Cognac : Congrès de la CNAOC : La viticulture attachée à son OCM

13 juin 2016

 La dérégulation de pans entiers de l’agriculture – lait, viande…- et les crises qui en découlent ne peuvent qu’inciter les viticulteurs à défendre une organisation de marché spécifique, l’OCM viti-vinicole. C’est ce qu’ils ont dit aux représentants de la Commission européenne et du Ministère de l’agriculture lors du congrès de la CNAOC qui, s’est tenu, cette année, à Cognac, à l’invitation du syndicat viticole UGVC.

La réussite d’un congrès, à quoi tient-elle ? A une subtile alchimie entre « de la matière, du grain à moudre » et la convivialité qui s’en dégage : attention portée aux détails, intérêt témoigné aux invités. Sans chauvinisme exagéré, on peut dire que le congrès de la CNAOC organisé cette année à Cognac par l’UGVC fut un bon cru, un excellent cru même. Au premier chef, il faut en féliciter les équipes du syndicat, Alexandre Imbert, son directeur et bien sûr Emilie Chapalain. En tant que chargée de communication, elle  s’est retrouvée aux avant-postes. « Son » congrès, elle l’a géré de main de maître. Les professionnels aussi ont « fait le job ». D’abord en dégageant une ligne de crédit substantielle, il est vrai quelque peu amortie par la participation de plusieurs sponsors. Ensuite en accompagnant les congressistes durant les trois jours – les mercredi 20, jeudi 21, vendredi 22 avril. S’investirent dans cette mission les membres du bureau au complet mais aussi des adhérents tout court, jeunes ou moins jeunes.

 

Réunion restreinte

 

Les « hostilités » débutèrent le mercredi après-midi par une réunion restreinte du bureau de la CNAOC suivi d’un dîner (avec, déjà, dégustation de Cognacs). La journée plénière du jeudi s’ouvrit en matinée par   l’assemblée générale à « huis clos » des membres de la Confédération nationale des vins d’appellation, suivie l’après-midi de la table ronde, accessible au public. A cette occasion, se retrouvèrent sur un même plateau – celui de La Salamandre à Cognac – un échantillonnage des strates décisionnelles de la filière vitivinicole : un membre de la Commission européenne, un haut fonctionnaire du Ministère de l’agriculture, le directeur de l’INAO, des représentants de FranceAgriMer…C’est Stéphane Roy, le président de l’UGVC, qui porta la parole du Cognac. En début de soirée, les 200 congressistes gagnèrent un établissement réceptif de la ville de Cognac pour le dîner de gala. Et c’en fut un, de dîner de gala, sous la baguette très inspirée de Thierry Veyrat, chef de La Ribaudière. Bonne idée du jour, le dîner fut un dîner aux Cognacs : certainement la meilleure façon de faire découvrir à des viticulteurs patentés le Cognac autrement, de manière plus accessible et plus variée. Accords avec un produit de la mer, une volaille, un fromage, un dessert…Ce fut parfait, de bout en bout. La soirée s’est prolongée par un spectacle de cabaret et un « after » pour les plus jeunes…et les plus résistants. Le temps du vendredi, traditionnellement réservé à la partie visite, s’est passé à Bourg-Charente, sur le site de la maison Marnier-Lapostolle. Outre la beauté du lieu et  le sens de l’accueil de Patrick Raguenaud, il s’agissait de la seule distillerie en fonctionnement de la région de Cognac, certes d’essence d’écorce d’orange mais destinée à être associée au Cognac. Après le déjeuner au restaurant du Golf, les charentais ont offert aux congressistes, en guise de cadeau de départ, un « Casino Cognac », ludique et éducatif. Autre bonne idée avant le clap de fin. L’édition 2017 du congrès de la CNAOC se déroulera à Bordeaux, pour célébrer l’arrivée de la Cité du vin dans le domaine de l’oenotourisme haut de gamme.

