Suite aux épisodes de grêle de l’an dernier, qui avaient laissé apparaître des failles évidentes en matière de prévision et d’alerte, les Charentais se mobilisent. Ils demandent un abaissement du seuil d’alerte, une gestion plus globale de la lutte au niveau de la grande région et des moyens supplémentaires, que la profession viticole au sens large pourraient financer. Rencontre avec Bernard Georgeon, président du Silfa (Syndicat intercommunal de lutte contre les fléaux atmosphériques) en Charente et Nicolas Tricoire, référant « aléas climatiques » au syndicat viticole UGVC.
Personne n’a oublié ce qu’il faut bien appeler les « loupés » de 2016. Une grêle du 27 mai que les prévisionnistes avaient détecté certes mais dont ils avaient minoré le risque alors que, sur le terrain, existait un très fort ressenti…Une grêle du 22 juillet qui, elle, passa totalement à travers les mailles du filet des modèles mathématiques sur lesquels, aujourd’hui, se base la prévision. Circonstance aggravante : ce jour-là les services de Météo France étaient en grève. Ainsi, l’auraient-ils voulu, ils n’auraient pas pu lancer l’alerte. Sur ces deux épisodes-là – il y en a eu d’autres en 2016 – on estime à près de 4 000 ha les vignes touchées à plus de 80 %. Peu ou prou, sur la campagne dernière, la perte financière due aux dégâts de grêle sur la région délimitée Cognac s’élèverait entre 20 et 25 millions d’€. Un manque à gagner auquel il faut ajouter le stress psychologique, la frustration qu’engendrent de tels accidents, surtout quand on se dit qu’ils auraient pu être partiellement évités.
"Plus jamais ça"
Dès fin juillet 2016, la profession montait au créneau – « Plus jamais ça ! Si des carences sont établies, nous prendront nos responsabilités.» Et puis, la vie a repris son cours, des dossiers se sont invités au-dessus de la pile, pouvant donner l’impression que le sujet de la grêle avait été glissé sous le tapis. Et bien non ! En ce milieu de printemps, il se réinvite au débat. Certes, rien ou presque ne sera opérationnel en 2017 mais les choses s’organisent, des pistes sérieuses se dessinent pour 2018.
L’assemblée générale de l’ANELFA, qui a eu lieu récemment à Toulouse, a permis de recentrer le propos. L’ANELFA (Association nationale d’études des moyens de lutte contre les fléaux atmosphériques) est notamment l’organisme qui, lors des risques de grêle, centralise les alertes des prévisionnistes, transmets les messages aux tenants de postes pour déclencher collectivement la mise en route des générateurs.
A cette réunion où étaient présents les 22 ou 23 présidents départementaux d’associations de lutte membres de l’association ainsi que de nombreux professionnels (dont Jean-Bernard de Larquier, président du BNIC), les Charentes ont émis une demande. Que, pour les deux départements, le seuil d’alerte soit abaissé de 10 % dès 2017 « afin de mieux se protéger en déclenchant un peu plus vite la couverture». Cet abaissement du seuil d’alerte représenterait, à coup sûr, une vraie avancée, à une condition près toutefois : que les départements limitrophes adoptent la même règle. Car c’est une Lapalissade de dire que les orages ne s’arrêtent pas aux frontières nationales ou départementales. Et, par principe, ce sont les postes en avant du front qui protège les couloirs plus à l’arrière. Bernard Georgeon ne l’ignore pas. «Pour que le système soit efficient, il faut que la Gironde accepte de diminuer son seuil d’alerte, non seulement la Gironde nord, au-delà de l’estuaire mais aussi la Gironde sud. Et alors c’est la Dordogne qui devra diminuer son propre seuil puisque les deux régions fonctionnent de pair. » Une réaction en chaîne justifiée par des critères techniques mais qui devra se traduire par des décisions en cascade. Il est toujours plus facile de décider seul.
Le président du Silfa a aussi évoqué un point plus général mais essentiel à la protection : la gestion de la couverture, autrement dit la répartition et le nombre de postes à iodure d’argent. « Nous avons intérêt à ce que cette couverture soit la plus globale possible. Profitons de la Grande région pour avoir une vision large. » A vrai dire, c’est déjà en partie le cas. Quand les deux Charentes sont en alerte, le Médoc, le nord Gironde le sont aussi, systématiquement et ça depuis très longtemps. Si, de l’avis de tous, la couverture est déjà très satisfaisante en termes de nombre de postes (46 en Charente, 50 en Charente-Maritime), peut-être faudra-t-il en prévoir quelques-uns de plus. Mais la plus grosse avancée viendra sans doute du travail entamé par la Gironde avec le département des Landes. Dans cette région faiblement peuplée, il est envisagé d’installer des postes à allumage automatique. Les recherches se poursuivent. Et des postes en pleine mer ? « Non, ce n’est pas à l’ordre du jour ».
