Positionnée avant les vendanges, la réunion annuelle des délégués de Champaco constitue en général une excellente occasion de prendre le pouls de la région à un moment clé de la campagne, les vendanges, surtout si on corrèle les informations qui en filtrent à d’autres annonces (voir encadré sur les intentions d’achat d’Hennessy). Ainsi, le 12 septembre dernier à Angeac-Champagne, le directeur de Rémy Martin, Jean-Pierre Lacarrière, a-t-il indiqué que la « commande » de Rémy Martin à Champaco serait d’un volume identique à celui de l’an passé : 29 000 hl AP. Quant aux prix d’achat, ils seront en augmentation de 15 e par hl AP. Ces chiffres témoignent à la fois d’une vision positive du marché et d’une prudence à l’égard de ce même marché. « Nous ne sommes pas à l’abri de retournements toujours possibles. Ce fut le cas cette année en Asie où nous avons assisté à un retournement meurtrier en volume. Ces phénomènes sont imprévisibles. Il convient donc de faire très attention. » Dans son intervention, Dominique Hériard-Dubreuil s’est montrée plus explicite. La crise du Sras (Syndrome respiratoire aigu sévère) en Asie a gravement « enrhumé » les ventes de qualités supérieures dans les hôtels, restaurants et autres lieux de passage. Le président du directoire de CLS Rémy-Cointreau estime à 10 millions d’euros sur les quatre premiers mois de l’exercice l’impact de cette crise sur le résultat opérationnel du groupe. Autre phénomène « impactant », celui du taux de change euro/dollar. Malgré une couverture du risque, l’incidence sur le résultat opérationnel s’est élevée à 16 millions durant la même période. D. Hériard-Dubreuil indique cependant que les résultats tirés des programmes d’organisation interne – amélioration de la chaîne logistique, gains de productivité, performances accrues sur les marchés… – devraient permettre de compenser très largement ces phénomènes conjoncturels. Et puis, comme n’a pas oublié de le préciser J.-P. Lacarrière, le Cognac vit en ce moment une « embellie » dont ne manque pas de profiter la marque au centaure. Après la fameuse crise asiatique de 1997-1998, la région a récupéré les sorties de 1995, soit 147 millions de bouteilles ou encore 10,5 millions de caisses. A fin juillet, la zone Amérique affichait une progression des ventes d’environ 9,8 %, « ce qui en soi est très remarquable » a noté le directeur de Rémy Martin. Si un « frémissement » se fait sentir en Extrême-Orient, il reste encore timide et porte naturellement sur des quantités bien moindres (les États-Unis à eux seuls mobilisent 40 % des achats). Face à la domination des qualités jeunes vendues outre-Atlantique, les qualités supérieures progressent mais ne représentent que 42 % des volumes. Rémy Martin réalise 99 % de ses ventes à l’export contre environ 90 % pour l’ensemble de la région.
Homme de produit plutôt que de marchés, ce sont dans les grands équilibres que Bernard Guionnet puise ses indicateurs. Et pour lui les clignotants « sont plutôt au vert ». Quand il dit ça, il vise six grands paramètres, repérés en fin de campagne 2002-2003 : des ventes de 413 000 hl AP, des sorties (ventes + évaporation) de 471 000 hl AP, une distillation de 391 000 hl AP, des achats de 382 000 hl AP, des stocks de 3,1 millions d’hl AP et un taux de rotation de 6,6. Pour autant, le chef de famille de la viticulture estime que la région n’en a pas encore fini avec la restructuration (une remarque qui lui a été peut-être inspirée par le rapport Zonta qui identifie pour sa part un quasi-équilibre des surfaces et des ventes dans les différentes catégories). « L’effort de restructuration doit être poursuivi » prône le chef de famille de la viticulture au BNIC. « Il s’agit d’un gage d’avenir important pour les viticulteurs cognaçais. » Et de développer son raisonnement : « A 8 de pur, sur un potentiel Cognac de 60 000 ha, le revenu ha s’établit à 32 000 F (4 000 F l’hl AP en F.B.), alors que les coûts de production sont estimés à environ 35 000 F. Je sais que l’on travaille plus ou moins à perte dans cette région mais les structures changent, s’agrandissent. Ce qui était possible sur une exploitation familiale le sera peut-être moins sur une exploitation qui emploie de la main-d’œuvre. Sans parler des nouvelles normes HACCP, environnementales et autres. Dans le cadre de la future réglementation, qui élimine les sources de revenus supplémentaires sur les ha Cognac, faudra-t-il continuer à vivoter à 8 de pur ha ou rentabiliser la production à 9 ou 9,5 hl AP/ha sur un potentiel Cognac de 50 ou 55 000 ha ? Pour moi, le choix est vite fait. “C’est un avis que je partage” comme dirait l’autre. Dire que nous sommes à l’équilibre et que tout va bien, c’est une opinion qui se vérifiera peut-être dans quelques années. En tout cas, ce n’est pas la mienne. »
