De la première grève des droits à la question préjudicielle qui n’a jamais pu être posée à la Cour de justice de Luxembourg, l’histoire mouvementée de la taxation Pineau. Christian Baudry se souvient et raconte.
« En 1981, année d’élection présidentielle, nous avions écrit aux différents candidats pour leur demander de prendre position sur la fiscalité du Pineau et du Cognac. Les réponses que nous avions reçues disaient à peu près ceci : d’une part, qu’il fallait traiter les produits d’appellation et de terroir – dont le Cognac – de façon positive, en leur appliquant une fiscalité inférieure à celle des autres spiritueux ; d’autre part, que le Pineau devait bénéficier d’une fiscalité à “mi-droit”. Cette notion de “mi-droit” faisait référence à une loi votée à la fin du 19e siècle. Le texte prévoyait d’appliquer aux produits issus du mélange de spiritueux et de jus de raisin 50 % de la taxation des spiritueux. Certains produits en profitaient comme les VDN (Vins doux naturels). Ils payaient même un quart de notre fiscalité, dans la mesure où la “moitié droit” se calculait sur la moitié de l’alcool rajouté. Rien de tel pour le Pineau. A l’époque, en 1981, le Pineau acquittait une taxation équivalente à celle du Cognac. La seule différence tenait au degré d’alcool. Suite à une période de turbulences dans les années 82-83, les taxes sur les alcools connurent une forte hausse. En 1983, nous déclenchâmes notre premier mouvement de grève : un an sans payer nos taxes. Cela se termina par un compromis et le versement d’aides du Forma, dites “aides Susini”. Pour la première fois, le Pineau profitait de subventions à la communication. Les aides Susini représentaient à l’époque 1 million de francs, soit 1,5 million d’€ actuels. On nous expliqua alors gentiment qu’il fallait attendre l’harmonisation européenne des accises pour voir notre problème de taxation se régler. Arriva 1992 et l’harmonisation des accises mais le texte européen s’avéra suffisamment large pour que la France puisse conserver son ancien système. Seule différence à notre égard : le Pineau ne fut plus taxé à l’alcool pur mais au volume. Par contre, niveau taxation, rien ne changea. Un nouveau mouvement de rétention des taxes fut lancé. Il se termina en 1994 par un accord adopté par un certain Sarkozy, ministre du Budget. Cet accord stipulait qu’on allait confier le problème à la Cour de justice des Communautés européennes pour savoir si des fiscalités différentes, sur des produits de même nature, étaient ou non conformes au traité de Rome. Solution classique d’un gouvernement. Quand il ne peut pas régler un problème politiquement, il se tourne vers Bruxelles ou Luxembourg. Mais, quelque mois plus tard, le Gouvernement changea et le nouveau ministre du Budget ne se sentit pas engagé par les promesses de l’ancien. Au lieu d’avoir une administration des Douanes qui, devant les tribunaux, soutenait la demande de question préjudicielle, nous eûmes une Administration qui défendit tout le contraire. Au bout de six ou sept ans, la réponse de la Cour de cassation tomba : “La France est assez grande pour régler ses problèmes elle-même.” L’accord de 1994 était donc caduc. Enfin pas tout à fait. Il nous permis de décrocher des aides compensatoires, de 22 millions d’€, dont 14 millions d’€ pour le Pineau. Elles furent totalement utilisées pour la communication. Là-dessus, arrivèrent les années 2002-2003. Voyant que rien ne se passait, nous relançâmes un blocage des taxes pendant deux ans, qui se termina à son tour par un accord avec le cabinet du Budget. Cette fois, Dominique Bussereau était au Budget. Promis, juré, nous allions trouver une solution ! Un plan d’aides de 12 millions d’€ fut mis en place, dont 9,5 millions pour le Pineau. Nous dîmes au Budget : “OK pour arrêter la grève mais on conserve les fonds. On ne vous les rendra que quand les taxes auront diminué.” Le temps a passé. Il y a deux ans, nous nous sommes refâchés une n-ième fois avec, encore et toujours, un mouvement de rétention des taxes à la clé. Le ministère du Budget fit une ouverture, sans oser toutefois assumer totalement ses responsabilités. Dans la loi de finances pour 2011, il fit passer un amendement par la voie des sénateurs de Charente-Maritime. Pour compenser la baisse des taxes sur les produits intermédiaires, une augmentation des taxes sur les spiritueux de 1,3 % était prévue. Dans la région, cela représentait une petite augmentation pour le Cognac – 300 000 € – et une forte baisse pour le Pineau, 3,5 millions d’€. Mais c’était sans compter sur le lobby des Whiskies, anisés et autres tequilas. De fortes oppositions se levèrent, avec l’appui d’un certain nombre de Charentais. Nous fûmes “habillés pour l’hiver et chaudement encore”. Ce n’était pas marrant mais bon. On s’est dit : “On ne bouge pas, on continue, on attend.” Lors du dépôt de la loi de finance pour 2012, le Gouvernement s’y pris autrement. Cette fois, il écrivit lui-même ses propres dispositions. La fiscalité des produits intermédiaires baissait de 20 %, celle des spiritueux augmentait de 10 %, sans lien de cause à effet entre les deux. Evidemment, pour les spiritueux, c’était beaucoup. J’ai manifesté ma solidarité aux spiritueux.
Aujourd’hui, notre demande initiale de “mi-droit” est satisfaite. A près de 30 ans de distance, la promesse a été tenue. On ne peut que s’en féliciter. Concernant les VDN, nous ne les avons jamais attaqués. Nous avons simplement demandé que la loi qui permettait à l’Etat de leur accorder une fiscalité allégée s’applique aussi à nous. Ils ont eu peur : “En réclamant cela, vous allez remettre en cause nos privilèges.” Dans le cadre du nouveau dispositif, j’ai demandé que leur taxation, de 56 € l’hl vol. passe à 45 €. Reste un problème, celui du Martini. Le Martini est taxé comme le vin. Cela ne pose plus la question de la taxation Pineau mais celle de l’équilibre de taxation entre les différents produits. Nous disons à nos amis proches du vin : “Faites le ménage chez vous. Occupez-vous de votre fiscalité. Arrêtez de faire l’autruche. Sinon le problème des taxes vous rattrapera.” En fin de compte, le fait que certains nous aient “tiré dans les pattes” fin 2010 nous a peut-être rendu service. Si notre taxation avait diminué l’an dernier, nous aurions encaissé cete année l’augmentation de fiscalité. Ce laps de temps d’un an nous a permis de partir de plus bas. Notre fiscalité peut-elle être remise en cause demain ? Le budget de la France se discute annuellement et tout est révisable. Ceci dit, après les bouleversements qui viennent d’avoir lieu, je ne suis pas sûr que les politiques de droite ou de gauche rebattent les cartes en ce qui concerne nos produits. Ils vont nous laisser souffler. Je pense que nous serons à peu près tranquilles pour un petit temps. »
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