Elle Dénonce Le « Mutucorporate »

8 mars 2009

Claude Vialade, un concentré d’énergie et un sacré tempérament ! P-DG de la société Saint-Auriol, à Lézignan-Corbières, Claude Vialade fait partie de cette nouvelle génération de négociants en vins du Sud, qui se taillent sans complexe une place à côté des poids lourds de la coopération. Femme à sensibilité de gauche issue du vignoble – son père a fait partie du Comité d’action viticole de Montredon – Cl. Vialade a des propos très mordants à l’égard de sa matrice originelle, la coopération. Une critique radicale qui se nourrit à la source d’un amour déçu.

claude_vialade.jpgPropriétaire de quatre châteaux représentant une surface de 92 ha, négociant et vinificateur spécialisé dans les vins du Languedoc, Claude Vialade incarne sans nul doute une forme de réussite économique et financière. Installée dans un bâtiment moderniste de la zone industrielle de Lézignan-Corbières, sa société, la SA Saint-Auriol, commercialise 9 millions de bouteille dont 85 % à l’exportation. Pourtant, Claude Vialade est une personne blessée. Elle porte en elle les stigmates d’une femme de conviction, qui a beaucoup cru, beaucoup donné et qui a été déçue. Déçue par les capacités de la coopération à sortir la région méridionale de son ornière, déçue par les pesanteurs du syndicalisme viticole. « Trop dur à bouger ! » Elle qui a vécu le système de l’intérieur – participant à la création du service export du Val d’Orbieu, dirigeant pendant cinq ans, de 1990 à 1995, le syndicat de cru Corbières – elle désespère aujourd’hui de la capacité des uns et des autres à enrayer la crise de paupérisation dans laquelle elle voit sa région glisser. Après avoir fait sa propre révolution intérieure, elle s’en est sortie « par le haut » en gagnant son indépendance financière et sa liberté. Aujourd’hui, avec tous ses excès, son discours dénonciateur ne laisse pas indifférent. Il met en lumière des tares et des vices dont le Languedoc-Roussillon n’a pas, à coup sûr, l’apanage.

« Le Languedoc-Roussillon, dit-elle, est atypique en matière économique. C’est l’une des rares régions de France où le secteur coopératif tient 70-75 % de la production mais également où une poignée d’opérateurs concentrent 80 % de la mise en marché. » Et de citer le Val d’Orbieu et l’Ucooar, tous deux issus de la coopération, les groupes Castel, Chais Beaucairois et Grands chais de France issus du secteur privé. « Cette réalité pose un problème, comme le fait que les appellations languedociennes affichent un déficit d’environ 200 F/hl vol. par rapport aux autres appellations françaises. C’est l’échec d’un système et pour tout dire d’une génération puisque nos appellations sont passées en AOC en 1985, il y a donc presque vingt ans. » Dans sa tentative d’explication de la crise endémique du Languedoc, Claude Vialade identifie sept clés de compréhension, qui ont joué en bien ou en mal, selon les circonstances et le point de vue où l’on se place.

Les sept clés

La première clé est celle du schéma directeur qui, dans les années 75-80, a permis la première restructuration du vignoble méridional ; la seconde est constituée de toutes les primes FEOGA « dont le système coopératif a profité en masse au détriment du négoce » ; la troisième tient à la remise en cause de l’apport total en cave coopérative. Cette évolution réglementaire a signé, dixit Cl. Vialade, « la fin d’une situation acquise, d’une rente de situation au profit du système coopératif. Le tabou est tombé, entraînant un “renouvellement du cheptel” – comprendre des exploitations – qui ont pu se tourner vers les wineries privées, de type Skally et autres, ce qui a contribué au passage à améliorer les techniques de vinification » ; la quatrième clé tient à l’apparition dans le vignoble languedocien des « Flying wine makers » qui ont introduit de nouveaux gestes œnologiques, en travaillant notamment à l’élimination des jus oxydés, des goûts de réduit, en prônant les vendanges de nuit, « une contribution que l’ICV (l’Institut coopératif du vin), qui se veut pourtant au top, n’a pas pu réaliser ». Certains de ces vinificateurs volants se sont comportés comme de vrais chevaliers d’industrie, sans foi ni loi, « limite fraudeurs » mais la situation s’est assainie au fil du temps. « Les mauvais sont partis et les bons sont restés », servant d’introducteurs à la grande distribution anglo-saxonne du type Sainsburry ou Tesco ; la cinquième clé, Cl. Vialade la relie à l’irruption des nouveaux investisseurs, pour qui le vignoble méridional a pu représenter un temps « l’Eldorado ». A l’apogée de leurs carrières ces nouveaux investisseurs, tels le P-DG de K way par exemple, s’offrent une danseuse, séduits par la dimension culturelle du vignoble. Ils arrivent avec des millions de francs et réalisent en cinq ans ce qu’une génération peinerait à faire ; en ce qui concerne la sixième clé, Claude Vialade parle en connaissance de cause puisqu’elle fait partie « de ces jeunes issus de familles viticoles, ingénieurs ou cadres formés à l’économie et dont la pratique n’avait plus rien à voir avec celle des vignerons de villages ». Ils ont développé leurs propres projets et sont devenus des chefs d’entreprise. Leurs sociétés frisent aujourd’hui les 11-12 millions d’€ de chiffre d’affaires, elles sont confrontées à des problèmes de capitalisation mais ont tout de même réussi à arracher des parts de marchés aux gros opérateurs. Elles aussi ont participé à l’amélioration qualitative ; la septième clé résonne plus comme un constat, celui qu’au printemps 2004 « des AOC se sont vendues moins chères que des vins de table ». « Nous sommes vraiment confrontés à un problème structurel » s’insurge la négociante qui poursuit : « l’Europe a investi des milliards de francs dans la restructuration du vignoble, un groupe comme le Val d’Orbieu a vu ses investissements aidés par la Communauté à hauteur de 50 %, de même que les caves coopératives et toute cette chance dont la région a profité n’a pas été valorisée.

