Jean-Marc Girardeau : le concept de « compliance »

10 février 2009

Gérer une entreprise dans le respect des règles du droit, à l’interne comme à l’externe… C’est ce que les Américains nomment la « compliance », un concept qui mêle l’éthique, la conformité réglementaire et « l’intelligence économique ». Etre irréprochable pour être plus efficace, comme le philosophe Alain prônait « une âme saine dans un corps sain ». C’est aussi la vision stratégique que souhaite développer Cyril Camus, P-DG du Cognac Camus. A ses côtés, dans le rôle du « compliance officer » – du gardien des tables de la loi – Jean-Marc Girardeau, ancien juriste du BNIC, aujourd’hui secrétaire général de la maison de Cognac.

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« Le Paysan Vigneron » – Le Droit à la rescousse de « l’intelligence économique ». C’est une idée qui vous plaît ?

Jean-Marc Girardeau – Non seulement cette idée me plaît mais j’y crois. Cette vision d’entreprise qu’a Cyril Camus, je la partage. Ce fut même l’une de mes puissantes motivations pour le rejoindre et me mettre à son service. Pour nous le mot Cognac dégage quelque chose de très important. Il touche à l’éthique. Nous voulons vivre l’entreprise comme une entité complètement intégrée à son produit. On ne vend pas du Cognac comme n’importe quoi. Tout doit être géré de façon harmonieuse : le plus haut niveau de certification mais aussi des relations privilégiées avec le personnel, notre façon d’être avec nos concurrents, la manière de se comporter sur le terrain ou encore le respect, si essentiel, de la réglementation. Cet ensemble imprime l’image de marque de la société. En ce qui concerne le personnel par exemple, l’un de mes soucis constants est que chacun se sente bien dans l’entreprise. Et, qu’en même temps, tout le monde se sente investi de la même passion pour ce produit et pour la marque.

« L.P.V. » – N’est-ce pas une vision un peu passéiste ?

J.-M. G. – Pas du tout. Il s’agit au contraire d’une vision très moderne.

« L.P.V. » – Combien d’employés travaillent chez Camus ?

J.-M. G. – Sur le site de Cognac, nous avons 160 employés. Mais nous possédons également deux bureaux importants à Londres et à Hong Kong ainsi qu’une structure aux Etats-Unis. Nous venons d’ouvrir une représentation à Pékin et nous disposons d’un point d’appui au Japon. En tout, Camus emploie environ 200 personnes, dont des salariés expatriés et des « locaux » dans les pays étrangers. A titre d’exemple, les contrats de travail des personnes recrutées aux Etats-Unis ou en Asie ont été négociés et rédigés ici. Cette gestion « en directe » nous permet de montrer combien Camus est attaché au traitement identique de son personnel, quel que soit le lieu. Cette unité dans la gestion fait aussi partie des idéaux de fonctionnement de l’entreprise.

« L.P.V. » – Est-ce que le droit est important dans une société comme la vôtre ?

J.-M. G. – Aujourd’hui, c’est une douce évidence de dire que le droit encadre de plus en plus la vie des gens et des sociétés. C’est à la fois une forme de gestion de l’entreprise, avec le souci permanent de mise en conformité de nos actions avec la réglementation. C’est aussi une manière d’affirmer que « tout est contrat », autour d’une relation encadrée, structurée par un profit mutuel et un respect mutuel. Auprès de nos fournisseurs par exemple, nous recherchons cette forme de partenariat. Dans l’univers des entreprises, cette emprise du Droit se traduit par une explosion des professions juridiques et une spécialisation des fonctions. Aujourd’hui un spécialiste du droit de la concurrence peut difficilement intervenir en droit fiscal. Cela fait l’objet de métiers à part entière. Tous les gros cabinets ont intégré cette donne. Nous-mêmes, au sein des entreprises, nous faisons appel à des compétences extérieures. Ainsi pour le droit social, même si j’ai beaucoup travaillé la question, je m’entoure de contributions.

« L.P.V. » – De quoi se constitue le « droit des affaires » ?

J.-M. G. – Cela fait référence au droit des sociétés, au droit des contrats, aux licences… Toutes les entreprises ont à cœur de maintenir leur environnement commercial. Quand on noue des relations avec un distributeur, quel que soit le marché, il est clair qu’il faut encadrer l’activité par un contrat précis, l’adapter aux objectifs fixés et faire en sorte de se prémunir des problèmes. Comme dans toutes négociations, l’idéal consiste à se rapprocher le plus possible de l’équilibre, afin de construire une relation durable. Sans oublier non plus le réalisme économique. Il n’y a pas lieu de faire d’angélisme. Nous travaillons pour être rentable et prospère. Le droit des affaires est un droit très vivant, je dirais presque « amusant » par certains côtés. Le seul écueil, c’est que j’ai été formé au droit français et que le droit des affaires s’inspire essentiellement du droit anglo-saxon. Cela oblige de se remettre au travail. C’est plutôt stimulant. Pour ce qui est de la protection des marques, ce n’est pas vraiment un souci. J’ai une certaine expérience en la matière et j’ai conservé un maillage d’amis à travers la planète. La société Camus a décidé de recentrer à Cognac la gestion de ses marques.