Un budget abondé par la profession viticole
En ce qui concerne le budget consacré à la lutte contre la grêle, il s’élève annuellement à environ 200 000 € sur les deux départements confondus 16 et 17. Aujourd’hui, ce budget est alimenté par les cotisations des communes ainsi que les contributions des Conseils départementaux et des Chambres d’agriculture. Très vite, au lendemain des dégâts de grêle, une proposition a émergé : pourquoi la profession viticole elle-même, entendue dans un sens large, n’abonderait-elle pas le budget, afin de mieux couvrir le risque. Qui y participerait ? Les viticulteurs bien sûr, peut-être les assureurs – certaines compagnies ont déjà manifesté leur intérêt à le faire – pourquoi pas le négoce. A la viticulture, cette participation pourrait prendre la forme d’une CVO (cotisation volontaire obligatoire), d’un complément de CVO, Flavescence dorée par exemple ou toute autre forme d’appel de cotisation, via le syndicat UGVC, l’ODG…A titre purement illustratif, Bernard Georgeon avance des chiffres. « Si la participation professionnelle s’élevait à 3 € de l’ha, rapporté au vignoble de 80 000 ha, cela porterait le budget à 240 000 ha. A 4 €, le budget serait un plus conséquent mais toujours compatible à ce que la viticulture peut dépenser pour sa ouverture». Le président du Silfa considère que ce financement professionnel ne devrait pas empêcher les associations « de garder la maîtrise », ne serait que d’un point de vue opérationnel et vis-à-vis de la structure ANELFA. Par ailleurs, il pense que ce budget n’aurait pas vocation a se substituer complètement à celui des communes et des collectivités publiques. « La grêle a aussi des effets sur la population non viticole : impacts sur les vérandas, les toitures, les voitures…C’est normal qu’une contribution communale existe. Et puis il y a le poids de l’histoire. Notre association, en Charente, va fêter ses cinquante ans l’an prochain. A travers elle, s’exprime un pan de la solidarité publique avec le secteur viticole. » Ceci dit, le président du Silfa connaît aussi les difficultés des communes. «Elles sont de plus en plus contraintes au plan financier. Des réticences se manifestent chez certaines pour financer la protection grêle ». Par ailleurs, avec la loi NOTRe, les départements pourront-ils continuer à accompagner la lutte contre la grêle ? Il s’agirait donc d’alléger l’effort des communes et collectivités sans pour autant l’annuler. La réflexion, bien enclenchée et qui va se prolonger lors de prochaines réunions, ne débouchera pas en 2017. L’objectif est davantage 2018. Pour l’heure, les cotisations évoluent. En Charente, Syndicat intercommunal de lutte contre les fléaux atmosphériques (Silfa) a proposé une augmentation de la cotisation, qui a été acceptée (elle n’avait pas bougé depuis trois ans) . Sur 2017, la cotisation à l’ha de vigne passe de 1,15 à 1,25 € de l’ha (0,20 à 0,22 € l’ha de SAU), de 0,10 à 0,11 c. par habitant. En Charente-Maritime, Jacky Quesson, maire de Saint-Genis de Saintonge et président du SIEMLFA (Syndicat intercommunal d’études et de moyens de lutte contre les fléaux atmosphériques) indique que la participation des communes adhérentes (environ 200) va augmenter de 2 %. « La protection contre la grêle est l’affaire de tous » précise-t-il.