 

Simplification européenne

 

La thématique du congrès de la CNAOC a concerné cette année les questions de « simplification » européenne. Derrière ce vocable un peu anodin et un tantinet lénifiant – qui peut s’opposer à la simplification ? –  se cache une réalité moins soft : la tentation, semble-t-il, des services de la Commission de poursuivre à pas feutrés dans la voie de la libéralisation du secteur viticole. Il faut dire qu’au sein de la PAC (politique agricole commune), seuls deux segments continuent de bénéficier de budgets spécialisés : le segment du vin et le segment des fruits et légumes. Toutes les autres spéculations sont aujourd’hui soumises au régime du « saupoudrage » des aides ha. Alors que s’ouvrent les prédiscussions à la réforme de la PAC, on comprendra que toute initiative de la part de la Commission soit scrutée à la loupe. Et justement, en fin d’année 2015, la Commission a fait preuve d’initiative. Elle a décidé de lancer le chantier de la simplification de la PAC. Que faut-il entendre par là ?

En 2007, le Traité réformateur dit « de Lisbonne » a prévu de simplifier le processus législatif. Comment ? En permettant par exemple à la Commission européenne de légiférer à la place du Parlement sur des sujets considérés comme « non essentiels ». Objectif poursuivi : une adoption plus rapide des textes. Dans cette perspective, la Commission a mis sur la table les quatre règlements d’application viti-vinicole issu de la dernière OCM vin de 2008 (revisitée en 2013). Des projets de texte s’en sont suivis. A leur lecture, la profession s’est aperçue de plusieurs choses. Que  les textes étaient éclatés et dispersés ; que des dispositions essentielles ne se retrouvaient nulle part ; qu’il n’était procédé à aucune analyse d’impact ; et surtout, surtout, qu’il existait une forte propension à « l’horizontalité ». Exemple : sur un document de travail concernant les IG (Indications géographiques), les normes de commercialisation qui jusqu’alors concernaient uniquement les vins valaient aussi pour les …bananes.

 

Au bénéfice des VSIG

 

Au vu de ces travaux préparatoires, le constat de la filière vin, CNAOC en tête, est sans appel – «Existe une vraie volonté de la Commission de nous faire glisser davantage vers l’horizontalité ». Impensable pour une profession très attachée à la spécificité de son OCM vin. Outre cette menace « d’horizontalité », un autre sujet inquiète beaucoup la CNAOC : la tentation de libéralisation au bénéfice des VSIG (Vins sans indication géographique). Pour preuve, dans les projets de textes européens parus en début d’année 2016, à aucun moment il n’est fait état, pour les VSIG, de la référence à l’unité géographique. Problème car, dans la réglementation actuelle, les VSIG peuvent uniquement faire référence à l’état membre (Merlot de France…) mais en aucun cas à une unité géographique plus petite (VSIG de Gironde par exemple). Ce silence de la Commission, comment l’interpréter ?  Serait-il annonciateur d’un changement de dogme au bénéfice des VSIG ? Les syndicats d’appellation et leur Confédération en font « une ligne rouge à ne pas franchir ». «Si tel était le cas, disent-ils, cela contribuerait à accentuer la confusion des consommateurs entre vins IG et vins sans IG. »

Des inquiétudes s’expriment également sur les questions d’étiquetage, de mentions et de méthodes traditionnelles (forme des bouteilles, modes de production…). Sur la mouture sortie en début d’année, ces dispositions, extraites du texte de base IG, se retrouvaient éclatées, dispersées dans d’autres textes. Les stigmates d’une horizontalisation rampante ? La profession a aussi du mal à admettre l’argument de simplification quand les quatre textes initiaux se transforment en huit projets de textes. Tous ces signaux vont provoquer une forte mobilisation dans les rangs de la viticulture française et européenne. La presse relaie le mécontentement et les parlementaires européens se mobilisent, en premier lieu ceux de l’Intergroupe vin, dont Michel Dantin. Le 8 mars 2016, Phil Hogan, le commissaire européen à l’agriculture, vient s’exprimer devant les membres de l’Intergroupe vin. Une première ! Le commissaire fait alors plusieurs annonces. Il dit d’abord qu’il retire les projets de texte. Puis rassure – « pas question de revenir sur les fondamentaux posés en 2008 et 2013. » Mais une petite phrase, passée relativement inaperçue, interpelle les exégètes les plus pointus, dont Pascal Bobillier-Monnot, le directeur de la CNAOC. Car Phil Hogan, alors même qu’il annonce le retrait des projets de texte glisse, dans la foulée « que la négociation continue ». Léger trouble au sein de la famille viticole, que cette mention « à la marge » interpelle. Le commissaire et plus encore les services de la commission ne seraient-ils pas en train d’explorer de nouvelles armes pour valoriser les VSIG ?

