Les secrets de cuisine de maÎtre Grassa

26 décembre 2008

Y. Grassa manie la métaphore culinaire quand il dit conduire ses fermentations comme on fait mijoter un plat du terroir, à petits bouillons, pour piéger les arômes. Il n’hésite pas non plus à frotter de sel les plaies béantes des Charentais quand il leur susurre que l’Ugni blanc donne des choses fantastiques, qu’il s’exprime mieux à 100-110 hl/ha qu’à 80 et qu’il ne voit pas pourquoi, lui, irait s’embêter à produire du rouge alors qu’il vend très bien ses blancs.

tariquet_opt.jpg« Je travaille aussi bien à des températures de 20 °C ou de 8 °C. La température pour moi ne veut rien dire. La seule chose qui compte, c’est l’activité fermentaire, savoir combien il s’est transformé de grammes de sucre par jour. Parfois, il faudra « serrer » une cuve à 8° ou chauffer davantage une à 15°. Mon seul but consiste à ne pas dépasser 7 à 8 grammes de sucre fermenté par jour. Ceci est ma bible. Pas la peine d’avoir une cheminée d’usine qui dégage dans le chai des arômes magnifiques mais dont il ne reste rien dans la cuve. Ces arômes, il faut les fixer, les piéger dans une atmosphère confinée, comme dans une bouillotte. » Voilà Grassa tel qu’en lui-même, ne détestant pas « épater le bourgeois » avec des vues personnelles « piquantes », sauf que ces vues reposent sur un impeccable sens de l’observation, une expérience « béton » dont il est prêt à partager les fruits avec d’autres et un flair qui lui permet de transformer cette approche originale en atout commercial majeur. Grand maître ès vins blancs, on ne trouve pas chez lui de matériel sophistiqué. Les cuves, de grand contenant, sont en polyester. Rien que de très classique. Seuls « plus » techniques mais de taille : une centrale de froid assez conséquente (c’est un euphémisme) dont le ronronnement obsédant déchire le silence alentour et des gaines de 8 cm ceinturant les cuves qui permettent de faire circuler le froid à l’extérieur, transformant les cuves en véritables bonbonnes isothermes. « Chaque cuve est un frigo fabuleux, note Y. Grassa. Tout est fait pour apporter des doses extrêmement faibles de SO2 car l’objectif, ici, est de travailler les vins sur le fruit. Nous ne voulons pas de vins fatigués. » Pas plus qu’on ne recherche la malo., pour ne pas abîmer les arômes primaires de fermentation. La fraîcheur du vin, voilà le passeport idéal, le compagnon rêvé de la soif, ce qui plaît aux Anglo-Saxons. « Le Chardonnay est tellement meilleur sur le fruit. » Surprise ! Ici, l’on travaille en mono-levure, avec une vieille levure, « un vieux truc dont personne ne veut plus », que l’on achète à coup de 800 kg tout de même. « Des gens l’on essayé, indique Y. Grassa, ils ont toujours été extrêmement déçus. Ici, elle donne de très bons résultats. Elle ne confère aucun défaut, préserve les précurseurs aromatiques du cépage, exprime la typicité du vin. » Ce qu’aime Y. Grassa, ce qu’il trouve « très joli », c’est de retrouver cet équilibre sucre/acidité qui se traduit à la dégustation par une satisfaction complète, une sensation de plénitude. Un vin un peu astringent au départ ne le rebute pas car il évoluera dans le temps. « Un vin maigre ne peut pas s’améliorer. » Yves Grassa en est persuadé ! Ce bel équilibre à la cuve, ce rapport harmonieux entre acide tartrique et acide malique trouve ses racines à la vigne. Château Tariquet a forgé son image de marque sur un assemblage Colombard/Ugni blanc (75 % Ugni blanc, 25 % Colombard) vendus à trois millions de cols, des volumes qui dépassent le simple test grandeur nature. La propriété exploite 100 ha d’Ugni blanc, 100 ha de Colombard, 60 ha de Chardonnay, 60 ha de Sauvignon, 60 ha de Gros Manseng et de Petit Manseng. Un bon poste d’observation, reconnaissons-le, pour parler de la conduite d’un vignoble blanc. A ce sujet, le propriétaire de Château Tariquet s’insurge contre « ces règles qui ne collent jamais à la réalité » et notamment celles relatives aux rendements des vins de pays « qui veulent ramener à tout prix les Ugni blanc et Colombard à 80 hl/ha ».