« L.P.V. » – La gestion du conflit représente-t-elle une manière de « dire le droit » ?

J.-M. G. – Quand on va au conflit, quels que soient le motif et le domaine d’activité – propriété industrielle, commerce, droit des sociétés – le conflit s’apparente toujours à un échec. Un juriste qui a bien fait son métier, qui a bien su conseiller son président est quelqu’un qui a su éviter les conflits. Le conflit fait perdre du temps à tout le monde. Quand un contrat est bien ficelé, on peut s’en sortir sans aller au « clash ». Le conflit n’est pas un outil. Il est même aux antipodes du concept d’intelligence économique qui privilégie l’attention portée aux choses, le bon démarrage. Un conflit d’intérêt est toujours possible mais ne débouchera pas forcément sur un conflit judiciaire. Un compromis doit pouvoir se dégager au préalable. Dans ma carrière précédente, j’ai eu la chance de ne pratiquement pas solliciter le budget « actions contentieuses » de l’interprofession de Cognac. Nous avons toujours pu les arrêter en amont. Cela fait partie des choses dont je suis heureux. Savoir prévenir un conflit et gérer une crise avant qu’elle ne dégénère s’apparente à un vrai métier. Cela constitue un souci permanent pour moi. Par contre, il peut arriver d’être conduit à provoquer des conflits pour faire avancer le droit. Ce fut le cas quand il s’est agi de faire classer le Cognac comme une AOC notoire. J’y croyais et j’y crois toujours. Nous l’avons fait dire au juge. Dans ce cas-là, le conflit apparaissait comme un outil et non une finalité. C’est l’exception qui confirme la règle.

« L.P.V. » – Où en est-on de la protection des indications géographiques à l’international et notamment au sein de l’OMC ?*

J.-M. G. – Il y a eu ce conflit d’intérêt entre les Etats-unis et la Communauté européenne, qui a donné lieu à une action juridique très soutenue. L’Europe exigeait que les pays tiers (dont les USA) offrent aux IG des produits européens la même protection qu’en Europe, à défaut de quoi leurs propres marques d’origines ne seraient pas reconnues par les Vingt-Cinq. Au terme d’un panel – une commission d’arbitrage des conflits au sein de l’OMC – l’UE a perdu. Personnellement, je pense que ce n’est pas grave du tout. C’est un point de détail. Le grand enjeu à venir, celui qu’il faudra gagner, c’est la bataille de l’extension du registre. Une fois ce point acquis, le reste tombera comme un fruit mûr.

« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par « extension du registre » ?

J.-M. G. – Les textes ADPIC de l’OMC prévoient l’établissement d’une protection additionnelle pour les vins et spiritueux, matérialisée par un registre. Dans le même temps, on évoque la possibilité d’étendre cet avenant « vins et spiritueux » à d’autres produits, fromages, viandes, huiles, fruits… Si l’on arrive à décrocher cette extension du registre vins et spiritueux, non seulement le registre a des chances de s’imposer plus facilement (et la protection qui va de pair) mais encore l’IG intéressera de nombreuses régions de par le monde. Je pense à des pays comme l’Inde, la Chine, le Brésil pour des produits tels que le thé, le café, les fruits… A ce moment-là, les Etats-Unis et la dizaine de pays du groupe de Cairns (Australie, Nouvelle-Zélande…) se retrouveront bien seuls. Ces nations défendent la marque collective comme quelque chose de plus matérielle, tangible et perceptible que l’IG. Elles préfèrent une marque que l’on maîtrise par ses propres financements et sous sa propre autorité qu’une IG que certains peinent à définir, où l’influence de l’Etat se fait un peu sentir. Je comprends qu’une petite révolution culturelle reste à accomplir dans beaucoup d’esprits. Je suis néanmoins convaincu que l’IG présente un intérêt fantastique pour la protection de nos produits, un intérêt dont on n’a pas encore complètement fait le tour. Car le périmètre de l’IG est proprement vertigineux. L’indication géographique est la seule protection de propriété intellectuelle qui n’a pas besoin d’être renouvelée. Une fois acquise, elle l’est pour toujours. Pourquoi ? Parce que, dans le domaine de la propriété intellectuelle, l’IG est la combinaison de deux facteurs, à la fois l’expression d’une création humaine et celle d’un terroir. Contrairement à la marque qui peut être vendue, disparaître, l’appellation d’origine est inaliénable.

Qu’est-ce que la « compliance » ?

L’Association suisse des banquiers a donné une définition des activités « compliance », sous l’angle des directives pour le contrôle interne :

« Conformité des activités de l’entreprise avec les dispositions légales, réglementaires et internes. L’une des fonctions fondamentales de la direction consiste à garantir le respect de l’ensemble des lois, statuts, règlements, directives… La fonction de « compliance » assiste la direction dans l’accomplissement de cette tâche et veille au respect des dispositions applicables afin d’identifier de manière précoce les risques relatifs à la réglementation et pouvant nuire à la réputation de l’établissement, de les éviter dans la mesure du possible et de garantir une activité irréprochable de l’établissement. »

 

Propos recueillis par Catherine Mousnier

(*) L’indication géographique (IG) est l’autre nom donné aux AOC. – OMC : Organisation mondiale du commerce.

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