"Un service pas à la hauteur "
Comme déjà dit, ce qui a vraiment heurté les esprits en 2016, c’est le sentiment que les prévisionnistes sont largement passés à côté de leur mission. Certes, le risque zéro n’existe pas mais à ce point ! Pour dire les choses, « le service n’était pas à la hauteur de la prestation versée. » Comment remédier à cette situation ? C’est l’aspect qui interpelle le plus Nicolas Tricoire (voir encadré), lui-même opérateur bénévole sur un poste et victime récurrente de la grêle qui, régulièrement, « ramasse » sa récolte. Pour les prévisions grêle, l’ANELFA a recours à deux sources : Météo-France et Kéraunos, une société privée plus spécialisée dans la prévision des épisodes violents. Pour leurs prévisions, les deux entités utilisent des modèles mathématiques, Arôme et Arpège dans le cas de Météo France, ces deux la plus des modèles anglais, espagnol, allemand pour Keraunos. Aujourd’hui, la contribution annuelle versée par l’ANELFA à chacun des deux organismes s’élève à 30 000 €. En pleine restructuration – d’où peut-être les grèves de l’an dernier – Météo France reconfigure ses services. Dorénavant, les prévisionnistes spécialisés dans la prévision des orages seront basés à Bordeaux, pour l’ensemble de la France. Plutôt une bonne nouvelle selon B .Georgeon. A ce sujet, l’ANELFA a proposé à Météo France deux journées de sensibilisation aux épisodes de grêle destinés à ses ingénieurs prévisionnistes. Proposition acceptée. Ces journées ont déjà eu lieu et c’est professeur Jean Dessens qui les a animés. A la satisfaction des prévisionnistes semble-t-il qui disent « avoir découvert des choses ». A priori, les ingénieurs prévisionnistes de Météo France, mandatés sur des missions de protection civile sont plus spécialisés dans la prévision des tempêtes ou des inondations que dans celle des épisodes de grêle. Physicien à la retraite, le professeur Dessens était en poste à l’Observatoire Midi-Pyérénées. Aujourd’hui, il est le conseiller scientifique de l’ANELFA. Jean Dessens est aussi le fils d’Henri Dessens, introducteur et infatigable promoteur en France de la méthode de l’ensemencement des nuages à l’aide d’une solution d’iodure d’argent. Le fils a repris le flambeau du père.
Le sujet de la qualité des prévisions météo n’est pas épuisé, loin de là. Il demandera sans doute une réflexion plus en profondeur. C’est en tout cas le souhait exprimé ici, en Charentes. Pour autant, une première initiative concrète va s’appliquer dès cette année. « S’il existe un fort ressenti de terrain, mesuré par le nombre d’appels adressés au technicien de la Chambre d’agriculture qui gère le réseau, je pourrai déclencher une alerte en appelant Toulouse» explique Bernard Georgeon. « Nous prendrons notre responsabilité d’allumer les postes. Mais bien sûr, cela se fera toujours en passant par Toulouse, car allumer seul, c’est du gaspillage. » Comme il a été dit de manière constante, c’est l’effet de masse de tous les postes et la durée d’émission d’au moins 4 heures avant l’orage qui forgent l’efficacité du système. Une efficacité estimée à 40 / 50 %. « On ne fera jamais du 100 % ».
La méthode des générateurs à iodure d’argent
Découverte par des chimistes américains dans les années 50, la méthode de l’ensemencement des nuages de grêle par des générateurs à iodure d’argent est le dispositif qui, depuis une cinquantaine d’années, assure la protection dans nombre de départements.
Le principe est celui de la modification artificielle des précipitations. Objectif ! Diminuer la taille des grêlons ; faire en sorte d’en réduire le nombre. Dans les années 50, des scientifiques américains – travaux repris en France par les professeurs Dessens père et fils – découvrent en laboratoire puis expérimentent dans l’atmosphère l’ensemencement des nuages avec une molécule chimique, la molécule d’iodure d’argent. Pour sa diffusion, des générateurs au sol sont utilisés. Les promoteurs de la méthode assortissent son efficacité de deux conditions indispensables : que le maillage des postes à iodure d’argent soit suffisamment fin et que le réseau déborde des zones à protéger. En France c’est l’ANELFA (Association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques), association à but non lucratif, qui est chargée de gérer le dispositif de lutte (déclenchement des alertes…).
« Comme il n’est pas question d’intervenir dès qu’un nuage noir se forme », la prévision des risques de grêle revêt une dimension essentielle. En matière de prévision des risques de grêle, l’ANELFA s’appuie sur deux sources, Météo-France et Kéraunos , qui fondent elles-mêmes leurs prévisions sur des modèles mathématiques.
Si l’efficacité du système – tant en termes d’alerte que d’ensemencement des nuages – suscite immanquablement des critiques, jusqu’à preuve du contraire il s’agit d’une méthode éprouvée, choisie par de nombreux départements pour se protéger de façon collective. Récemment, l’ANELFA a reçu une caution de choix, celle d’Airbus. Alors que le département du Lot et Garonne se retirait du financement, l’avionneur a choisi de prendre totalement à sa charge le fonctionnement des 80 ou 100 postes existant sur le département. Une validation du système jugée très intéressante.
