA en région Poitou-Charentes pour s’occuper des missions d’emploi et de formation – elle a son poste à la FRSEA, aux Ruralies – met en garde contre les dangers de la cacophonie et de la dispersion. « Toutes les initiatives sont bonnes à prendre mais à condition d’être coordonnées. » Travaillant pour un syndicat généraliste, elle s’interroge sur la représentation du métier agricole par des jeunes de 14 ou 15 ans. De quelle manière la « mallette pédagogique » sera-t-elle la plus efficace ? En évoquant des branches de métier – viticulture, horticulture, élevage caprin… – ou en axant les efforts sur une sensibilisation générale ? Elle signale par ailleurs que des outils et des actions existent déjà. « On ne part pas d’une terre vierge. » A ce titre, le travail auprès des conseillers d’orientation (40 au total en Poitou-Charentes) est emblématique. Dans les collèges et lycées, c’est à travers eux que transite l’essentiel du message sur les métiers. D’où leur rôle stratégique de « rabatteurs » pour les différentes filières ? Faut-il, comme certains établissements agricoles le font, organiser des rencontres spot avec les deux ou trois conseillers d’orientation du secteur ; ou bien monter des opérations plus construites et collectives ? En tout cas, l’essentiel « est de ne pas se louper ». En grande masse, l’enseignement agricole ne mobilise, en France aujourd’hui, que 2 % des jeunes en formation. Dans le même temps, l’éducation nationale déplore 45 000 jeunes de moins dans le premier cycle, sous l’effet de la courbe démographique. C’est dire que « les temps sont durs pour tout le monde » et que la concurrence est vive. La crainte des chefs d’établissements agricoles ! Que leurs collègues de l’éducation nationale veuillent garder les effectifs pour eux, en s’arrangeant pour en disperser le moins possible. « De toute façon, estime Wali Nourestani, la promotion d’un métier se joue pour l’essentiel dans les familles. Vendre un métier par le biais de l’institution scolaire ne fait pas partie des traditions françaises. » A noter tout de même que des filières « à la peine » comme le bâtiment ou les travaux publics ne négligent aucune piste, même pas celle de la publicité télé.
« trouver les bons mots »
« L’essentiel, c’est de trouver les bons mots » interpelle Christophe Bonafous. « Les jeunes, constate-t-il, se disent très intéressés par les métiers de l’environnement. Pour décrire les métiers agricoles, il faut leur parler nature, environnement, autonomie, mécanisation, liberté, activité très rythmée. » Instinctivement, il pressent que ce message passera peut-être mieux auprès d’un public de jeunes péri-urbain sans a priori négatifs qu’auprès d’un public de jeunes ruraux, inféodés à des images du passé. Pragmatique, le directeur de l’IREO de Richemont fait remarquer qu’il y a deux millions de chômeurs en France et que l’agriculture constitue une poche d’emplois non négligeable. Ces arguments suffiront-ils à convaincre un jeune en quête d’orientation ? L’homologue de Nathalie Leclercq en Champagne-Ardenne, François Marin, en doute un peu, alors même qu’il compte dans sa zone la Champagne de Reims, grosse pourvoyeuse d’emplois viticoles. « Ce ne sont pas les postes d’encadrement qui manquent le plus, observe-t-il, mais les ouvriers d’exécution qui savent tailler, palisser, traiter. Ce sont des emplois de plein air, avec tout ce que cela comporte d’aléatoire mais, surtout, ce sont des emplois empreint d’une forme d’isolement. Ce type d’activité suppose d’être persévérant, autonome et apte à supporter une certaine solitude. Quand vous attaquez une parcelle de vigne, vous savez que vous ne pourrez pas zapper dans cinq minutes. Ce schéma de fonctionnement ne colle pas forcément à celui des jeunes, qui ont tendance à privilégier le collectif, le fun et le changement. » La partie est-elle définitivement perdue auprès des jeunes ? « Non bien sûr réplique F. Marin. Si nous arrivons à stopper le déclin, ce sera déjà une bonne chose. Mais je ne parlerais pas de réussite ou d’échec. En terme de changement d’imaginaire de comportement, on sait ce que l’on fait, on ne sait jamais ce que l’on obtient. »
des travailleurs venus d’ailleurs
Des viticulteurs, eux, ont déjà tiré des conclusions plus radicales : « Les Français ne veulent plus travailler à l’extérieur. » Conséquence ! Ils se sont intéressés de plus près à ces travailleurs venus des pays de l’Est, qui par agences d’intérim de leurs pays d’origine, qui par sociétés de prestation de service. Ces transferts de main-d’œuvre font partie des mesures d’ajustement auxquelles recourent les métiers dits « en tension ». La viticulture ne fait pas exception. En règle générale, ceux qui ont commencé à tester la formule souhaitent s’inscrire dans un cadre légal. Pas question de cautionner des circuits illicites, par souci humanitaire mais aussi par crainte des risques, bien réels (contrôles de l’Administration, amendes…). De l’avis des primo pratiquants, l’intérêt économique est moins lié au salaire – celui du pays d’accueil plus les frais annexes – qu’à la disponibilité et au « rendement » des salariés étrangers, roumains, bulgares ou polonais. D’un point de vie éthique, l’initiative ne laisse pas indifférent non plus. Jugée « politiquement correcte » par ceux qui y recourent, dans la mesure où elle favorise concrètement l’intégration européenne, elle n’est pas du goût de ceux qui pensent qu’il vaut mieux tenter d’employer les chômeurs en France avant d’aller chercher de la main-d’œuvre étrangère. Qui plus est, tout le monde n’est pas capable d’accueillir dans ses vignes des gens venus d’ailleurs. Il faut déjà manifester une certaine ouverture d’esprit.
