Affectation parcellaire et engagement pluriannuel versus Région délimitée Cognac

8 mars 2009

Dans le Minervois, on a vu que l’engagement triennal passait par deux portes d’entrée : la porte d’entrée qualitative et la porte d’entrée économique. En Charentes, il est clair que la porte d’entrée qualitative n’interfère que très peu au débat. Que l’on produise du vin destiné au Cognac, du vin de table ou du vin destiné aux produits de transformation d’origine viticole, la vigne n’a pas besoin d’un délai de trois ans pour s’adapter aux conditions de production. Peu ou prou, le même itinéraire cultural s’applique à tous les débouchés. A vrai dire, la seule porte d’entrée qui vaille dans la région délimitée est économique. Par contre, à cet égard, Charentes comme Minervois partagent un même objectif : disposer d’un système à la fois assez protecteur et donc assez rigide pour organiser les choses, et à la fois suffisamment souple pour répondre aux ouvertures de marché. Dans ces conditions, l’engagement triennal peut-il être un bon système pour les Charentes ? Nous avons posé la question à plusieurs intervenants au débat.

femme_lun.jpgDanièle Le Gall, chargée de mission dans le cadre de la rédaction du rapport Zonta

Sa réponse se décline en plusieurs points. D. Le Gall part tout d’abord d’un postulat : la suppression du régime de la double fin dans un horizon proche. Il faut donc trouver un nouveau cadre réglementaire aux vins destinés au Cognac. Un seul s’impose d’évidence, celui de l’AOC. Par contre qui dit AOC, dit normalement délimitation parcellaire. Certes, une appellation peut fonctionner sur une aire géographique. Par contre, le problème, en Charentes, est que cette délimitation s’avère extrêmement large. Pour être conforme à l’esprit des AOC, il y a donc nécessité de l’affiner. Or, dans une perspective de délimitation parcellaire, la mise au point de critères objectifs de tri des parcelles se révèle impossible. Une seule alternative se présente alors, celle de l’affectation parcellaire des ha Cognac, perçue comme un substitut à la délimitation parcellaire. Reste le choix des modalités de l’affectation. Soit une affectation annuelle qui ne changerait rien au système actuel – « on reste dans les mêmes errances ». Soit un engagement pluriannuel des surfaces Cognac, permettant d’affecter « par défaut » les autres superficies, avec l’espoir de mieux organiser collectivement les marchés des vins Cognac, des jus de raisin et des vins de base mousseux. Dans cette vision des choses, si le principal intérêt de l’affectation parcellaire consiste à échapper au « carcan » de la délimitation parcellaire, l’aspect économique n’est pas mineur non plus. Fonctionnera-t-il ? C’est le réalisme de marché qui le dira. En tout cas certains font le pari de sa pertinence. « Les deux arguments, administratif et économique, sont indissolublement liés » constate pour sa part Danièle Le Gall qui rappelle que la contribution d’Antony Zonta a consisté à une validation juridique du Projet d’avenir viticole, « un projet déjà ficelé, qui nous a été remis par les professionnels eux-mêmes. L’idée d’affectation triennale glissante faisait partie du pack des propositions de départ ». Elle précise en outre que le très gros avantage de l’affectation pluriannuelle glissante reste tout de même de garder un important volant de flexibilité au Cognac. « Le réservoir de vignes AOC étant préservé, il peut être utilisé si nécessaire, hormis la contrainte triennale qui se réduit en fait à deux campagnes. L’affectation pluriannuelle ne fige pas les choses. Au contraire, elle conserve la flexibilité dont on sait que le Cognac a besoin. »

