Vecteur de communication

28 juin 2009

Entre ombre et lumière, le courtier de campagne exerce un métier finalement mal connu. Il parle à tout le monde mais, discrétion oblige, doit aussi savoir se taire, même si la circulation de l’information fait partie intrinsèque de son rôle d’intermédiaire. Tâche ô combien délicate en ces temps d’incertitudes. Patrick Béguin et Serge Pelletier, président et vice-président du Syndicat des courtiers en vins et eaux-de-vie de la région de Cognac, s’expriment sur leur vécu à l’aube de la nouvelle campagne.

 

« Le Paysan Vigneron » – Début 2009, quel regard portez-vous sur vote activité ?

courtier_metier_opt.jpegLa récolte 2008 va être encore relativement simple à gérer. Il y a bien eu un petit refroidissement en décembre mais aujourd’hui, on a la certitude que toutes les quantités engagées au Cognac iront à cette destination. En fait, nous sommes déjà totalement dans la campagne prochaine. Pour nous, celle-ci est terminée. Toute la partie marché a été résolue. Ne reste plus que quelques enlèvements à finaliser. Chez les viticulteurs aujourd’hui, nous consacrons tout notre temps à évoquer la nouvelle campagne.

« L.P.V. » – C’est là où les viticulteurs sollicitent votre connaissance du marché ?

C’est vrai que notre rôle d’intermédiaire nous amène à être un vecteur de communication. Rares sont les courtiers exclusifs d’une maison. C’est même un peu antinomique de la fonction. Normalement, nous sommes faits pour travailler avec plusieurs maisons. Nous avons donc une vue un peu plus synthétique que d’autres sur les politiques d’achat, la température du marché. Cette approche est alimentée par les contacts que nous pouvons avoir avec les personnes décisionnaires locales – responsables d’achat, maîtres de chai, voire responsables financiers – à l’occasion de rencontres individuelles ou de réunions d’information. Ainsi nous essayons d’apporter l’information la plus rationnelle possible. Ceci dit, il faut rester très prudent et modeste. Malgré le bon climat ambiant, le courtier peut très vite devenir un bouc émissaire. Déontologiquement, nous n’avons pas à nous substituer à nos clients. Notre rôle est d’interpeller les personnes en essayant de leur apporter le maximum d’information. Il faut bien les amener à réfléchir sur le cours des choses. Pas question d’attendre le 30 octobre pour savoir s’il convient de faire du jus de raisin, du vin de table ou du Cognac. Quelque part, le courtier se projette dans l’avenir, comme et avec ses clients. En cela, c’est un métier fait pour les optimistes, pas pour les pessimistes. Par contre, il prendra toujours garde de ne pas décider à la place du viticulteur. Un pied sur l’accélérateur, un autre sur le frein. C’est d’ailleurs un principe de base. Outre le manque de visibilité générale, le courtier n’a pas à anticiper le mouvement, à l’emballement comme à la baisse.

« L.P.V. » – En terme d’information, le négoce fait-il aussi appel à vous ?

Bien sûr, le négoce nous questionne pour se faire une idée du terrain, connaître la disponibilité en volume. En fait, il nous interroge autant que la viticulture mais à des périodes différentes. En tant qu’intermédiaire, le courtier est là pour les deux parties. Le négoce nous demande de faire passer des messages qualité en relation avec son cahier des charges. La viticulture est plutôt demandeuse d’informations d’ordre économique, contractuel, de connaissances des prix. Et, quelque part, le rôle du courtier est tout de même de faire remonter la demande de la viticulture au négoce. En fin de compte, il s’agit de faire de la prévention.

« L.P.V. » – Quand rencontrez-vous votre clientèle viticole ?

