Le sort des excédents Cognac dans un régime d’affectation

14 mars 2009

La région délimitée Cognac vit une période paradoxale. De grands changements sont annoncés mais aucun n’est acquis. Pourtant, il faut bien faire « comme si » et commencer à étudier les modalités du changement pour envisager l’éventualité d’un « passage à l’acte ». Dans cette problématique, le sort des excédents Cognac dans un régime d’affectation de surface résonne d’un accent tout particulier. Sujet peu médiatique, il est pourtant lourd de conséquences.

Si un jour la double fin devait disparaître – on annonce ce grand « chambardement » pour 2006 – que se passerait-il ? Selon la « feuille de route » que s’est fixée la profession, s’appliquerait à la région délimitée un régime d’affectation de surface, avec des ha dédiés au Cognac et d’autres voués aux vins de table/jus de raisin. Aujourd’hui c’est la distillation communautaire de l’article 28 du règlement 1493/1999, spécifique aux vignobles double fin, qui sert de base juridique à l’encadrement de la production. Non seulement l’article 28 valide le plafond de production à ne pas dépasser (via la QNV) mais encore il règle le sort des excédents produits au-delà. D’une part, l’article 28 impose une contrainte de prix. Le prix d’achat du vin de l’article 28 à l’intervention (le prix auquel le FEOGA achète l’alcool aux distillateurs) ne peut être inférieur à 116 e l’hl AP*. D’autre part, trois seules destinations s’ouvrent à ces excédents : les vins pays tiers, vendus à l’extérieur de l’Union européenne, les vins vinés et la transformation en alcool de vin à 92 % vol. (dit encore distillat de vin). Le règlement communautaire 1576/89 sur les boissons spiritueuses autorise ce distillat à entrer à hauteur de 50 % dans les brandies. Demain, que se passera-t-il ? Dans le Plan d’avenir viticole, il est prévu que les ha affectés au Cognac passent sous un régime INAO. C’est l’alternative qui a été trouvée pour éviter que la région tombe dans le « chaudron » des vins de table (rendement de 90 hl vol. + 10 ou 20 hl de non-vin pour tout le monde, quelle que soit la destination, Cognac, jus de raisin, vins de base mousseux…), voire dans la dérégulation. Car, en l’absence de demandes d’aides, aucune limite de rendement ne s’impose aux vins de table. Non seulement l’option INAO permet d’affiner les curseurs du Cognac (notion de rendement annuel) mais encore elle débouche sur une possibilité de différenciation des vignobles. Par définition, les ha qui ne sont pas Cognac sont « autre chose » et peuvent donc prétendre à un traitement particulier (notion de rendements différenciés). Les ha affectés au Cognac seraient donc régis par un décret INAO. Ce décret existe, c’est celui de 1936 instituant l’appellation Cognac. Simplement, pour s’appliquer aux vins, il doit être amendé. C’est à ce chantier que la profession s’est attelé et c’est dans ce cadre-là que doit être examiné le sort des excédents Cognac. En effet, si un régime INAO devait jouer, il faudrait bien savoir quoi faire des vins entre le rendement annuel et le rendement plafond, rendement qu’à Cognac on prévoit de calquer sur le rendement agronomique à 120 hl vol./ha. Pour les vignobles AOC produisant des vins (Bordelais, Bourgogne, Val de Loire…). c’est simple. Les vins produits au-delà de la limite de production (les DPLC pour Dépassement du plafond limite de classement) partent à la distillation d’alcool de bouche à moins de 86 % vol. Vendu sur le marché libre (sans contrainte de prix d’intervention), cet alcool participe à l’approvisionnement de la filière brandy. Les producteurs de vins y trouvent un double avantage, structurel et financier. Au plan structurel tout d’abord, la distillation joue le rôle d’exutoire. Les excédents sortent définitivement de la filière vin, ce qui est le but recherché. Au plan financier ensuite, la vente des eaux-de-vie de vin par les distillateurs, même à petit prix (autour de 100 € l’hl AP), permet de couvrir les frais de la distillation. Opération blanche pour les vignerons qui se solde par gain zéro mais aussi un coût zéro.

