CNAOC 2012 : Droits de plantation, le congrès de la maturité

9 mai 2012

Maturité d’une cause, la défense des droits de plantation et maturité des discussions qui, en 2012-2013, vont vraiment rentrer dans leur phase opérationnelle. D’où un congrès de la viticulture d’AOC grave et dense, avec des messages qui passent, des positions qui se durcissent. Et, quelque part, s’éclaircissent.

 

 

p22.jpgLe 3 avril dernier, la Bourgogne, magnifique région viticole, a offert un cadre apaisé et assez voluptueux à un congrès des vins d’AOC qui n’avait rien de voluptueux. Il fut technique, incisif et, quelque part, rugueux. Des choses ont été dites, sans fioriture. Exit le temps de la prise de conscience. Aujourd’hui, tout le monde connaît les enjeux. Et les forces commencent à se compter.

Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC, a posé le décor. Dans l’univers agricole, la période 2012-2013 promet d’être extrêmement dense. C’est celle de la réforme de l’OCM unique, y compris la mise en perspective budgétaire 2014-2020. De longue date, la réforme de la PAC a été fléchée comme la seule fenêtre législative pertinente à horizon 2016 (date annoncée de l’abandon du contrôle des plantations). Pour quoi faire ? Pour réintroduire un encadrement communautaire des plantations, sans avoir besoin de réouvrir l’OCM vin. Mais faut-il encore que la Commission utilise son droit d’initiative pour proposer un nouveau texte. P. Bobillier-Monnot a essayé d’envisager plusieurs scenarii. Premier scénario : une majorité qualifiée se dégage parmi les ministres de l’Agriculture de l’UE, majorité qui entraîne la Commission à émettre une proposition. Mais, pour obtenir cette majorité qualifiée, il faut rassembler 225 voix (sur 345) et 14 Etats membres. A ce jour, 15 Etats membres se sont prononcés en faveur du maintien des droits de plantation mais, sur les 225 voix, manque encore 40 voix. Sont pressenties la Pologne (27 voix), la Lituanie (7 voix), la Belgique (12 voix). Deuxième scénario : Conseil et Parlement européens font une proposition de réintroduction mais la Commission s’y oppose. Pour passer outre, l’unanimité du Conseil des ministres de l’Agriculture des 27 serait alors nécessaire. Inutile de préciser que cette option semble assez illusoire. Le troisième scénario, le pire de tous, serait que la Commission ne fasse aucune proposition. La seule alternative consisterait alors à déclencher une minorité de blocage sur la réforme de la PAC. Condition requise ? Mobiliser 91 voix et 38 % de la population. Scénario encore plus improbable que le précédent. Pour tout dire, il vaut mieux souhaiter une saisine directe de la Commission. Mais ce n’est pas gagné d’avance. « Le cabinet du commissaire semble très partagé » indique P. Bobillier-Monnot. Les signaux qu’il envoie sont confus. « Le commissaire européen à l’Agriculture nous tend la main. Mais un communiqué, sorti le jour même, précise la nomination du groupe de réflexion à haut niveau sur les droits de plantation, indique que ce groupe de réflexion n’a pas vocation à remettre en cause les fondamentaux de 2008. » La crainte de l’organisation viticole !

Comme le lait

Que les choses se passent comme pour le secteur du lait. Sur fond de suppression des quotas laitiers, le groupe de haut niveau, là aussi nommé, a débouché sur un instrument de régulation pour les seules AOP fromagères. Qui plus est, l’instrument de régulation est assorti d’un dispositif contraignant (durée limitée, notification à la Commission…). Tout ce dont ne veulent pas entendre parler la CNAOC et ceux qui se sont engagés dans le combat pour le maintien des droits de plantation. Que défend la Confédération nationale des appellations d’origine viticoles ? Elle se bat pour le rétablissement du principe de réglementation du potentiel de production au niveau communautaire, pour tous les pays et pour tous les produits. C’est la notion de règlement « horizontal ». Est pointée du doigt l’attitude paradoxale des négociants en vin, soupçonnés de jouer « double jeu ». « Nos amis négociants s’affirment en faveur d’une réglementation du potentiel de production mais s’opposent à un encadrement communautaire. Pour eux, l’encadrement devrait être soit national, soit local mais seuls seraient réglementés ceux qui le souhaitent, sur tel ou tel produit. Autant dire que la liberté primerait ! »

