Alain Philippe, directeur du BNIC, est inquiet et il le dit (1). Aujourd’hui les pays de l’est, et notamment la Russie, sont aux avant-postes de l’usurpation d’origine. Une tentation à laquelle bien peu de pays émergents échappent, au moins dans un premier temps, mais qui demeure un risque pour le Cognac. Dans quelle mesure la filière brandy alimente-t-elle le phénomène ?
Alain Philippe – « Entre 2000 et 2003, le Cognac vendu sur le marché russe a été multiplié par quatre, passant de 1 700 hl AP à 7 600 hl AP. Super ! Par contre, là où le bât blesse, c’est que la Russie importe de façon exponentielle des brandies de base : 185 000 hl AP en 2003, dont 41 000 hl AP de France. La France est aujourd’hui le premier exportateur de brandy vers la Russie. Elle a détrôné l’Azerbaïdjan, la Moldavie et l’Arménie. Dans les pays de l’Est, en particulier en Russie, les autorités locales permettent à des produits locaux ou à des produits importés (essentiellement de la CEI ou de l’Union européenne) d’usurper le nom de l’AOC Cognac en apposant le mot « Cognac » en cyrillique (et même parfois en caractères latins) sur leurs étiquettes. Il s’agit d’une usurpation légalisée de notre AOC. Le phénomène, apparu en 2000, n’a fait que se multiplier. Peut-on même espérer y mettre fin ? La mission économique de l’ambassade de France à Moscou a été très claire sur le sujet : « Messieurs, attention ! Les chiffres sur la Russie sont alarmants. Nous sommes les seuls à faire cette gymnastique. Il est certain que, lorsque nous l’arrêterons, les circuits auront été suffisamment juteux pour que les autres suivent notre trace. Nous sommes les rois des idiots à inventer de faux circuits avec de bons produits qui seront ensuite vrais avec des faux produits. C’est la problématique de la défense de l’AOC Cognac qui est ici en jeu. » Et ne parlons pas des exportations de boissons spiritueuses. Avant 2000, elles aussi n’existaient pas. En 2003, elles ont atteint 41 000 hl AP sur le marché russe. Le problème, c’est qu’une partie de ces boissons spiritueuses est expédiée de la région des Charentes. Ou, le cas échéant, passe par Cognac pour faire tamponner le certificat d’origine délivré par la CCI. On peut aussi s’interroger sur la destination finale de certains “vins pays tiers”, surtout quand on sait que des alambics charentais fonctionnent dans les pays de l’Est. Le “faux Cognac” existe déjà. Ne facilitons pas le travail de gens prêts à se targuer d’une façon ou d’une autre d’une origine charentaise. Ce serait une manière de collaborer activement aux circuits de l’usurpation d’origine. »
Pour rester positif, le directeur du BNIC indique que « malgré les difficultés, l’interprofession cherche à maintenir le contact avec les autorités russes afin de faire évoluer la réglementation locale relative aux eaux-de-vie de vin et faire reconnaître la spécificité de l’AOC Cognac. » « En France, poursuit-il, le BNIC travaille avec Bercy et les CCI (Chambres de commerce et d’industrie) pour lever l’ambiguïté des certificats délivrés par les CCI. Le certificat d’origine CCI ne vaut pas certificat d’appellation d’origine contrôlée Cognac. Ce dernier ne peut être délivré que par le BNIC. Le Bureau du Cognac sensibilise également les autorités russes sur ce point. »
(1) Les propos d’Alain Philippe sont alimentés par le rapport de la Mission économique de l’ambassade de France à Moscou, édité en septembre 2004.
(2) La Russie importe 141 000 hl AP de brandy (Cognac inclus), dont 20 % en provenance de l’Union européenne et 80 % de la CEI (Communauté des Etats indépendants regroupant quinze Etats : Arménie, Azerbaïdjan, Moldavie…). La CEI fut créée en 1991 sur les dépouilles de l’ex Union soviétique.
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