Chais Monnet : Borne témoin du patrimoine industriel cognaçais

12 novembre 2010

Exceptionnels, les chais Monnet le sont à plus d’un titre. Premier témoignage de l’architecture industrielle du Cognac, ils portent la trace d’un illustre Cognaçais, Jean Monnet. Sur la table, un projet touristico-immobilier les concerne. Opportunité ou risque ?

pascale_ordonnaud.jpgIl y va des hommes comme des bâtiments. Parfois tout se passe comme si trop de fées se penchaient sur le berceau. C’est le cas des chais Monnet. En 1840, soit 20 ans avant la révolution industrielle de 1960, un « génial » architecte, demeuré inconnu des historiens, conçoit un bâtiment exceptionnel pour son temps. Son commanditaire, Pierre-Antoine de Salignac. C’est lui-même un personnage hors norme. Aristocrate progressiste, il rassemble 700 viticulteurs charentais pour fonder « la Société des propriétaires viticoles de Cognac », future maison Monnet. Dès le départ, l’objectif est clairement annoncé. Il s’agit de contourner les maisons de négoce traditionnelles pour mieux vendre les eaux-de-vie. L’entreprise, ouvertement capitalistique, ne s’assimile pas à une « utopie sociale » sans le sou. Son million de francs de départ – augmenté par la suite – lui confère les moyens de ses ambitions. Les chais et tout l’équipement qui va autour – comptoirs de réception, tonnellerie – sont conçus d’un jet, telle une « cité idéale ». Sauf qu’il s’agit d’un site industriel ou plutôt pré-industriel, en avance sur son temps. Tout est pensé pour rationaliser au maximum le travail. Après avoir franchi le portail monumental de l’ancienne rue de Pons (rue Paul-Firino-Martell actuelle), les charrettes remplies de barriques d’eaux-de-vie pénétraient dans la vaste cour intérieure. Deux immenses chais de vieillissement, de 1 400 m2 chacun, les attendaient. Les eaux-de-vie étaient alors classées, répertoriées, stockées en fonction des provenances, âges, qualités. Les bâtiments reposent sur des charpentes arrondies de 18 mètres de portée, sans aucun clou ni vis. Les murs sont lisses à l’extérieur, sans aspérités ni présence visible de contreforts. Les contreforts existent mais ils sont placés à l’intérieur du bâtiment. A l’étage, des rails en bois équipent les lourds planchers pour pouvoir rouler les barriques. A ce souci d’ergonomie s’ajoute un sens certain de la beauté « classique ». La symétrie des volumes tutoie le soin apporté aux détails architecturaux. Et que dire du « chai cathédrale » dans le prolongement du site de réception. La déclivité du terrain est mise au service de l’assemblage des eaux-de-vie dans 40 foudres de 260 hl chacun. Au rez-de-chaussée, la mise en caisse puis, plus tard, la mise en bouteille, donnent directement sur la Charente. Car, à l’époque, le fleuve ne présente pas le même profil. La rue des Gabariers (Cognac de Fusigny) est un bras du fleuve ainsi que l’emplacement actuel du Chai de la Vigerie (Martell).

Responsable du tourisme et des affaires culturelles à la Communauté de communes de Cognac, Pascale Ordonnaud est tentée de voir dans les chais Monnet « le premier grand complexe industriel de Cognac ». « Certes, dit-elle, beaucoup d’anciennes et importantes maisons de Cognac existaient déjà mais aucune n’avait rationalisé à ce point le travail. Les chais Monnet sont l’exemple avant l’heure d’une usine intégrée. » Formée à l’histoire de l’art, spécialiste des bâtiments industriels, P. Ordonnaud évoque en résonance des lieux comme la Saline royale d’Arc-et-Senans ou les forges du Creusot. Sauf que le bâtiment de Cognac présente la rareté de se situer dans cette première moitié du 19e siècle (1840) et bien sûr de concerner le Cognac. « A cette époque, poursuit la responsable culturelle, deux tendances cohabitaient pour les besoins de l’industrie : soit réutiliser d’anciens bâtiments religieux, soit occuper des châteaux, pour leurs voûtes et leurs grandes salles (voir château Otard). » La société vinicole, elle, fait le choix de créer un ensemble architectural moderne et monumental, en cohérence avec ses besoins.

« démesuré à l’échelle d’une petite ville »

Et c’est bien là où le bât blesse. Cet ensemble bâti et non bâti est aujourd’hui démesuré à l’échelle d’une petite ville comme Cognac. Qu’en faire ? Après être passés de main en main, les chais Monnet furent cédés par leur dernier propriétaire – la société Hennessy – à la ville de Cognac en 2006. Peu après, se profilait un projet touristico-immobilier porté par un groupe de résidences hôtelières basé à Canet-en-Roussillon, le groupe Cela. Plusieurs fois modifié, recalibré, le projet porterait, en gros, sur un restaurant haut de gamme (dans le chai cathédrale), une centaine de chambres d’hôtel et 200 appartements (dans les chais). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet ne fait pas l’unanimité, l’opposition municipale mettant notamment en doute la capacité financière du groupe Cela.

à l’arbitrage des politiques

Quant à la dimension patrimoniale, elle est forcément sous-jacente, même si elle n’est pas clairement exprimée. Certes, le bâtiment n’appartient pas aux monuments classés mais il est cependant inscrit à l’inventaire Poitou-Charentes. A ce titre, l’architecte des Bâtiments de France doit se prononcer sur le projet. Quels arbitrages attendre des politiques et des gestionnaires, entre d’un côté protection, conservation, valorisation culturelle et de l’autre emplois, capacité d’accueil, développement économique et touristique ? A la clé sont annoncés 40 millions d’€ d’investissement, 130 emplois à plein-temps en régime de croisière. Ceci dit, peut-on se satisfaire de voir cette borne témoin, si originale et unique en son genre, se fondre dans un complexe touristico-immobilier comme il y en a tant ? N’existe-t-il pas des solutions alternatives pour transmettre tout ou partie de ce site aux générations futures ? Au fil des années, les chais Monnet sont devenus, sinon l’arlésienne, du moins un « bébé empoisonné », un « gentil monstre » selon l’expression de Pascale Ordonnaud qui parle encore du site comme « d’un petit biquet attachant ». Mais un « biquet » sur le sort duquel il va bien falloir conclure. Le choix du BNIC d’organiser la « Parts des Anges » dans les chais Monnet ne relevait pas sans doute du hasard. L’expression « prise de conscience » a circulé. Mais, pour paraphraser la formule rituelle de la cérémonie de mariage : « Si quelqu’un a une raison de s’opposer à ce mariage, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais. »

A lire aussi

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Depuis le 1er avril et jusqu’au 15 mai 2024, les télédéclarations de demande d’aides au titre de la campagne 2024 sont ouvertes.Voici tout ce qu’il faut savoir pour préparer au mieux sa déclaration.

La Chine et le cognac : un amour inséparable

La Chine et le cognac : un amour inséparable

Avec plus de 30 millions de bouteilles officiellement expédiées en Chine en 2022, la Chine est le deuxième plus important marché du Cognac. De Guangzhou à Changchun, ce précieux breuvage ambré fait fureur. Plutôt que se focaliser sur les tensions actuelles, Le Paysan...

error: Ce contenu est protégé