 

Vigilance

 

Aujourd’hui, la CNAOC et son relais européen l’EFOW s’organisent pour encourager les états membres (gouvernement, parlementaires) à exercer leur vigilance. Face à des services de la Commission qui continuent de faire de la libéralisation des Vins sans indication géographique un atout de compétitivité, il ne faudrait pas que les mécanismes de régulation des plantations, chèrement défendus en 2013, soient remis en cause. Par ailleurs, c’est en décembre 2018 que le programme pluriannuel d’aides à la viticulture arrivera à son terme. Reconduit, pas reconduit ? L’enjeu est fort et, à coup sûr, il aura valeur de test sur la manière dont l’Europe envisage ses dernières filières spécialisées.

Sondé sur ces questions lors de la table ronde, Rudy Van der Stappen, chef adjoint de l’Unité Vin à la DG Agri de la Commission européenne, s’est montré relativement prudent, pour ne pas dire qu’il a botté en touche. Il s’est d’abord livré à un come-back en forme de satisfecit – «C’est en   2008/2009 que furent introduites pour la première fois  des enveloppes nationales par Etats membres, afin de soutenir l’innovation du secteur viti-vinicole. » « Chaque année, a t-il précisé, cela représente une somme d’1,1 milliard d’€ au niveau européen. » (280 € en moyenne pour la France). Et demain ? Réponse liminaire du fonctionnaire bruxellois – « Il est encore trop tôt pour avoir une bonne idée de la suite. » En ce qui concerne le potentiel de production, ses propos n’échappèrent pas non plus au « politiquement correct » – « L’objectif est la croissance mais une croissance contrôlée. Il faut avoir suffisamment de vignes pour capter des parts de marché mais ne pas avoir de productions excédentaires qui ne trouveraient pas de débouchés. Une croissance contrôlée, voilà vraiment le mot magique ! »

 

Importance stratégique

 

Et l’échelon national, qu’en pense t-il ? Sollicité sur plusieurs questions – homologation des cahiers des charges par les états membres en cas de modification mineure, possibilité d’introduire dans les cahiers des charges une petite proportion de  nouveaux cépages – Arnaud Dunand, chef du Bureau vin au Ministère de l’agriculture, s’est montré rassurant. « Nous sommes conscients de l’importance stratégique de votre secteur. Vous pouvez compter sur notre pragmatisme. En sachant que nous sommes également soucieux de conserver notre rôle d’appui à la Commission. » Jean-Luc Dairien, directeur de l’INAO, s’est félicité du bon déroulement global de la réforme des plantations. Mais, face aux interrogations de Stéphane Roy, président de l’UGVC, sur le statut du vignoble Cognac, il est resté muet. Un silence assourdissant.

En conclusion du congrès, Bernard Frages, président de la CNAOC et aussi de l’EFOW, l’échelon européen de la représentation viticole, a mis l’accent sur la compétitivité. «  La simplification, à laquelle nous ne sommes pas opposés, doit d’abord servir les opérateurs et pas l’administration. Surtout, elle doit produire de la compétitivité ! » Il a redit l’attachement de la filière à une OCM viti-vinicole spécifique. « Nous avons un secteur qui marche plutôt bien mais nous savons aussi que les équilibres sont très fragiles. Merci à nos amis cognaçais pour ce bel accueil. »

 

 

Le Congrès de la CNAOC vu par Stéphane Roy

 

« Au titre de l’UGVC, je suis délégué de la CNAOC mais je suis un nouveau délégué. Le conseil d’Administration du jeudi 21 avril était donc mon premier conseil. J’y ai trouvé des gens – les autres présidents et délégués de syndicats viticoles ndlr – plutôt ouverts d’esprit. Certes, c’est vrai, nous ne partageons peut-être pas tout à fait la même vision. La viticulture cognaçaise, à la différence des autres vignobles, s’inscrit davantage dans une démarche interprofessionnelle. Mais l’organisation de ce congrès nous a permis de mesurer combien l’UGVC avait évolué. Désormais, la formation viticole régionale fait partie des syndicats puissants, à même enseigne que les autres syndicats viticoles. J’ai pu me rendre compte aussi de l’efficacité de l’équipe de la CNAOC, de son directeur, Pascal Bobillier-Monnot, de son juriste Eric Tesson. Ils effectuent une veille réglementaire remarquable. J’ai été impressionné. »

 

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