En cette bizarroïde période où la sinistrose colonise volontiers les esprits, la bonne nouvelle du jour, c’est que les Chinois continuent de consommer du Cognac. Et même à flot. Envolés vers Pékin juste avant le Nouvel An chinois – nuit du 26 au 27 janvier dernier – pour une mission de défense et promotion de l’appellation (voir plus loin), Bernard Guionnet et Alain Philippe, respectivement président et directeur du BNIC, en sont revenus avec une conviction renforcée : le Cognac fait toujours recette dans l’empire du milieu. Que ce soit dans les magasins duty free du nouvel aéroport de Pékin, inauguré pour les Jeux Olympiques, les liquors stores ou les lieux de consommation – restaurants, bars, night-clubs, karaokés – le Cognac est partout chez lui. Et encore peut-on penser qu’il est moins présent dans la capitale chinoise que dans le sud de la Chine, historiquement plus versé dans la consommation de l’eau-de-vie charentaise. A l’invitation de représentants des marques en poste à Pékin, B. Guionnet et A. Philippe ont fait la « tournée » de quelques établissements. En Chine, ces lieux se concentrent dans certains quartiers. Une même rue peut abriter une dizaine de restaurants et autant de night-clubs, bars ou karaokés. A l’entrée, d’immenses vitrines en verre renferment les bouteilles de Cognac étiquetées aux noms des clients. Car, en Chine, le Cognac ne s’achète pas au verre mais à la bouteille. Ensuite, le client mettra le temps qu’il voudra à la boire. En accompagnement des repas, le Cognac voisine avec le thé. Il se boit sur glace ou allongé d’eau. Dans les bars, discothèques, le Cognac se consomme jamais seul, toujours en mélange. Le mix ne se fait pas directement au verre mais dans de jolis pichets transparents où l’on ajoute, selon les goûts, glace, tonic, jus de fruit. Les Charentais n’ont vu sur les tables ni vin, Champagne ou alcool blanc. Cognac et Whisky tiennent le haut du pavé. Les marques de Cognac dispensent d’énormes efforts – « gigantesques, inimaginables » commente A. Philippe – à la promotion de leurs produits. Les grandes sociétés sponsorisent des établissements. En contrepartie d’un ticket d’entrée très élevé, elles mettent en avant leurs Cognacs. Dans ces lieux, 80 % des Cognacs consommés sont ceux de la marque. Des vendeurs « haut de gamme », attachés aux maisons, supervisent chacun une dizaine d’endroits, histoire de s’assurer que tout se passe bien. Dans les karaokés, les hôtesses veillent à la consommation. Sur l’année civile 2008, les ventes de Cognac en Chine ont terminé à + 6 %, une croissance certes en recul par rapport aux années précédentes mais encore soutenue, compte tenu des hauts niveaux précédents. Ceci dit, la Chine connaît un début de ralentissement économique. Dans une ville, Pékin où voitures particulières, taxis, 4 x 4 ont remplacé vélos, pousse-pousse et clochettes (la cité tentaculaire en est à son 6e périphérique), beaucoup de travailleurs migrants sont dorénavant occupés à de petits boulots – circulation, balayage des rues – pour tromper leur inemploi, dans la construction notamment, où leur force de travail était mise à contribution. Ces travailleurs issus des zones rurales rentrent traditionnellement chez eux lors des quinze jours de vacances du Nouvel An chinois. C’est l’occasion de déplacements en masse. Plusieurs centaines de millions de personnes se retrouvent sur les routes et dans les gares. Cette année, les autorités craignent des troubles, liés aux impayés de salaires. Les autorités chinoises verraient sans doute d’un bon œil que cette main-d’œuvre supplétive prenne un aller simple vers sa province profonde. Mais le problème n’est pas si facile à régler. En partant, les paysans ont abandonné leurs terres, souvent occupées depuis par leurs voisins. En Chine, la main-d’œuvre migrante représente une poudrière. Dans ce contexte, la société chinoise offrira-t-elle toujours assez de plasticité pour que le jeune chinois bien inséré dans la vie économique – le public des boîtes de nuit et des bars – puisse toujours s’offrir sa bouteille de Cognac ? Tout le monde croise les doigts, y compris peut-être le gouvernement chinois.
Si Alain Philippe et Bernard Guionnet ont passé une semaine en Chine, du 12 au 16 janvier, ce n’est pas pour aller visiter restaurants et night-clubs mais pour déposer officiellement le dossier de reconnaissance de l’AOC Cognac. Ils l’ont fait auprès de l’AQSIQ, la structure chargée de gérer les 600 appellations chinoises. Car le Cognac postule au rang de première Indication Géographique étrangère reconnue en Chine. Le Scotch Whisky a entrepris la même démarche mais il semblerait que l’administration chinoise souhaite accorder la prééminence au Cognac. Ce serait un beau symbole que la signature intervienne en mai, le mois anniversaire des 100 ans de l’appellation. Les bonnes relations entre le Cognac et l’administration chinoise, Alain Philippe les expliquent par douze années de coopération sans faille. « Nous sommes allés chez eux, ils sont venus chez nous, nous les avons introduits au monde des appellations sans nous poser en donneurs de leçon. » De cette reconnaissance, la région n’attend pas une révolution dans les pratiques de la protection du Cognac mais plutôt un réseau relationnel renforcé. Car besoin s’en fait sentir. On estime que la contrefaçon en Chine représente largement plus de 10 % des volumes expédiés. A noter que le Cognac représente le premier poste d’importation agro-alimentaire française en Chine. Qui l ‘eut cru !
Par décret du président de la République, daté du 31 décembre 2008, le directeur du BNIC Alain Philippe a été nommé dans le grade de chevalier de la Légion d’honneur, sur « quota » du ministre de l’Agriculture. « La distinction qui m’est décernée constitue une magnifique reconnaissance extérieure du travail réalisé par le BNIC, pour développer, défendre et promouvoir l’AOC Cognac » a déclaré Alain Philippe. Et de poursuivre : « Je dois cette récompense au professionnalisme et à la compétence, au dévouement et à la pugnacité de toutes les personnes qui, au sein de ce Bureau, œuvrent quotidiennement avec moi, au service exclusif de cette appellation, symbole de la France, dans l’intérêt collectif des professionnels, de la région et du pays. Je les en remercie. »
Approchant les 60 ans (en mars prochain), Alain Philippe a démarré sa carrière professionnelle comme ingénieur des travaux publics avant de rejoindre l’interprofession en 1996. Sans doute bon gestionnaire et animateur d’équipe – le BNIC est une superbe mécanique qui tourne rond – le directeur des services de l’interprofession a fait de la défense de l’appellation son cheval de bataille. Dans une enveloppe un peu lourde, que quelques régimes n’ont pas suffi à alléger, Alain Philippe est quelqu’un de sensible, doté d’un esprit fin, rapide et incisif ainsi que d’un humour caustique. Dans son curriculum vitae, au titre des hobbies, il indique entre autres qu’il est amateur de buticulamicrophilie Cognac et de placomusophilie Champagne. Traduction faite, il s’agit des collections de mignonnettes de Cognac et de capsules de Champagne. Vous vous gaussez M. Philippe.
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