La Fédération viticole met toutes ses forces dans la balance pour s’opposer à ce retour du libéralisme qui ne dit pas son nom. « Soyons une force de proposition. Maintenons l’unité syndicale au sein de la viticulture, mobilisons les syndicats à vocation générale. Soyons unis et non divisés. »

François Patriat, président du conseil régional de Bourgogne, sénateur, ancien ministre, a d’abord adopté un langage fleuri pour dire « que l’eau séparait les hommes et que le vin les réunissait. » De manière plus sérieuse, il a constaté qu’au niveau européen il était pus facile d’anticiper que de réparer. « Sur le dossier des droits de plantation, il faut nous demander quel vin nous voulons produire, pour quelle qualité, pour quel client et pour quel marché ? En somme, quelle vision voulons-nous défendre ? »

Groupe de réflexion à haut niveau

Avec la souplesse et l’entregent qui caractérisent les Italiens, Riccardo Ricci Curbastro, président de l’Efow, l’échelon européen des syndicats viticoles d’appellation, s’est lui aussi interrogé sur la nomination du groupe de réflexion à haut niveau. « A quoi sert-il ? Peut-être s’agit-il pour la Commission de trouver une voie de sortie honorable pour elle, ainsi qu’une façon de nous laisser discuter ? Il est clair que la Commission doit gagner cette bataille. Elle ne peut pas la perdre. Il y va de notre responsabilité d’aider la Commission à trouver la solution. » Il s’est livré à un petit exercice sémantique. « Nous ne devons plus parler de droits de plantation. Il nous faut inventer un autre terme. Surtout n’employons pas le mot de quota. Le concept est tabou auprès d’une commission libérale. Parlons plutôt d’instrument de gestion de la production, comme il existe déjà la limite de rendement, les réserves de gestion… Des robinets existent au bout de chaque filière. Nous devons simplement trouver un plus gros robinet à mettre sur le tube principal, les plantations. Cet instrument doit être à la disposition de tous et, évidemment, être décliné au niveau national. »

Bernard Farges, président de la CNAOC, a dénoncé lui aussi « l’ambiguïté » du négoce. « En gros, a-t-il dit, le négoce est favorable à la libéralisation même s’il ne le dit pas aussi clairement. Nous en prenons acte. En 2008, il n’a pas eu besoin de nous pour aider la Commission à libéraliser les droits de plantation. Nous n’aurons pas besoin de lui pour réintroduire un outil de régulation du potentiel de production. »