des femmes salariés permanents
A coup sûr, la main-d’œuvre féminine soulève moins de questionnement, au moins quand il s’agit de salariées occasionnelles, employées à la tâche. Elles font déjà partie du paysage, pour tirer les bois, attacher, palisser. Fait nouveau ! Des femmes, de plus en plus nombreuses, acquièrent le statut de salariées permanentes, employées à l’année et polyvalentes sur toutes les tâches, taille, conduite des engins, réalisation des travaux mécaniques… Les employeurs viticoles se seraient-ils mués d’un coup en champions de l’égalité professionnelle hommes/femmes ? On le leur souhaite mais la raison de ce changement est peut-être plus prosaïque. A ce jour, le public féminin constitue l’un des derniers réservoirs de main-d’œuvre potentiellement formée, concernée et disponible. Commentaire d’un spécialiste des relations sociales : « La féminisation d’un métier n’est pas toujours bon signe dans la mesure où elle témoigne d’une certaine dévalorisation des tâches. Par contre, à titre individuel, il s’agit d’un véritable facteur de promotion sociale, source de progrès. Deux générations en arrière, qui aurait pu imaginer voir reconnaître à une femme les mêmes capacités qu’un homme dans les vignes ! » Encore aujourd’hui, tous les esprits ne sont pas pénétrés de cette idée. Du chemin reste à parcourir, des tabous doivent tomber. D’où l’exemplarité encore plus grande des pionniers du traitement égalitaire homme/femme pour la prise de responsabilité.
Dans la revalorisation d’un métier, le salaire et la reconnaissance sociale représentent des leviers puissants. Qu’en est-il pour celui d’ouvrier viticole ? Cela n’étonnera personne ! Une certaine opacité entoure la question du salaire. La tension du marché de l’emploi concourt forcément à tirer les salaires vers le haut. Pourtant l’exercice trouve assez vite ses limites. Si les aspects fiscaux et sociaux (déduction des charges) pourraient inciter les employeurs à aller plus loin dans cette voie, ils craignent un retournement de situation. C’est tout l’aspect de la réversibilité, de la flexibilité, de la variabilité de la rémunération. En cas de crise, un salarié peut-il accepter de voir son salaire baisser ou son intéressement disparaître ? Des employeurs réfléchissent à d’autres formules, comme par exemple mettre en place des critères de rémunération quantitatifs mais aussi qualitatifs, auxquels les salariés adhèrent parce qu’ils sont lisibles ; ou encore des avantages en nature (mise à disposition de logement…), moins impactés par la conjoncture. Une conjoncture largement dépendante du négoce et de sa politique de prix. A ce titre, on peut dire que la rémunération du salariat viticole dépend en grande partie de la visibilité qu’aura l’employeur de son revenu futur. L’assurance de revenus stable à un niveau correcte influencerait sans doute de façon déterminante le salaire viticole et donc l’attractivité du métier.
la reconnaissance : « un besoin vital »
La reconnaissance du rôle joué par le salarié dans l’entreprise constitue une autre source d’attractivité et de fidélisation. C’est bien de trouver un salarié, c’est encore mieux de le garder. Cette reconnaissance n’est pas une simple politesse, « c’est un besoin vital » affirment tous ceux qui font du management leur métier. « Elle conditionne la confiance en soi, le respect de l’autre, l’estime de soi. Elle constitue un être humain et lui permet d’évoluer. » Le salarié considéré comme un « commis » ou un « tâcheron » fait partie de l’histoire ancienne. Les « pousseurs de brouette » n’existent plus et l’employeur le sait mieux que quiconque, lui qui a besoin de salariés de plus en plus autonomes. Cette « professionnalisation » des rapports n’est pourtant pas le gage d’une bonne communication. Beaucoup d’agriculteurs appartiennent au clan des « taiseux ». Ils respectent leurs salariés mais ils oublient de le leur dire, ou ils le disent « entre deux portes ». Surtout, ils « zappent volontiers » ce qui est convenu d’appeler « l’encadrement », au prétexte que les choses vont de soi ou que le rôle de « va devant » du chef d’exploitation ou de son équivalent suffit à donner l’impulsion. Pourtant, tout le monde le dit ! Le « désir de métier » n’est pas inné. Pour s’exprimer, il a besoin de conditions favorables. « Un métier, c’est une identité professionnelle. Il n’y a pas de métier sans l’organisation d’un collectif partagé, pour transmettre et adapter les savoirs, les règles et les valeurs qui y sont associées. » Quel employeur se plie à un entretien annuel avec son salarié ? Pourtant un conseiller de gestion l’affirme : « Douze fois dix minutes de discussion n’ont pas la même portée qu’un véritable entretien d’une heure pour faire le point, évoquer ce qui va, ce qui ne va pas et les moyens d’y remédier ? » Cette dimension « managériale », les employeurs de main-d’œuvre l’oblitèrent largement sur leurs exploitations. Un territoire à conquérir.
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