Une situation plus complexe

A Cognac, la situation s’avère autrement plus compliquée. Le produit est un alcool et la procédure normale est déjà la distillation. Dans ces conditions, comment gérer les excédents ? Sous le régime de la double fin, on a vu que la région délimitée acceptait qu’une partie de ses surplus revienne dans la filière brandy via la distillation à 92 % vol. Peut-on imaginer que cette pratique se perpétue dans un régime d’affectation ? A cette question, la majorité des professionnels semble vouloir répondre par la négative. Ils justifient leur position par le changement de donne. « Le nouveau dispositif prévoit que des ha soient uniquement dédiés au Cognac. Dans ces conditions, il paraît difficilement envisageable que des excédents pouvant se revendiquer d’une façon ou d’une autre d’une origine Cognac puissent déboucher sur l’élaboration de produits qui viendraient concurrencer de près ou de loin le Cognac. » Un autre renchérit : « On connaît la faculté des gens du marketing à jouer sur les mots. Cela me semblerait très dangereux d’ouvrir ce genre de possibilité. C’est source de dérapage. Il y a suffisamment de personnes qui rêvent de faire du faux Cognac. Ce n’est pas la peine de leur faciliter la tâche. » Un autre argument vient à la rescousse du « rien au-dessus des ha Cognac ». C’est l’argument économique. La possibilité de produire des alcools, même peu rémunérés, au-dessus des ha Cognac constituerait une valorisation de fait, ayant pour conséquence de relativiser l’intérêt des autres débouchés. Naturellement, les opérateurs brandy de la place ne voient pas les choses du même œil. Ils contestent notamment l’idée de concurrence exercée par le brandy à l’égard du Cognac (voir page 26). Si ce groupe d’opinion est fermement décidé à ne pas se laisser faire, a-t-il pour autant des chances d’être entendu ? En guise d’alternative, certains évoquent
l’idée de vignes spécifiquement vouées à la production de brandy, comme il existerait des vignes affectées à la production de Cognac ou de vin de table. On imagine sans peine l’attrait qu’exercerait un tel vignoble pour les opérateurs brandy, une fois les vins charentais débarrassés de la contrainte du prix d’intervention de 116 € et du degré de distillation à 92 % vol. Reste que le camp majoritaire n’en démord pas. Pour lui, il n’est pas question d’accepter que des excédents Cognac identifiés comme tels reviennent dans le champ des eaux-de-vie de vin. D’où sa « commande » d’étudier toutes les pistes permettant d’éliminer définitivement les surplus sur les ha Cognac (voir article Revico page 23). Cette commande se double d’une autre exigence : cette destruction doit coûter le moins cher possible à la viticulture.

