Chauffe du bois : une Technique à maîtriser

11 mars 2009

Le bois de tonnellerie est soumis à une chauffe, plus ou moins prononcée, lors du processus de fabrication des fûts. L’incidence de la chauffe du bois a fait l’objet de nombreux travaux. Les données retenues pour illustrer cet exposé ont été obtenues à la Station Viticole, en utilisant un dispositif spécialement conçu à cet effet.

Une étude en fûts pilotes

Les fûts pilotes utilisés dans cette étude permettent de maîtriser l’hétérogénéité de la matière première bois tout en reproduisant des conditions d’extraction très proches de celles des fûts utilisés dans la pratique. Le principe est un cylindre en inox équipé à ses deux extrémités d’une bride permettant d’insérer les échantillons de bois étudiés (figure 1).

Le bois utilisé dans cette étude pour obturer les six fûts pilotes provient de seulement deux douelles. Des intensités de chauffe croissantes ont été appliquées aux deux douelles divisées chacune en 5 segments (figure 1). En pratiquant ainsi, la matière première bois correspondant aux différents niveaux de chauffe est très homogène.

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Figure 1 : Dispositif expérimental.

 

 

 

 

 

Tous les fûts sont remplis avec une même eau-de-vie nouvelle. Trois rotations sont réalisées dans chacun des fûts, afin d’étudier l’épuisement progressif du bois en composés extractibles. Rotation 1 : 4 mois au laboratoire (25 °C) ; rotation 2 : 1 an dans un chai, de 09/2001 à 09/2002 ; rotation 3 : 1 an dans un chai, de 09/2002 à 09/2003.

L’incidence de la chauffe sur la composition en extractibles

Pour chaque composé extractible, la part initialement présente dans le bois non chauffé et celle résultant de la chauffe peuvent varier dans de grandes proportions.

La cis méthyloctalactone est proportionnellement très présente dans le bois non chauffé, alors que les niveaux de vanilline et de furfural y sont très faibles (figures 2).

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Figures 2 : Incidence de la chauffe sur la libération de molécules avec un impact aromatique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les teneurs des principaux composés aromatiques augmentent toutes avec l’intensité de la chauffe. La cinétique de cette augmentation est cependant variable d’une molécule à l’autre. A chaque niveau de chauffe correspond donc un profil de composition du bois et un arôme spécifique.

Ainsi, la teneur en cis méthyloctalactone augmente beaucoup moins vite que celle en vanilline. De même, la teneur en vanilline augmente moins vite que celle en furfural (figures 3). Ces derniers composés, vanilline et furfural, sont directement liés à la chauffe du bois.

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Figures 3 : Evolution en fonction de la chauffe des ratios vanilline / cis-méthyloctalactone et furfural/vanilline.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vanilline est un dérivé de la lignine dont la dégradation partielle lors de la chauffe libère de nombreux autres composés extractibles : eugénol, coniferaldéhyde… Le furfural est un produit de dégradation thermique des hémicelluloses, une des macromolécules du bois.

Trois macromolécules, la lignine, les hémicelluloses et la cellulose représentent plus de 90 % de la masse du bois. Elles composent les parois des cellules, qui constituent en quelque sorte le squelette des arbres, un squelette très dense. En l’état, ces macromolécules ne sont pratiquement pas extractibles.

La caramélisation et la réaction de Maillard correspondent aux réactions de brunissement rencontrées lors de la cuisson des aliments. A partir de sucres, elles aboutissent à la formation de nombreux composés présentant des arômes de type « grillé ». L’impact aromatique propre au furfural (amande) est limité. Il constitue cependant un bon marqueur de l’ensemble des composés formés lors de la chauffe et responsables des arômes « toastés ».

Au-delà d’un certain niveau de chauffe, certaines des petites molécules libérées peuvent subir une dégradation. C’est le cas notamment pour la cis méthyloctalactone et la vanilline. Cette dégradation due aux chauffes les plus intenses est plus marquée pour les composés les plus sensibles à la chaleur, par exemple pour le coniferaldéhyde.

L’incidence organoleptique de la chauffe

En fin de première rotation, les eaux-de-vie logées dans les fûts expérimentaux ont été dégustées par un jury de 11 dégustateurs expérimentés (figure 4).

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Figure 4 : Incidence de la chauffe sur les caractéristiques sensorielles de l’eau-de-vie (les descripteurs présentés sont ceux cités plus de deux fois par l’ensemble des 11 membres du jury).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’eau-de-vie correspondant au bois non chauffé est peu appréciée. L’odeur du bois y est très peu marquée. Cette eau-de-vie présente des notes jugées comme végétales.

Les eaux-de-vie correspondant aux trois niveaux de chauffe intermédiaires sont globalement appréciées. Elles sont jugées vanillées. Le niveau de chauffe considéré comme optimal diffère entre les dégustateurs. Ainsi, l’eau-de-vie correspondant à la chauffe moyenne, qui est la mieux notée en moyenne, correspond au meilleur compromis entre les préférences des différents membres du jury.

