Cépages résistants : Vincent Pugibet : Viticulteur, expérimentateur, sélectionneur

22 décembre 2016

Près de Béziers, en Languedoc, le domaine La Colombette expérimente depuis vingt ans les cépages résistants aux maladies de la vigne. Y sont cultivées une quinzaine de variétés (25 cépages en test), sur 40 ha, ce qui en fait sans doute la plus grande surface d’un seul tenant en Europe. Vincent Pugibet croit aux vertus de la sélection pour obtenir des plantes moins dépendantes aux produits de traitement. Mais pas seulement. « Nous sommes au début d’un grand bouleversement » prédit le président de PIWi France.

Aramon, Carignan…Quand l’arrière grand-père de Vincent Pugibet démarre dans la carrière de viticulteur – maréchal-ferrant, il épouse une fille de la terre – il cultive comme ses collègues de vieux cépages languedociens. Très productifs, ils ne donnent pas toujours le meilleur. Le grand-père mais surtout le père de Vincent, François, connaîtront, eux, la révolution des vins de cépages, celle dite des « cépages améliorateurs », les Syrah, Chardonnay, Sauvignon, Pinot noir…Vincent rejoint le domaine en 1997, il y a presque vingt ans. Il s’est formé à l’ENITA de Bordeaux mais son mémoire de fin d’étude, il le fait à l’Agro de Montpellier. Pour l’anecdote, sa salle d’étude côtoie le bureau de Jean-Michel Boursiquot. En 2006/2007, père et fils cherchent à agrandir l’exploitation. Se présente l’opportunité d’acquérir un domaine en bio. Le bio, V. Pugibet n’en est pas très fan. « Le cuivre, le souffre… ». Des copains de l’agro. lui parlent des cépages résistants aux maladies (mildiou, oïdium). D’abord septique, il découvre l’univers et plonge dedans. « J’ai trouvé ça génial !». «Tranquillement », il plante 15 ha de nouvelles variétés de cépages monogéniques puis davantage. La plupart des plants sélectionnés proviennent de Suisse, d’Allemagne. « Les résultats étaient bons. Techniquement, ça tenait la route ». Au départ, il ne se préoccupe  pas trop de l’aspect réglementaire. A-t-il le droit ou non de commercialiser ces vins ?  « Honnêtement, je ne m’y suis pas attardé. Aujourd’hui, beaucoup d’articles paraissent sur le sujet mais, il y a dix ans,  toute la profession était un peu formatée pour considérer les hybrides comme le diable en personne. Vade rétro ! Avec la nouvelle génération d’hybrides, il nous fallait d’abord convaincre que des cépages résistants pouvaient faire de bons vins. » Malgré tout, la réglementation le rattrape. FranceAgriMer, le Ministère de l’agriculture sont opposés à la mise sur le marché. « Vous ne pouvez pas vendre ces vins, pour la bonne et simple raison que les cépages   ne sont pas inscrits au catalogue français des variétés de vigne de raisins de cuve. » Effectivement, ils ne le sont pas. S’en suit une longue discussion…et un retour vers les textes européens. Que dit le règlement 1308/2013 de l’UE régissant l’expérimentation ? L’article 1 confirme que l’on ne peut faire du vin qu’avec des variétés inscrites au catalogue. Mais un autre article un peu plus bas signale « qu’à titre expérimental, des variétés non inscrites, non classées, peuvent être cultivées et les vins commercialisées ». Certes les vins ne seront pas vendus en IGP ou AOP mais pourront l’être en Vins de France. Tous les ans, sur sa déclaration de récolte, V. Pugibet indique donc – « parcelles expérimentales ». FranceAgriMer, les Douanes toussent un peu mais ça passe. Hélas pour les tenants des cépages résistants !