Une modification du règlement intérieur
Le président de Champaco a noté que le conseil d’administration allait revoir au cours de l’hiver le règlement intérieur de la coopérative. « Il date de 1995 et a besoin d’être modifié. Y seront certainement intégrés la charte de qualité CLS Rémy Cointreau, la démarche HACCP – pour laquelle les 1 200 adhérents de Champaco ont à peu près tous suivi une journée de formation – et sans doute un code de responsabilité des bonnes pratiques et des bonnes conduites. » Avec cette formule alambiquée, B. Guionnet n’ignorait pas qu’il allait intriguer ses collègues. L’explication de texte a été livrée dans la foulée. La coopérative envisage de demander à ses livreurs, en plus de la déclaration de la récolte, le document des douanes dit SV8 bis, qui permet de vérifier si le viticulteur a bien respecté ses obligations de livraison à la D.O. article 28. En clair s’il a dépassé ou non la QNV. « Si mes collègues suivent cette idée, a indiqué le président de Champaco, en cas de dépassement significatif, nous pourrions nous réserver le droit de refuser la livraison des eaux-de-vie pour l’année à venir. » « Qu’il n’y ait pas méprise, a poursuivi B. Guionnet, ces sanctions sont prises dans un bon esprit, conforme à nos valeurs mais on ne peut pas accepter plus longtemps des dérives qui pénalisent l’ensemble de la région. Un jour ou l’autre il faut bien trancher. Les viticulteurs n’ont pas accepté pour rien de s’autolimiter à 6 hl AP/ha cinq ou six ans de suite. A l’heure où la QNV augmente, ces dépassements deviennent de plus en plus intolérables. Il faut que tout le monde rentre dans le rang. Sinon, ce n’est plus la peine de se réunir. » Cette initiative n’est-elle pas redondante quand l’administration manifeste quelques velléités de sévir (voir article page 14) ? « Non a répondu le président de la coopérative. Cette surveillance se justifie au cas où l’administration “oublierait”. Par ailleurs, elle montre la volonté des professionnels de s’interposer à cet état de fait. » Jean-Pierre Lacarrière a également précisé que la société se réservait le droit – « dans les limites réglementaires et juridiques » – d’adopter la même attitude pour ses bouilleurs de cru liés par contrat. A l’intérieur de ces contrats d’ailleurs, une clause déjà ancienne mentionne l’obligation de respecter la réglementation en vigueur. « C’est un devoir de justice » a estimé le directeur de Rémy Martin.
Face à la précocité de la récolte, Bernard Guionnet a demandé à l’acheteur principal et pour tout dire unique s’il ne pourrait pas anticiper de 15 jours l’entrée des eaux-de-vie (autour du 15 novembre), afin d’avancer d’autant la date de distillation. « C’est intéressant qualitativement. » Le paiement suivra-t-il au même rythme ? « Nous nous engageons tous les ans à verser un certain volume d’entrée avant Noël. Ce challenge sera respecté. Nous verrons auprès de nos banquiers si nous pouvons gagner quinze jours sur les paiements de la récolte 2003. » Une remarque que les banquiers présents à la réunion n’ont certainement pas manqué de capter.
Déjà, l’an passé, la coopérative avait pris le parti de verser l’intégralité du prix des eaux-de-vie 00, rompant avec le système traditionnel du complément de prix servi l’année N + 4, qui prévalait dans l’ancien contrat. Naturellement, ce sont les termes du nouveau contrat qui s’appliqueront cette campagne. Les eaux-de-vie seront payées à 100 % de la valeur, en une seule fois. Bernard Guionnet comme Jean-Pierre Lacarrière ont insisté sur les primes de qualité, « qui viennent en plus du prix de base ». « Tout le monde n’opère pas de la même façon dans la région » a incidemment remarqué J.-P. Lacarrière. Furent distribuées sur le dernier exercice clos le 31 août 2003, des primes de qualité pour un montant de 534 000 euros, soit une majoration moyenne de prix de + 2,88 % en Grande Champagne et de + 2 % en Petite Champagne. B. Guionnet a fait remarquer qu’elles se matérialisaient par un second chèque. « C’est du palpable » a-t-il dit. Il n’y a pas eu de remboursement des parts sociales des exercices 2002 et 2003. Le montant des parts sociales prélevées s’élève toujours à 32 e par hl AP.