Tout le temps, à toutes les périodes de l’année. C’est un peu la face cachée du métier. Notre rôle ne se borne pas à la prise d’échantillons et aux enlèvements. Le relationnel est quasi permanent. Le terme de courtier de campagne n’est vraiment pas usurpé, surtout en Charentes. Il signifie que nous abordons les problèmes très en amont. A l’évidence, nous sommes très attendus par nos clients sur les aspects réglementaires, déclaration de récolte, déclaration d’affectation, douanes, HACCP, traçabilité. Nous avons l’obligation de nous tenir parfaitement au courant de la législation. Et Dieu sait si elle change dans la région. Si la conduite du vignoble sort un peu de notre domaine de compétence, nous y revenons par le biais de l’enregistrement des pratiques. Quelque part, sur les exploitations où les courtiers interviennent, ils sont les garants du bon déroulement des opérations, à tous les stades. Cela repose sur une relation de confiance, tissée au fil des ans. Et bien entendu la discrétion constitue une règle de base de la profession.

« L.P.V. » – En Charentes, selon vous, quelle part occupe le courtier dans les relations commerciales ?

A priori, il participe à plus de 60 % des transactions. Une érosion existe toujours mais nous constatons aussi des retours. Effectivement, dans certains cas, les contrats de bonne fin ont pu un peu mordre sur notre activité mais nous avons aussi emmené des clients vers des contrats de bonne fin, via les négociants, marchands en gros, distillateurs. S’il n’existe pas toujours de relations directes avec les maisons, des relations fortes nous lient aux bouilleurs de profession. Globalement, dans la région des Charentes, on peut dire aujourd’hui que les relations d’achat sont fidélisées en grande majorité, soit contractuellement, soit par le biais d’engagements moraux forts. Globalement, la transparence progresse dans les relations. Nous assistons à un schéma bien plus fluide entre les opérateurs.

« L.P.V. » – Les exploitations qui grossissent n’ont-elles pas tendance à travailler en direct ? Dit autrement, est-il « payant » de passer par un courtier ?

Pour une exploitation, il n’est pas forcément intéressant de se retrouver en première ligne. Parfois, la pression s’avère moins grande quand on passe par un courtier, notamment sur les volumes. Viticulteur comme négociant peuvent y trouver leur compte. Par ailleurs, quand les exploitations évoluent, les problématiques de production prennent parfois un tour assez compliqué. Le courtier joue comme un auxiliaire, au plan réglementaire notamment. Il peut aussi faire bénéficier ses clients d’opportunités. A lui de garder les yeux ouverts, d’être réactif.

« L.P.V. » – Les bouilleurs de profession font parfois office de courtiers.

Certains oui mais d’autres font le choix de se recentrer sur leur cœur de métier.

« L.P.V. » – Qui paie le courtier ?

Pour les vins Cognac, qu’il y ait ou non intervention d’un courtier, cela ne change rien à la somme perçue par le viticulteur. Le courtage s’impute sur la marge du bouilleur de profession, au même titre que les frais de distillation ou de transport.

« L.P.V. » – En général, un courtier a combien de clients ?

En la matière, le nombre de clients ne veut pas dire grand-chose. On parle plutôt d’un chiffre d’affaires. Certains courtiers sont plutôt spécialisés sur les Pineaux, d’autres sur les vins Cognac où les eaux-de-vie, dans tel ou tel cru. Cependant, nombreux sont ceux à travailler dans tous les crus.

« L.P.V. » – On parle de démarchage de la clientèle par téléphone ou internet, de la vente en ligne d’eaux-de-vie.

Le courtage a toujours revêtu des formes diverses. Certains courtiers ont des cœurs de clientèle fidèle à 95 %, d’autres développent des stratégies différentes, comme le porte à porte, le démarchage téléphonique ou maintenant internet. Malgré tout, le courtage reste un métier de contact humain, relativement incompatible avec la froideur de l’écran. C’est comme si vous ne dégustiez jamais une eau-de-vie, vous contentant du bulletin d’analyse.

« L.P.V. » – Quelles sont les joies et les difficultés du métier ?

Les joies, c’est de travailler dans un climat de confiance et de respect mutuel. Les difficultés sont liées aux incertitudes du Cognac. Quand vous voyez des gens que vous connaissez bien tomber en dessous du seuil de pauvreté, vous dormez mal la nuit. C’est toute la question de la pérennité des entreprises.

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