Libérer Les Kilos De Raisins Pour Sauver La Valeur Ajoutée

12 mars 2009

champagne_9_opt.jpegDe toute urgence, les vignerons champenois essaient de desserrer le cordon de la production pour tenter de préserver ce qui constitue l’essentiel à leurs yeux : un rapport de force équilibré entre viticulture et négoce. Au processus de révision de l’aire géographique entamée depuis 2003 vient s’ajouter cette année la mise en place d’une réserve individuelle. Une première dans un vignoble d’AOC.
Pragmatiques, les Champenois ne s’enferment pas dans la dénonciation. Ils préfèrent avancer. Ils n’ont pas tardé à comprendre que pour sortir de la nasse qui se refermait sur eux, il fallait s’attaquer au problème à la source. Si le négoce bouscule les dogmes champenois, c’est qu’il a besoin de marchandise. Et donc, pour préserver ces dogmes, le meilleur moyen consiste encore à essayer de donner aux négociants ce qu’ils veulent, des kilos de raisins. Avec un objectif très précis dans le temps : 2013. Car si rien n’est fait d’ici là, c’est en effet à cette date qu’interviendra le « point de rupture », le moment où le vignoble ne suffira plus à alimenter le marché. Vision « qui fait froid dans le dos » du côté d’Epernay. D’où la batterie de mesures échafaudée par le syndicat unitaire – le SGV Champagne – pour tenter de déverrouiller la production. Au premier chef, il y a la révision de l’aire géographique. Aujourd’hui, les boutons de la chemise sont prêts à sauter. A moins de déplacer les cimetières et de raser les maisons, impossible de « gratter » 1 000 ha supplémentaires. Sans vouloir ni pouvoir se prononcer sur la « bouffée d’oxygène » que procurera cette révision de la zone de production, les Champenois l’estiment à vue de nez à 2 500-3000 ha, peut-être plus. Avec un potentiel de 34-34 500 ha, les vignerons espèrent être capables à terme d’alimenter un marché de 400 millions de bouteilles (contre 322 millions aujourd’hui). En prévenant d’emblée qu’il n’existera toujours pas de solution pour 500 millions de cols. Par ailleurs, ces volumes supplémentaires ne vont pas tomber tout de suite. Le processus de révision, initié en 2003, s’achèvera en 2009-2010 par la présentation au Conseil d’Etat pour décret. Ensuite il faudra obtenir les droits de plantation, année après année, au rythme d’un contingentement annuel estimé à 300 ha, à moins qu’entre-temps l’OCM décide de libéraliser les plantations. Puis il faudra planter les vignes et attendre qu’elles produisent. Le plein effet de la révision de l’aire géographique n’est pas espéré avant 2017-2020. En Champagne, on parle d’un « tunnel » de dix ans – 2007-2017 – qu’il va bien falloir traverser.

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Evolution des récoltes AOC Champagne.

une réserve individuelle

C’est là où intervient la variable d’ajustement de la réserve individuelle. Jusqu’à maintenant la planète AOC ne connaissait qu’une seule réserve, la réserve collective. Ce sera toujours vrai demain dans tous les vignobles de France sauf en Champagne où la réserve individuelle va être testée à titre expérimental pendant cinq ans, jusqu’en 2011. A Epernay, on est conscient que la mise en place, par l’INAO, d’une réserve individuelle pour un vignoble d’AOC constitue une petite révolution. Les Champenois travaillaient sur le dossier depuis six ans. Ils ont mobilisé leurs parlementaires pour obtenir gain de cause.

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Evolution du prix du raisin en euros constants.