jean_marc_olivier.jpgJean-Marc Olivier, maître de chai de la maison Courvoisier

Pour étayer son raisonnement, J.-M. Olivier part du même constat que Danièle Le Gall mais il n’aboutit pas aux mêmes conclusions. Lui aussi considère que le Cognac est un produit qui a besoin de flexibilité « et tout ce qui enlève de la flexibilité pose un problème au Cognac ». Pour expliquer ce besoin de flexibilité, il parle de l’effet, bien connu au sein de la filière Cognac, du phénomène d’accordéon du stock, un mécanisme « absolument terrifiant ». « Quand le Cognac est en progression et qu’il se vend une bouteille de plus, il en manque cinq et, à l’inverse, quand on vend une bouteille de moins, il y en a cinq en trop. Il est donc impératif de rectifier le tir très rapidement. » Le maître de chai de la société Courvoisier évoque « ce moment de bonheur fugace » traversé en ce moment par la région, qui est celui de l’équilibre du stock, à quelques nuances près. Il faut donc pouvoir s’y tenir, en ne se laissant pas « embarquer » comme en 1989 et 1990. « En deux ans, nous avons stocké une année de trop (trois au lieu de deux) et nous avons mis dix ans à nous en remettre. » Pour J.-M. Olivier, la projection des ventes dans le temps est un exercice qui trouve assez vite ses limites. « Ce n’est pas nous qui faisons le marché et le Cognac est connu pour réagir assez violemment à l’économie mondiale. » Exemple de la Chine aujourd’hui dont le redémarrage tarde à se manifester ou a contrario, des Etats-Unis dont l’euphorie consumériste ne se dément pas. Mais qu’en sera-t-il demain de l’économie américaine ? Ainsi, le responsable des achats de la maison Courvoisier estime que « comme tout ce qui enlève de la flexibilité, l’engagement triennal comporte en lui-même les germes d’un danger ». Ainsi dit-il préférer à une décision pluriannuelle une décision annuelle de distillation permettant d’équilibrer le niveau de production au plus juste. Par ailleurs, J.-M. Olivier s’interroge sur le déterminisme des viticulteurs pour engager ou non leurs parcelles au Cognac. « Les viticulteurs se décident par rapport à une année économique. Dans ces conditions, le risque est grand de voir trop d’ha – ou pas assez – se porter au Cognac, entraînant un nouveau déséquilibre du stock. » Le maître de chai concède pourtant que « dans l’idéal et en théorie, le système d’affectation pluriannuel des ha a en effet quelque chose de séduisant ». Mais, dit-il, « pour fonctionner ce schéma a besoin d’une parité de revenu entre les débouchés industriels et le Cognac. Or nous attendons encore de la part des opérateurs les informations qui pourraient nous le prouver, tant en terme de prix que de volumes. C’est pour cela que j’ai un peu de mal à voir comment pourrait s’appliquer concrètement un système d’engagement parcellaire. D’ailleurs, quand bien même un viticulteur engagerait une partie de ses surfaces à d’autres destinations, si, l’année suivante, il trouvait un débouché au Cognac, qu’on m’explique comment cette personne se verrait interdire de produire du Cognac si elle en manifestait l’envie ? » Pour lui, la pire des choses serait que des décisions soient prises – « comme l’INAO pousse à la faire » – alors que toutes les hypothèques ne sont pas levées concernant les débouchés industriels. « Aujourd’hui, toute décision semble prématurée tant que nous ne posséderons pas une lecture très claire des éléments économiques et techniques permettant d’en juger. »

pierre_guyot.jpgPierre Guyot, Foulon-Sopagly (Mâcon)

En tant qu’opérateur jus de raisin, responsable des achats chez Foulon-Sopagly et directeur de l’unité de Mâcon, Pierre Guyot indique que sa filière a livré ses intentions aux Charentes. « Sur plusieurs années, nous avons démontré que les jus de raisins achetaient régulièrement en Charentes des volumes de l’ordre de 1,2 million hl vol. Ma société pour sa part intervient en moyenne tous les ans à hauteur de 750 000 hl vol. » Pierre Guyot ne laisse pas planer d’ambiguïté. Pour lui, le système d’affectation parcellaire ne peut fonctionner que dans le cadre d’une rentabilité comparable entre les produits industriels et le Cognac « sinon, dit-il, on dénature la notion de parcellisation ». C’est la raison pour laquelle, au titre des rendements différenciés, il s’est prononcé non pas pour 180 hl/ha mais pour 200 hl/ha. « Ce n’est pas par hasard que je demande un tel niveau de rendement mais pour deux raisons au moins. D’abord parce qu’il s’agit d’un rendement qui s’applique ailleurs en Europe et qu’il vaut mieux se situer dans un cadre européen plutôt que franco-français ; ensuite parce qu’à 130 hl + 70 hl de non-vin on atteint la parité avec le Cognac, ce qui n’est pas le cas à 180 hl/ha. N’ayons pas peur de nous servir du bras de levier du rendement, ne nous privons pas des 20 derniers hl (différence entre 180 et 200 hl). » L’acheteur jus de raisin indique que ce chiffre de 200 hl/ha résulte tout simplement d’un calcul à rebours. « Nous sommes partis de la rentabilité d’un ha Cognac et, sur la base d’un prix d’achat moyen sur cinq ans des jus de raisin à peu près égal à celui d’aujourd’hui, à 5 % près, nous en avons déduit le rendement. »