Aucun dégustateur n’apprécie l’eau-de-vie correspondant à la chauffe très forte. Celle-ci présente des notes de type « champignon », « poussière », « moisi »… Elle contient pourtant une teneur importante en vanilline. La chauffe très forte semble entraîner la formation de molécules ayant un impact sensoriel négatif, qui masquent l’odeur vanillée.

On remarque que la teneur maximale en vanilline (chauffe forte) ne correspond pas au maximum de la perception du caractère vanillé (chauffe moyenne). Pour la chauffe forte certains composés à note négative, caractéristiques de la chauffe très forte commencent vraisemblablement à masquer l’odeur vanillée. On peut ainsi remarquer que le rapport entre le furfural, marqueur de l’intensité du traitement thermique, et la vanilline est de l’ordre de 10 pour la chauffe moyenne, de 20 pour la chauffe forte et supérieur à 30 pour la chauffe très forte (figures 3).

Un gradient dans l’épaisseur de la douelle

D’une manière générale, les quantités de composés volatils extraits du bois diminuent au fil des rotations. Le bois s’épuise progressivement de ce qui a été extrait lors des rotations précédentes. Toutefois, on observe des différences sensibles entre composés. Ainsi, le furfural est extrait de façon particulièrement intense lors de la première rotation alors que la vanilline et, dans une moindre mesure, la cis méthyloctalactone sont encore fortement extraites lors des rotations 2 et 3 (figures 5).

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Figures 5 : Evolution des quantités extraites au cours des rotations successives (la diminution des quantités extraites du bois est très différente selon les composés).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces résultats correspondent aux caractéristiques sensorielles observées dans la pratique lors des différentes rotations : la première rotation est plus marquée par les arômes typiques de chauffe (notes plus grillées, correspondant au marqueur « furfural ») ; les rotations suivantes sont caractérisées par des notes plus vanillées (le rapport furfural/vanilline passe de 20 à moins de 1 entre la première et la troisième rotation
(figures 4).

Le bois le plus exposé à la source de chaleur, donc le plus chauffé, est celui situé à la face interne du fût. Plus les couches de bois sont éloignées de cette face interne, moins elles sont chauffées. Ainsi, dans l’épaisseur de la douelle, à chaque couche correspond également un profil de chauffe et un arôme particulier.

Les composés des couches du bois les plus profondes sont extraits après ceux situés en surface. Ainsi, la face la plus chauffée correspond à l’extraction observée lors de la première rotation. Les couches plus profondes sont extraites lors des rotations suivantes.

L’évolution des composés extraits du bois au cours du vieillissement

L’extraction des composés du bois ne constitue que la première étape dans le vieillissement du Cognac. Par la suite, d’autres évolutions chimiques et aromatiques interviennent. Un des phénomènes importants intervenant au cours du vieillissement est l’oxydation du coniferaldéhyde en vanilline.

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Figure 6 : Evolution des teneurs en vanilline et coniferaldéhyde (Calvo et al., 1992).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le contact de l’eau-de-vie avec le bois des fûts se traduit par un apport conséquent en vanilline mais également en coniferaldéhyde. Ce dernier composé est plus abondant dans le bois neuf que la vanilline, mais il est beaucoup moins puissant d’un point de vue aromatique. Au cours du vieillissement, il s’oxyde en vanilline, ce qui contribue à renforcer le caractère vanillé.

La figure 5 correspond à des eaux-de-vie logées en fûts neufs. Après 6 ans, les teneurs en vanilline continuent d’augmenter alors que le coniferaldéhyde atteint un maximum. Les très vieilles eaux-de-vie contiennent généralement beaucoup de vanilline et seulement des traces de coniferaldéhyde.

Conclusion

La chauffe du bois entraîne la formation de nombreux composés extractibles. La composition de ce pool d’extractibles diffère notablement selon l’intensité de la chauffe.

L’extraction de ces composés par l’eau-de-vie lors du vieillissement en fût est un phénomène relativement lent et progressif. On observe de ce fait au cours du temps une évolution qualitative du pool extractible, qui s’explique en grande partie par un gradient de chauffe à l’intérieur du bois.

Deux facteurs peuvent au final être définis pour caractériser le profil des composés extraits par une eau-de-vie en vieillissement et donc le profil aromatique : l’intensité de la chauffe, le niveau d’épuisement du fût lié au gradient de chauffe dans la masse du bois.

En combinant les niveaux de températures et les durées d’exposition, les pratiques de tonnellerie peuvent permettre de mettre en œuvre des chauffes plus ou moins fortes mais aussi plus ou moins « profondes » et d’optimiser ainsi le profil des bois de tonnellerie en fonction des attentes des utilisateurs.

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