p24.jpgLes deux députés européens Astrid Lulling et Michel Dantin étaient présents au congrès de la CNAOC. Leurs interventions constituèrent autant de temps forts de la réunion. En tant que présidente de l’Intergroupe vin au Parlement européen, la Luxembourgeoise Astrid Lulling est un peu le chef de file de la viticulture européenne au Parlement de Strasbourg. Cette femme âgée – elle a 80 ans – est douée d’une rapidité d’esprit peu commune. Elle ne mâche pas ses mots et y voit clair. D’un côté, elle s’est montrée rassurante. « Je suis confiante. M. Ciolos est en train de bouger dans la bonne direction. Je crois que nous allons réussir à revenir sur le principe de libéralisation. La majorité qualifiée au Conseil, nous l’avons déjà. » Par contre, elle a appelé tout aussitôt à la vigilance. « Nous aimons beaucoup M. Ciolos. C’est quelqu’un de bonne composition. Mais son attitude nous paraît un peu, disons « drôle, spéciale ». Il nous dit vouloir revenir sur la libéralisation mais ne prend pas de décision. Au contraire, il nomme un groupe de réflexion à haut niveau. Les propositions de ce groupe sont attendues fin novembre 2012 et l’on nous dit que le commissaire européen ne fera des propositions qu’au mois de mai 2013. Soit, si tout va bien, hors délai pour s’inscrire dans le cadre juridique de la PAC. M. Ciolos et son cabinet cherchent-ils à gagner du temps pour dissocier le dossier des droits de la plantation de la réforme de la PAC ? Si la nomination d’un groupe de haut niveau n’était qu’une manœuvre dilatoire, si quelque chose se tramait en ce sens, nous saurions nous en occuper et tuer dans l’œuf ces velléités. M. Ciolos doit se montrer plus courageux et assumer ses responsabilités. Il doit émettre une proposition cette année. Le monde viticole a besoin de savoir. On ne plante pas une vigne comme on plante une salade ! »

Une position très précoce

Astrid Lulling a souligné que le Parlement européen s’était opposé très tôt, dès 2008, à la décision votée en décembre 2007 par le Conseil des ministres de l’Agriculture des 27. « Nous n’avons pas attendu pour lutter contre cette décision. »

A fond contre la libéralisation des droits de plantation, A. Lulling a pourtant créé la surprise quand elle a parlé de la gestion des droits de plantation. Manifestement, elle n’était pas attendue sur ce sujet-là, ce jour-là. Atmosphère un tantinet électrique dans la salle du congrès de la CNAOC : « Le problème, ce n’est pas de revenir sur le principe de la libéralisation ; ça, on le fera. C’est l’après. M. Ciolos m’a dit : Si on revient sur la libéralisation, il faut savoir comment vont être gérés les droits de plantation. Vous n’échapperez pas à une discussion entre vous pour savoir comment gérer les droits de plantation. » Et de poursuivre : « Tous les jours, il se passe quelque chose en France. Je ne suis pas sûr que vous arriviez à vous mettre d’accord. »

A cet égard, Astrid Lulling a relaté un déplacement de l’interprofession de Cognac à Bruxelles, le 28 mars dernier. « Les Charentais veulent revenir sur la libéralisation mais ne sont pas du tout d’accord sur la manière dont les droits de plantation sont gérés en France. Lors de notre visite en Champagne, en juillet dernier, nous avons entendu un écho sensiblement différent. »

Maniant le chaud et le froid, Astrid Lulling a envoyé tout aussitôt un signal d’apaisement. « Il n’y a pas de problème. La commission de l’Agriculture du Parlement introduira un amendement pour revenir sur la libéralisation des droits de plantation. Même si M. Ciolos n’est pas force de proposition, nous le serons. Pour la gestion des droits de plantation, il faudra certainement prévoir de la subsidiarité au niveau des Etats membres, des régions ou des bassins. Par contre, il faut quand même aussi un cadre européen. Nous devons définir deux ou trois principes d’application et nous y tenir, tous ensemble. » La députée européenne a dit sa foi dans la qualité. « Il faut se concentrer sur la qualité. La vocation de la viticulture européenne n’est pas de concurrencer les vins de table à
2-3 €. Ce n’est pas son créneau. »

« Un vrai débat »

Après Astrid Lulling, Michel Dantin a lui aussi évoqué la gestion des droits de plantation. Michel Dantin est député européen, rapporteur de la commission agricole du Parlement sur une partie de l’OCM unique. « La réglementation des plantations, telle qu’elle existe aujourd’hui, se décline de façon extrêmement différente et contradictoire entre les différents pays. La vraie difficulté, elle est là. Je crois préférable que vous ayez un vrai débat entre vous, qui cristallise les positions, plutôt que d’attendre que des “plumes lointaines” mettent des propositions sur la table. Nous avons encore le temps de la réflexion mais il nous faut construire, dès maintenant. »