Renseignements pris ici et là, il semblerait qu’à ce jour la filière des vins de base mousseux, autre produit vinicole destiné à la transformation, n’ait pas communiqué précisément aux Charentes ses éléments techniques touchant aux volumes et aux prix. Visiblement, la Fédération des vins privilégie une position d’attente, attente favorable certes mais attente tout de même. En partie à cause des degrés élevés, il s’est enlevé très peu de vin de base mousseux depuis deux ans en Charentes. Les acheteurs ont trouvé d’autres fournisseurs, espagnols notamment. Par ailleurs, des incertitudes pèsent sur la filière, comme le maintien ou non, dans l’avenir, des aides à l’enrichissement sur les moûts hors QNV et la possibilité de se servir de ses produits pour enrichir les vins à l’intérieur de la QNV, sachant que le régime qui devrait normalement s’appliquer aux « autres destinations » serait celui des vins de table. Ainsi, alors que la profession du Cognac réclame que les débouchés industriels apportent des gages de fiabilité, la filière des vins de base a plutôt tendance à se positionner en tant que client et « demande à voir ». Un jeu « du chat et de la souris » qui peut durer longtemps. Un élément plaide toutefois en faveur du retour des vins de base mousseux en Charentes : en cas de rendements différenciés, les degrés baisseraient nécessairement et les vins seraient de nouveau en mesure d’intéresser les acheteurs. Quelque part, l’économie ne peut ignorer longtemps les qualités intrinsèques du produit. En tant qu’opérateur jus de raisin, Pierre Guyot en est lui-même convaincu. « Tout ce qui contribue à une forte acidité et à de petits degrés va dans le sens du cahier des charges des produits industriels. » En outre, il précise que plus que le prix, ce qui intéresse la filière jus de raisin en Charentes, c’est la qualité des produits qu’on y trouve. Le responsable des achats se dit prêt à s’engager sur la voie de la contractualisation avec ses partenaires charentais. « Nous allons proposer une formalisation de nos accords. Quand on voit la teneur de certains contrats Cognac, on doit pouvoir faire aussi bien. » Revenant sur la philosophie de l’engagement triennal, il insiste sur le rôle fondamental joué par l’information dans un tel système. « Pour s’engager, les viticulteurs doivent disposer d’une vision à moyen terme commune à tous car même si l’affectation parcellaire résulte d’une décision individuelle, on ne peut pas considérer la décision collective comme l’addition des décisions individuelles. C’est la définition même de l’anarchie. » En plus d’être disponible, l’information doit aussi être « pure et honnête ». « Il serait catastrophique de se servir des gens pour tirer la couverture à soi. » Le lissage sur trois ans permis par l’engagement triennal lui semble devoir aller de pair avec « un minimum de régularité des courants commerciaux ». « Il faut pouvoir offrir un flux répétitif sur plusieurs années, tant en terme de prix que de volumes. » Si cette caractéristique colle bien aux jus de raisin, sans doute est-ce plus difficile pour d’autres familles de produits. En ce qui concerne la mise en place de l’engagement triennal, Pierre Guyot préconise un système progressif : une année à blanc, un lissage sur deux ans et enfin un passage à trois ans, une fois la machine lancée.