« L’Ugni blanc est un gros producteur. A des niveaux de rendements faibles, on stress la plante, elle ne trouve pas son équilibre. C’est comme si l’on affamait quelqu’un qui a de l’appétit. Tout repose sur un équilibre climat, sol, plante. Ici, pour des degrés de 12 % vol., les Ugni blanc donnent le meilleur à 100-110 hl vol. Ils sont de toute beauté. Des rendements de 60-80 hl/ha marchent bien sur les rouges mais sur les blancs, c’est un autre problème » persiste-t-il. A Tariquet, on taille en Guyot simple en laissant deux courçons et 13 à 14 yeux par pied. Sur les jeunes vignes d’Ugni blanc, la densité de plantation atteint 4 500-5 000 pieds/ha mais à une époque pas si lointaine (dans les années 72) la densité était plus proche des 2 700 pieds/ha, plantés à 3,20 m sur 1,20 m. Et pas question d’arracher ces vignes, malgré les maladies du bois. « A 30 ans, l’Ugni blanc donne de très belles choses. » Le cycle qualitatif de l’Ugni blanc, Y. Grassa le voit de la façon suivante : « la 3e feuille figure parmi les plus belles récoltes et la qualité se maintient jusqu’à la 4e-5e récolte. Ensuite, le cépage devient difficile et commence à s’assagir au bout de 20 ans. Il recommence alors à donner des choses intéressantes. » A Tariquet, les vignes sont généralement enherbées un rang sur deux, avec un rang bêché. On ne pratique pas la vendange en vert. Trop chère ! Par contre on en pince pour un effeuillage « de suite après la floraison » (dans les 12-15 jours suivant la floraison, grains de plomb 6 environ). Plus tardivement, il n’aurait aucun effet. « Un effeuillage tardif, c’est la plus belle c… que l’on puisse inventer. » En guise de machine, la préférence va à une Calvi qui souffle en l’air. « Vous allez souffler tous les capuchons floraux qui restent collés. Derrière, vous n’aurez plus aucun problème de botrytis. » A travers l’effeuillage, que cherche-t-on ? A aérer les raisins, à faire rentrer la lumière sur la face humide afin d’obtenir ces jolies grappes bien dorées qui donneront à l’Ugni blanc ses lettres de noblesse. « A ne vinifier que des paquets verts, vous n’obtiendrez que des goûts herbacés. » A cette occasion, Yves Grassa insiste sur « ce potentiel fabuleux que permet d’exprimer la vinification mais qui est obtenu en réalité en amont, à la vigne, et que ni technologie ni maîtrise des fermentations ne pourra jamais dévoiler s’il n’existe pas. » Cela lui permet d’exprimer sa théorie sur le potentiel aromatique de l’Ugni blanc. « Sur l’échelle aromatique des cépages, dit-il, si l’on place l’Ugni blanc en base 100, le Colombard arrive à 250, le Sauvignon à 500, le Muscat à 800. Une vinification classique en blanc, en pressurage direct, permet d’ex-traire très peu de ce potentiel aromatique : pas plus de 10 à 15 % des arômes du cépage. Par contre, si l’on traite une matière superbe (les fameux raisins dorés d’Ugni blanc) un travail de macération permet de récupérer jusqu’à 80 % du potentiel. A ce niveau d’extraction, l’Ugni blanc devient bien plus aromatique que le Sauvignon vinifié classiquement. Qui plus est, l’Ugni blanc brille par des arômes extrêmement fins qui donneront des choses fantastiques à condition de les garder en cours de fermentation et de les exploiter. »

L’apologie de l’Ugni blanc étant consommée, écoutons un autre son de cloche, pas très loin de Tariquet, à Plaimont, en terres gersoises également mais d’où l’on ne nourrit pas exactement la même vision des choses. « Enfin un producteur d’Ugni blanc heureux ! » s’exclame, railleur, Bernard Bonnet quand on lui rapporte les propos d’Yves Grassa. Et de lancer sans ménagement une lourde pierre dans le jardin de son voisin. « Ici, l’Ugni blanc, on ne sait plus quoi en foutre ! » Après les courtoisies d’usage – « Tariquet, c’est la réussite modèle du département du Gers, est-ce reproductible, je ne sais pas » – les tirs de mortiers reprennent. « Nous aussi ont fait d’excellents Ugni blanc ! Mais Y. Grassa a fait son image à partir de Chardonnay et de Sauvignon plantés il y a une dizaine d’années, en se faisant aider par des vinificateurs volants étrangers, ce qui n’enlève rien aux qualités de manger de l’homme. D’ailleurs, si l’Ugni blanc était aussi savoureux, pourquoi aller chercher des Sauvignon et des Chardonnay ailleurs ? » Dans une structure comme Plaimont où l’on a « pédalé dans les choux pendant dix ans pour conduire les gens à descendre leur production de 150 à 50-70 hl/ha, en essayant d’amener le niveau de rémunération à la hauteur des contraintes », le discours sur le stress de la plante a du mal à passer. Pas question de remettre en cause une vérité avérée : la qualité va de paire avec des petits rendements. Comme il y a les sept plaies d’Egypte, il y a les sept plaies du Gers, dont l’Ugni blanc fait partie, aux yeux de Bernard Bonnet. « Avec l’Ugni blanc, les gens n’ont jamais voulu choisir. A force de ne jamais savoir, c’est la prime d’arrachage qui gagne. Nous, en temps qu’Union de producteurs, nous avons la responsabilité structurelle d’un grand bassin de production. Quelqu’un comme Grassa gère une structure d’entreprise. Lui va exister en cultivant sa notoriété, le Gers va prendre la prime d’arrachage. Je ne dis pas qu’il le fera au détriment de ses voisins mais il ne les sauvera pas non plus. » Au cours de ces dix dernières années, le Gers a réencépagé 7 à 8 000 ha.

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