Michel Dantin a évoqué le « dada » du commissaire Ciolos pour les OP (organisations de producteurs) et l’intérêt manifeste de l’Europe pour les interprofessions. « Ceci dit, il n’y a pas d’interprofessions dans tous les pays européens et elles fonctionnent de façon très diverse. » « Le problème, a complété le député européen, c’est que de plus en plus de pays souhaitent se dessaisir de la gestion administrative des droits de plantation. Se pose alors la question de qui assume la gestion ? » Pour sa part, il a exprimé sa préférence : « Je serais favorable à une gestion par les ODG, c’est-à-dire par les propriétaires de l’appellation. Mais je suis bien conscient que cela ne couvre le cas que des vignobles d’AOC. Cela ne règle pas le cas des vins sans IG. »

Le directeur de la CNAOC, Pascal Bobillier-Monnot, a mis en exergue la « contradiction » de la Commission. « D’un côté elle reproche aux régions de gérer de façon trop discordante les droits de plantation ; de l’autre elle veut redonner le pouvoir aux régions. Cela n’est pas cohérent. »

Rudolph Nickenig dirige la Deutscher Wein-bauverband (l’équivalent de la CNAOC en Allemagne). Il est également vice-président du groupe vin du Copa-Cogeca. Il s’est inscrit en faux contre l’idée selon laquelle les Etats répugneraient à gérer les droits de plantation. « En tout cas en Allemagne, ce n’est pas vrai. L’Etat souhaite pouvoir continuer à gérer ces droits. » Le représentant allemand a émis une charge sévère contre tout ce qui ressemblerait à de la co-gestion viticulture-négoce. « Je me demande comment nous allons éviter le piège que le négoce nous tend. La subsidiarité au niveau des pays et des seuls vins AOC reviendrait à remettre en cause tout le système, alors qu’il suffirait d’apporter une certaine flexibilité. » « Méfiez-vous d’une réflexion trop latine qui privilégie les organisations “de branche”. La nouvelle régulation doit concerner tous les vins et non pas uniquement les AOC et IGP. Les droits de plantation ne règlent pas seulement un problème de production. Ils permettent aussi de conserver des paysages. Cette mission ne relève pas d’un organisme interprofessionnel. C’est à l’Etat de s’en occuper. » En cela, Rudolph Nickening rejoint la CNAOC qui pense que le dossier des droits de plantation doit être relayé par une démarche citoyenne, beaucoup plus large que les seuls rangs viticoles. « La France a commencé à mobiliser ses élus territoriaux. Les autres pays doivent en faire autant et rejoindre ce large mouvement. »
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Des Charentais au Parlement européen le 19 mars 2012.
Une délégation de professionnels charentais s’est retrouvée une première fois au Parlement européen de Bruxelles le 19 mars avant d’y retourner, pour certains, une seconde fois, les 28 et 29 mars. Le premier rendez-vous était à l’initiative de l’EFOW et de la CNAOC*, avec le soutien des parlementaires européens du groupe PPE, Astrid Lulling et Michel Dantin* en tête. Il s’agissait de démontrer à la Commission le degré de détermination autour du maintien des droits de plantation, de la viticulture européenne bien sûr mais aussi des Etats membres, des élus, des collectivités territoriales. Exercice réussi (voir éditorial « Le Paysan Vigneron » n° 1127). Pour les Charentais, le second déplacement à Bruxelles, à une semaine d’intervalle, s’est déroulé sous la houlette du BNIC (voir pages 28-29-30).
• CNAOC et EFOW sont les représentations nationale et européenne de la viticulture d’AOC.
• Astrid Lulling est la présidente de l’Intergroupe vin au Parlement européen.
• Michel Dantin est rapporteur pour le Parlement européen sur l’OCM unique.

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