Laïco, un nouveau système développé par Selerys
A Gardanne, dans le Midi, Selerys, une star up spécialisée dans les risques météorologiques, propose une nouvelle approche de la lutte anti-grêle : pour détecter les cellules orageuses, un radar agissant en temps réel se substitue aux prévisions météo ; des ballons torches chargés de sels hygroscopiques remplacent les diffuseurs à iodure d’argent…
Le Pdg de la société, Philippe Cardi, est ingénieur de l’école polytechnique de Marseille. Ancien du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), il a travaillé chez Sunpartener technologies, une société spécialisée dans le photovoltaïque. En 2014, il crée son entreprise, Selerys, orientée vers les risques météorologiques (foudre, fortes précipitations, grêle). Principales cibles visées : l’agriculture spécialisée à forte plus-value (arboriculteurs, viticulteurs, serristes) ainsi que le secteur automobile (notamment pour protéger des impacts de grêle les voitures neuves stockées sur les parkings). A travers Laïco, l’innovation proposée par Selerys tient aussi bien à la détection du risque orageux qu’aux moyens de lutte. Pour déclencher l’alerte grêle, son système ne se base pas sur les analyses des prévisionnistes (Météo France par exemple) mais sur la détection en temps réel des cellules orageuses à l’aide d’un radar, lui-même relié à un logiciel d’analyse et de données. Le binôme – radar + logiciel – constitue la valeur ajoutée de Selerys, qui a baptisé sa solution Skydetect. Mais faut-il encore ensemencer le nuage pour, autant que faire ce peut, transformer « les grêlons en fines gouttes ». L’entreprise s’est alliée à la société Lacroix, spécialiste des fusées para-grêle. A elles deux, elles ont mis au point un nouveau système de diffusion : des ballons gonflés à l’hélium, sur lesquels sont embarquées des torches chargées de sels hygroscopiques.
Concrètement, comment ça marche ? Un nuage déjà formé, analysé comme potentiellement à risque, est détecté par le radar. L’information arrive chez Selerys qui prévient par sms les préposés au lancement de ballons dans l’heure ou la demi-heure précédant l’arrivée de la cellule orageuse. Le ballon, d’environ un m3, est gonflé à l’hélium et lâché dans l’atmosphère. Il est équipé d’une petite torche de 10 cm de long, 4 cm de diamètre ainsi que d’une puce électronique. Le principe ! Que la torche fasse exploser le sel hygroscopique et que ça explose au bon endroit – dans le nuage – grâce à la puce électronique reliée au radar. Vraiment opérationnel cette année, Laïco en est encore au stade expérimental. Les références n’existent pas encore vraiment même si certains viticulteurs l’ont déjà adopté (vignoble Chapoutier dans les Côtes-Du-Rhône…)
Et, bien sûr, tout ceci à un coût. Le radar, à lui seul, coûte 60 000 €. Dans un cadre collectif – groupement de producteurs…- Sellerys propose des formules d’abonnement individuel à 800 € l’année. Le rayon de détection du radar étant de 30 kms à la ronde, sur une vaste zone, il faudrait donc en installer autant que de multiples de 30, pour éviter les zones blanches. Le gonfleur du ballon – « acheté une fois pour toutes » – coûte, lui, 1 200 €. Et chaque lancé de ballon revient à 350 €. Selon l’importance des épisodes orageux, « il faut prévoir entre 2 et 6 lâchés » indique la société.
Laïco, une formule de protection adaptée à toutes les situations ? « Oui, répond l’entreprise. Quand une solution fonctionne et évite de subir la grêle, on la rentabilise vite. » Avis plus nuancé d’autres acteurs de la protection – « On peut se demander si la solution est vraiment adaptée à du collectif, sur une grande zone ? Par ailleurs, le coût n’est-il pas disproportionné ? Quand on est sur des appellations prestigieuses comme Margaux ou autre, on peut tout se permettre. Ailleurs, c’est différent. »
Actuellement, un test grandeur nature du système Laïco démarre en Bourgogne, dans le Chatillonnais, avec l’appui de la commission technique du BIVB. L’interprofession finance l’essai, prévu sur trois ans. Le vignoble couvre à peu près 300 ha et compte une soixantaine de vignerons. Le radar ( plus la tour) est en cours d’implantation sur le grand plateau surplombant les vignes plantées sur les coteaux orientés sud.
Si, pour l’instant, le système Laïco ne connaît pas de matérialisation en Charentes, l’entreprise indique « que de bons contacts ont été pris avec le bassin» et que des viticulteurs, à titre individuel, sont venus spontanément rencontrer la société sur son stand à Vinitech. « Affaire à suivre » conclue la technicienne en charge du secteur.