Quelle différence existe-t-il entre réserve individuelle et réserve collective ? C’est presque un truisme de dire que, par rapport à la réserve collective, faisant l’objet de blocages et de déblocages collectifs, à l’initiative de l’interprofession, la réserve individuelle peut être débloquée de manière individuelle « sans rien demander à personne ». C’est là la principale différence. Certes, déjà, dans le régime classique, la réserve collective dite « qualitative » pouvait faire l’objet d’un déblocage individuel pour récolte déficitaire par exemple. Ce sera toujours le cas dans le nouveau système mais les possibilités de libération se trouveront décuplées. La réserve individuelle sera toujours gérée par l’interprofession mais cette dernière gérera au cas par cas. Par ailleurs, à la demande du SGV Champagne, le dispositif s’assortit d’un déclic supplémentaire : la hausse du rendement butoir. Cette augmentation est justifiée « pour pouvoir constituer la réserve ». Le rendement butoir constitue le plafond du rendement annuel de l’appellation Champagne. Il passe de 13 000 kg à 15 500 kg/ha. Ce chiffre correspond à 434 millions de bouteilles. Pour des ventes actuelles de 322 millions de bouteilles, cela libère donc une marge appréciable. Certes, le rendement butoir est tout sauf un objectif de mise en marché. Mais la perspective d’un rendement butoir XXL a tout de même de quoi décomplexer le marché. Parallèlement, la charge maximale moyenne à la parcelle, égale à 140 % du rendement butoir, évolue automatiquement à 21 700 kg/ha, soit un maximum de 18 grappes au m2. Dans un autre ordre d’idée, les dernières vendanges ont vu le classement de 13 000 kg/ha au lieu des 12 500 kg précédents. Cette évolution du rendement annuel, qui répond à l’exigence économique de l’appellation, se traduit par une disponibilité de 365 millions de bouteilles (pour toujours 323 millions vendues). De même, au niveau du pressoir, le rendement raisin/hl est passé de 150 à 160 kg de l’hl. Ainsi, les Champenois font feu de tout bois. Ils utilisent tous les leviers possibles pour libérer des raisins. En sachant qu’ils seront observés par leurs pairs. Pas question de prêter le flanc à une quelconque dérive qualitative. « C’est un vrai gage de confiance donné à notre appellation. Pendant que l’ensemble de la viticulture française doit se contenter d’un rendement de base, nous obtenons la mise en place d’une réserve individuelle et l’augmentation du rendement butoir. Nous ne devrons pas manquer de discernement le jour où la récolte manquera un peu de dignité. » Cet engagement « la main sur le cœur » se double d’un fort sens de la dialectique de la part des Champenois. Voilà comment ils justifient les libéralités concédées : « Dotés d’une véritable assurance récolte, les viticulteurs devraient être plus enclins à faire évoluer leurs pratiques culturales pour une meilleure maîtrise des rendements. » Admirons le raisonnement.

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Evolution du chiffre d’affaires du Champagne en euros constants.

soupçon de rétention

Tous ces efforts n’ont qu’un but : fluidifier la circulation du raisin. Car, aux yeux de la profession, trop de blocages perdurent encore. Sachant que la réserve qualitative peut atteindre au maximum 8 000 kg/ha, 3 000 viticulteurs sur 18 000 possèdent une réserve supérieure à 7 500 kg/ha. La réserve moyenne s’élève à 4 000 kg/ha. La réserve abrite donc un stock mort important, vécu ici comme une véritable plaie. A l’accusation de captation du foncier formulée par la viticulture répond celle de rétention des bouteilles formulée par les metteurs en marché. La réserve individuelle et son pendant, le rendement butoir, suffiront-ils à lever cet abcès de fixation ? Pas si sûr. Comme on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, beaucoup de vignerons se demandent pourquoi vendre 1 400 bouteilles à l’ha quand déjà 1 000 suffisent à les faire – très – bien vivre. Parmi eux, certains voient dans le stock mort leur épargne retraite. Sans parler de la fiscalité et de ces petits exploitants qui font tout pour rester « au seuil du réel ». Autant de chantiers économiques, sociaux, fiscaux qui s’ouvrent en cascade devant les responsables du SGV Champagne. Au sein du SGV, un groupe « croissance » a été créé, comme on crée ailleurs des groupes « viticulteurs en difficulté ». La viticulture champenoise attend semble-t-il beaucoup de ces signaux adressés tant au négoce qu’à la viticulture. Seront-ils suffisants pour étancher la soif et calmer les appétits ?

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