Une explication fine des mécanismes
« Je me répète » avoue Dominique Hériard-Dubreuil. Peut-être, mais comment changer de discours quand ce discours reflète vos convictions. Par ailleurs, dans ses interventions, la présidente du directoire fait souvent l’effort de dépasser la surface des choses, pour aller vers une explication plus fine des mécanismes. Les viticulteurs, peu habitués à cette approche, y sont manifestement sensibles et la perçoivent comme une forme de considération. Entre D. Hériard-Dubreuil et les viticulteurs, le courant passe. La réactivité est la grande affaire de la présidente du directoire qui y revient tous les ans, sous une forme ou sous une autre. S’adapter en permanence, être plus réactif et innovant. Voilà qui lui semble être le sésame pour gagner des parts de marchés. La différence de rythme entre ici et ailleurs la séduit et en même temps l’interpelle. « Le monde change plus vite que nous. » C’est pour cela qu’elle réclame à cor et à cri cette fameuse réactivité, quelque part contre-nature : on demande à des produits dont l’excellence dépend du temps de réagir rapidement. Une autre de ses convictions a trait à l’absence de certitudes. « Le monde est incertain et dans un tel univers, il faut donner envie. Les codes spécifiques appartenant à une catégorie de spiritueux n’existent plus. En définitive, c’est la capacité à séduire qui fait la différence. » Bien sûr, cette capacité à séduire s’obtient avec de gros moyens financiers mais pas seulement. « En douze ans, de 1990 à 2002, les Whiskies écossais ont augmenté leurs volumes de 11 %, un résultat correct mais sans plus. Voyant qu’ils n’arrivaient pas à faire bouger les marchés, ils ont eu l’idée de s’attaquer à la création de valeur. Ce fut la “sucess story” des Pure malts. En valeur, la catégorie a augmenté de 40 %. Il faut bien avouer que le Cognac a un peu raté le coche même si nous remontons la pente. Pour que le Cognac continue à vivre dans l’avenir, la qualité est la seule voie. » Comme ses autres collègues négociants, D. Hériard-Dubreuil n’a pas été sans remarquer « qu’une Vodka produite régionalement – Grey Goose pour ne pas la nommer – se vendait aux États-Unis plus cher qu’un VS. « Il ne faut pas critiquer la Vodka mais nous critiquer, pour ne pas avoir été capable de monter nos prix et faire en sorte que le produit vaille plus cher aux yeux des consommateurs. » Revenant sur la notion de séduction, Dominique Hériard-Dubreuil a fait un constat : « Je crois que nous sommes trop impliqués dans le processus de production. Nous voulons à tout prix éduquer le consommateur alors qu’il faut lui parler plaisir de consommer. » Cette intuition profondément ancrée chez elle ne l’empêche pas de soutenir dans la demi-seconde « que la recherche de qualité est intangible ». Penser produit, parler plaisir et être suffisamment « libre dans sa tête » pour être crédible. Un exercice d’équilibriste un peu complexe mais tellement séduisant. Et peut-être gage de réussite pour que le Cognac gagne « sa place au soleil ».
Vins Cognac
Hennessy augmente ses prix d’achat d’environ 3 %
Interviewé début septembre par La Charente-Libre dans le cadre de ses « Petits Déjeuners », Roland de Farcy avait déjà dit l’essentiel. Fin septembre, la maison des quais confirme : ses prix d’achat des vins Cognac augmenteront bien d’environ 3 %. Quant aux volumes d’achat, « une grande majorité de nos livreurs bénéficieront du passage de QNV de 6 à 7 pour la récolte 2003 » indique Yann Fillioux.
Les chiffres de la coopérative
Sur la récolte 2002, Champaco a rentré 13 000 hl AP de Grande Champagne et 16 000 hl AP de Petite Champagne. Sont sortis des chais 21 788 hl AP destinés à Rémy Martin. Avec l’évaporation de 1 618 hl AP, les sorties totales auront donc atteint 23 366 hl AP. Restaient en stock au 31 août 2003, 87 538 hl AP, chiffre en légère augmentation de 5 632 hl AP par rapport au précédent exercice. Le chiffre d’affaires au 31 août s’élève à un peu plus de 26 millions d’euros. Les emprunts bancaires au 21 juillet 2003 portent sur une somme de 55 millions d’euros, consacrée dans son intégralité au financement du stock. Le capital social est d’environ 18 millions d’euros (115 millions de F) et les fonds propres de 36 millions d’euros. Depuis cinq ans, la coopérative n’a pas dégagé de complément de prix sur vieillissement. Les reliquats pourraient faire l’objet d’un versement global.