Une concentration de pouvoirs bien trop forte

Pourquoi ? Parce qu’il y a une ingérence bien trop forte du politique sur l’économique ; bien trop de concentration de pouvoirs entre les mains de quelques-uns. A une époque, le même président – le président Barsalou pour ne pas le nommer – était à la fois à la tête du Crédit agricole, de la Safer, du Val d’Orbieu, de l’interprofession et de Groupama. Il prêtait l’argent, fixait les prix et achetait les vins ! Une consanguinité complète. Toute cette génération, respectable par ailleurs, a été formée à gérer l’abondance et les volumes, sans s’apercevoir que le monde changeait et adoptait d’autres logiques. En captant toutes les primes, elle n’a pas laissé se créer une structure de négoce. Le Languedoc-Roussillon a fonctionné et fonctionne encore sur une économie de solidarité et non une économie de marché. J’appelle cela le « mutucorporate ». C’est devenu une institution entre les mains d’une génération qui a confondu pouvoir politique et pouvoir économique. Son seul projet, clair par ailleurs, consistait à vouloir concentrer les volumes de Vintimille à la frontière espagnole, avec le concours de l’interprofession, des syndicats et des metteurs en marché. Ces derniers se comportent comme un oligopole, capable de fixer les prix de marché. A lui seul le Val d’Orbieu commercialise 200 millions de bouteilles. A côté de cela, la région du Languedoc-Roussillon n’est toujours pas capitalisée. Il y a bien une technostructure capitalistique prospère – le Crédit agricole est riche, Groupama est riche, les syndicats sont riches et possèdent des châteaux comme autant de structures d’accueil – mais la population des villages est pauvre et tenue dans un certain féodalisme. Les gens s’y résignent d’ailleurs sans mal car ils n’ont pas d’ambition d’entrepreneur. Il faut dire que lorsqu’une génération de vignerons a été habituée à travailler pour le distillateur, cela laisse des traces. Leurs seules ambitions consistent à livrer leurs vins à la coopérative, à aller voir le match de rugby le dimanche et passer une journée à la plage pour faire plaisir à madame. Les gens qui rentrent en politique régionale sont souvent des personnes de charisme, qui ont de bonnes idées mais peu à peu ils se fondent dans le système et sont amenés à se battre pour garder le pouvoir. Ils deviennent des « demi-langoustes ». N’ayant pas de quoi vivre sur leurs exploitations, les places grappillées ici et là, au conseil d’administration de la coopérative et ailleurs, leur apportent un complément de revenu qu’ils s’emploieront à défendre.

Le midi va se faire acheter !

Alors que les syndicalistes des années 70 faisaient partie de la génération de l’action et de la revendication, l’on assiste davantage aujourd’hui à un « chacun pour soi » au sein de la coopération. Chacun tire la couverture à lui. La région méridionale va se faire acheter par les nouveaux investisseurs car tout le monde veut sa place au soleil et le vignoble à 30 km de la mer fait rêver. En 1998, les vins de cépages ont déboulé dans le midi, dans le sillage de Robert Skally, lui-même « bluffé » par ce qu’il avait vu dans la Nappa valley. Cela lui a littéralement « explosé dans la tête ». Son groupe a monté des missions de recherche et réussi à introduire les vins de cépage qui ont connu un boom au début des années 2000. Ce succès s’explique par plusieurs facteurs : par la simplification du message auprès du consommateur, la capacité du Languedoc à produire de bons vins de cépage et au phylloxera outre-Atlantique. Cette réussite des Vins de pays d’Oc a poussé les producteurs a orienté leurs cépages nobles – Syrah et autres – vers les vins de cépage tandis qu’ils réservaient leurs Carignan aux AOC. Cette politique conduite sur trois ou quatre millésimes s’explique que les AOC aient été « foutus en l’air », d’autant plus facilement que l’INAO ne représente plus aujourd’hui une garantie de qualité. Quand j’ai créé ma société il y a dix ans, je vendais 80 % d’AOC. Aujourd’hui, le rapport s’est inversé et je vends 85 % de vins de pays. C’est un crève-cœur mais c’est comme cela. Les vins de cépages sont moelleux, ronds, fruités et les AOC souvent tanniques et herbacés. »

Au sein de son entreprise de négoce et forte de ses 25 ans d’expérience dans les vins du Sud, Claude Vialade défend une démarche « artisanale industrielle », c’est-à-dire à la fois empreinte d’un savoir-faire terrien et d’une connaissance pointue de l’ingénierie marketing, financière et logistique. Son chiffre d’affaires en croissance exponentielle témoigne de la compatibilité des termes.

Pratiquant très peu le système de la winerie, 90 % des vinifications qu’elle chapeaute en tant que négociant vinificateur sont réalisées dans les chais des vignerons. Pour elle, le premier critère de sélection de ses partenaires viticulteurs est celui de la « matière grise ». « S’ils ne veulent pas comprendre l’importance de la vendange la nuit, de l’éraflage, du besoin de frigories, de la macération pré-fermentaire pour faire le fruit, ce n’est pas la peine ! » En moyenne, un œnologue détaché de la société suit trois caves. Claude Vialade annonce des tarifs d’achat en hausse de 15 % par rapport aux conditions de marchés. Mais ne s’empêche pas de tirer « un coup de fusil » le cas échéant. En bon négociant qui se respecte.

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