yves_dubigny.jpgYves Dubiny, secrétaire général du SGV Cognac

Avant toute chose, le syndicaliste viticole souhaite que l’on replace la réforme réglementaire de l’affectation parcellaire et des rendements différenciés dans son contexte. « Ce n’est pas une vue de l’esprit de notre part. C’est un moyen pour arriver à organiser la région. » Car, selon lui, le risque de dérégulation est bien réel. « Pourquoi essaie-t-on de mettre en place un autre système ? Parce que celui basé sur la double fin est à bout de souffle. Soit la double fin disparaît, soit elle subira des transformations qui l’anesthésieront complètement, ce qui reviendra au même. Avec une QNV régionale réévaluée à 7,4 millions, nous ne disposerons plus d’aucune marge de manœuvre. » Face à cette problématique, il s’agit donc pour le SGV Cognac « de trouver quelque chose qui apporte un mieux en permettant de s’extraire du flou du vignoble mixte ». La réponse a été l’affectation parcellaire et les rendements différenciés. « Nous n’avons jamais dit que c’était un système parfait mais il nous semble de nature à faciliter l’adaptation des productions. La question est simple : ou la viticulture veut disposer d’un levier sur la production ou elle ne le souhaite pas. Entendons-nous bien ! Dans cette affaire, il ne s’agit pas d’instaurer un rapport de force contre le négoce mais de penser à l’avenir de la région. » Le syndicaliste viticole rappelle que la viticulture, autant que le négoce, est favorable à l’équilibre. « Simplement, dit-il, cette notion d’équilibre est subjective. » Et de relever ce qu’il y a d’anormal « à devoir attendre que les chaudières s’arrêtent pour enfin connaître le chiffre de distillation. Le négoce nous annonçait 420-430 000 hl et il s’est finalement distillé 452 000 hl, alors que le prix des vins de table n’avait jamais été aussi élevé depuis dix ans. Nous devrions avoir une organisation permettant de nous dire, à quelques milliers d’hl près, combien il va se distiller d’une année sur l’autre. » « C’est vrai, reconnaît le secrétaire général du SGV, qu’il peut y avoir une affectation trop importante sur le Cognac. C’est pour cela que nous voulons organiser les autres marchés par des rendements différenciés. Nous avons toujours dit que le Projet d’avenir reposait sur un “paquet global”. »

Sur la question des rendements – 180, 200 hl ? – Y. Dubiny se refuse à parler de parité des revenus entre tous les ha, ha Cognac, ha jus de raisin, ha vins de base mousseux. « Connaissez-vous quelqu’un dans cette région qui fasse une comptabilité analytique à l’ha. Tout le monde tient une comptabilité d’exploitation, ce qui n’exclut pas de chercher à obtenir la meilleure rentabilité pour tous les débouchés. » C’est ainsi que, personnellement, il choisit d’en rester à 180 hl/ha pour les rendements différenciés, en rappelant que l’objectif consiste « à ce que tout le monde ait accès à tout, sans que quelques-uns ne produisent que du Cognac et d’autres que du jus de raisin ». En ce qui concerne la force juridique attachée à l’affectation, les choses lui paraissent claires. « On ne va pas se faire avoir deux fois de suite. Si l’affectation parcellaire se met en place, c’est qu’elle présentera une valeur juridique inattaquable. » Et de rappeler le dispositif qui, au stade actuel, est envisagé. Premier cas de figure : le viticulteur affecte au Cognac alors qu’il n’a pas le débouché et il souhaite faire machine arrière. Ses parcelles redescendent dans la catégorie « vins autres » (vin de base mousseux, jus de raisin) mais au rendement Cognac. Deuxième cas de figure : le viticulteur affecte aux jus de raisins mais décide finalement de produire du Cognac sur la parcelle. Dans ces conditions, il perd le droit à l’appellation Cognac sur cette parcelle-là. « Il faut prévoir des sanctions. Il ne peut en aller autrement. C’est vrai qu’à l’heure actuelle, des gens ne respectent pas la réglementation et l’on peut comprendre qu’ils aient intérêt à ce que le système perdure ! » Revenant sur le principe d’affectation triennale, le viticulteur précise que si l’on parle de trois ans, il s’agit en fait d’organiser la production des deux récoltes qui suivent celle en cours et qu’il faudra forcément prévoir une période d’adaptation. Pour revenir à ce qui constitue l’élément déclencheur de la réforme – la suppression de la double fin – le syndicaliste y voit le résultat d’une lente dégradation plutôt que le fruit d’une décision formelle. « Nous savons que les autres régions ne veulent plus payer pour l’article 38. Mais à Bruxelles, personne ne s’occupe vraiment de la double fin. On ne nous donnera jamais la date de l’arrêt de la double fin mais un jour, les paiements s’arrêteront. Il serait irresponsable de notre part de ne pas nous en préoccuper dès aujourd’hui. »

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