dominique_fihol.jpgCar, on l’aura compris ! Si les viticulteurs devaient payer pour faire disparaître leurs excédents Cognac, c’est tout le modèle économique du nouveau système d’affectation qui serait compromis. Dans ce sens, le négoce et notamment les trois actionnaires majoritaires de Revico – Hennessy, Martell et Courvoisier – ont demandé à Marcel Menier de trouver une idée pour détruire le vin à coût zéro. Le directeur de Revico a rendu sa copie courant 2004. Elle se base sur la méthanisation à grande échelle d’une partie du vin à éliminer. L’énergie retirée de l’action des enzymes servirait à distiller à moindre coût la partie de vin restant, une distillation conduite à fort degré (plus de 96,3 % vol.) pour produire un alcool vinique destiné, après déshydratation, à la production de biocarburants. Naturellement ce schéma repose sur quelques préalables et notamment que la place des alcools d’origine vinique soit confortée dans la grande famille des biocarburants (voir interview de Bernard Douence page 34). Cette piste de la biocarburation bute également sur un autre obstacle, mis en avant par la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des Fraudes. Mme Filhol, chef du bureau des boissons à Paris, l’exprime d’une phrase : « Nous ne voulons pas créer un monopole de traitement des excédents de Cognac. » Car si quelques sociétés de type Revico existent en France, elles sont toutes loin de Cognac. Les frais de transport qui leur seraient imputables les rendraient du coup non concurrentielles. La direction de la Concurrence voit mal engagés les producteurs de Cognac « sur une piste qui pourrait se révéler à terme tout à fait contestable ». En clair, pas question de voir l’émergence d’un prix unique de disillation, « qui plus est fixé par les grandes maisons ». Pour sa part, Dominique Filhol accorde sa préférence à la dénaturation. Ce procédé, qui consiste à rendre un produit impropre à un usage donné, est paraît-il très répandu dans l’agro-alimentaire. A Cognac, il se traduirait par l’introduction d’un « marqueur » dans les vins à éliminer, qui persisterait à la distillation, traçabilité oblige. Objectif : que ces eaux-de-vie ne puissent pas revenir dans la filière brandy. Mais outre le fait qu’il faut d’abord vérifier la faisabilité technique d’une telle opération, il convient de s’assurer que des débouchés existent pour ce type de produits (liqueurs, plats cuisinés …). Et puis qui introduirait le dénaturant, le viticulteur, le distillateur ? Dans les vins ou dans les eaux-de-vie ? Où se situerait l’obligation et qui en exercerait la responsabilité ? Combien coûterait une opération de dénaturation ?

Trouver un habillage juridique

Au sujet de la destruction des excédents Cognac, se posent non seulement la question de l’option technique – distillation à fort degré, dénaturation… – mais également celle de « l’habillage juridique ». Comment rédiger le décret de 1936 pour que la gestion des excédents Cognac soit incontestable ? Un juriste prévient : « Cette fois, on ne tranchera pas le débat avec une solution à la petite semaine ! » Les différents services juridiques de la région et de l’Administration ont commencé à plancher sur le sujet. Première constatation : la tâche ne sera pas facile. Non seulement il faudra réviser le décret de 36 mais on aura également besoin d’un texte transversal « pour couvrir tout le monde », les ressortissants du BNIC comme les opérateurs extra-régionaux. L’adoption d’un texte transversal fait appel à une loi ou, au moins, à un décret-loi, toute procédure législative qui demande du temps. Certains évoquent aussi des obstacles purement juridiques : « Est-ce qu’un décret INAO peut imposer soit une destination, soit un type de production à des eaux-de-vie ? » Dans ce contexte, des voix suggèrent que la solution aux excédents Cognac pourrait passer par autre chose que du pur juridisme. Soit par le bon sens paysan, qui amènera à gérer ses volumes le plus intelligemment possible, soit par une « autre conception de la production ». «  Si demain, on peut produire 9, 10 ou 11 hl AP par ha sur moins de surfaces, la question des excédents ne se posera même plus ! » Pirouette ou anticipation ?

Réforme de la PAC

Une nouveauté juridique : les droits à paiement unique

L’Institut de législation et d’économie rurale de Poitiers (ILER) et la « Revue de droit rural » coorganisent, le jeudi 27 janvier 2005 et le vendredi 28 en matinée, un colloque consacré aux droits à paiement unique issus de la dernière réforme de la PAC. Seront abordés les thèmes suivants :

– Jeudi matin : présentation générale des droits à paiement unique (interventions de professeurs de droit d’Angers, Rennes, du ministère de l’Agriculture, éléments de droit comparé).

– Jeudi après-midi : transmission des DPE (communications de notaires, avocats).

– Vendredi matin : DPE et politique des structures (CER, FNSEA, CRIDON).

Le colloque se déroulera à la faculté de droit de Poitiers, 15 rue Sainte-Opportune (Amphi C) – Frais de participation : 100 € (étudiant 20 €) – Repas : 20 € (dans la limite des places disponibles).

Renseignements et inscriptions : ILER – Tél. 05 49 45 42 02 – Fax : 05 49 45 42 32 – e.mail : mlenir@univ-poitiers.fr –
denis-rochard@univ-poitiers.fr

 

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