 

Décret du 15 décembre 2015

 

Le 30 décembre 2015, les autorités publient un décret suivi d’un arrêté, le 9 mai 2016. Dans son article 4 l’arrêté prévoit de limiter la superficie d’expérimentation « de variétés de vignes en vue de leur introduction dans le classement des vignes à raisins de cuve » à 20 ha par variété et par bassin viticole. L’expérimentation ne pourra excéder une durée de 15 ans. Colère des viticulteurs concernés. Pour déminer la grogne, le ministère propose en janvier 2016 la création d’un groupe de travail au sein du CTPS (Comité permanent technique de la sélection). Des conclusions sont rendues lors du CTPS du 29 octobre 2016. Elles ne satisfont pas les protagonistes. Le lobbying se poursuit au sein de PIWi France (voir plus loin).

 

Programme de sélection 

 

Depuis 5 ou 6 ans, Vincent Pugibet a rajouté à sa casquette de vigneron expérimentateur celle de sélectionneur. Sur place, un salarié permanent s’occupe du travail de croisement. Le programme de sélection s’articule autour de trois branches : une branche cépages locaux, qui consiste à recroiser des cépages locaux « avec les meilleurs des cépages résistants » ; une branche importante  sur l’augmentation de la résistance de lignées dont la vocation n’est pas forcément la production ; une branche visant la sélection de gros producteurs, plus tournés vers les jus de fruit etc.

Innovation variétale, recherche privée / recherche publique, technique du croisement, variétés monogéniques / polygéniques, viticulture durable, réduction des traitements, utilisation de la sélection à d’autres fins que la résistance aux maladies (temps de récolte, mécanisation, adaptation au stress hydrique), PIWi international, PIWi France…la viticulture de Béziers aborde toutes ces thématiques.

 

Variétés monogéniques / polygéniques : « la recherche institutionnelle souhaite clairement freiner l’expérimentation des variétés monogéniques. Pourquoi ? Pour des raisons politiques d’abord. Le budget de l’Agence nationale pour la recherche se rattache directement aux programmes sur les variétés polygéniques. Ainsi reconnaître l’intérêt des variétés monogéniques serait , quelque part, pour les chercheurs scier la branche sur laquelle ils sont assis. Bien sûr existe aussi des fondements plus scientifiques. Ils ont trait aux fameux « contournements » de la résistance. En présence de plusieurs gènes de défense, il serait moins facile de contourner la résistance qu’en présence d’un seul gène, comme sont censés être les variétés monogéniques. Or désigner le gène de la résistance comme le plus petit dénominateur commun me semble abusif. Aujourd’hui, on parle plus volontiers d’une localisation, d’un « locus ». Selon les individus, une zone donnée va recéler tout un tas de gènes secondaires qui vont pouvoir favoriser la résistance. Ainsi, un individu qui semble monogénique ne le sera pas tant qu’on le dit. Et, inversement, les variétés polygéniques ne sont peut-être pas le rempart que l’on nous présente.

 

L’œil du vigneron : En gros, il existe, pour le mildiou, une douzaine de gènes de résistance, 7 / 8 pour l’oïdium. Au lieu de tout miser sur le séquençage génétique et les « marqueurs », il me semble plus intéressant de voir comment les plantes possédant le même patrimoine génétique se comportent sur le terrain. Faisons confiance à l’œil du vigneron, à un certain empirisme. A la limite, ce qui me paraît dangereux, c’est  de fonder toute la sélection sur deux ou trois gènes de résistance .

Ne soyons pas maximalistes – Tout se passe comme si l’on devait tendre vers le zéro traitement, vers la résistance complète. Mais est-ce vraiment le but ? Si, de 14 ou 15 traitements, les applications pouvaient tomber à 4 / 5, ce serait  déjà très bien. Parvenir à une meilleure tolérance à la maladie représenterait un super-progrès. Ce qu’il faut, c’est lancer la mécanique, que l’ensemble de la filière prenne conscience de cette nouvelle voie. Que l’on se dise qu’une autre viticulture est possible.

 

Royalties : Je compare les gens qui font de la création variétale en vigne à des « artistes bannis ». Ils consacrent  30 ou 40 ans de leur vie à la recherche sans jamais de réels succès commerciaux. Si l’on veut développer un cercle vertueux, il faut accompagner cette recherche privée. Or que se passe-t-il en France ? L’ENTAV, l’INRA, l’IFV perçoivent des royalties sur tous les plants qui se vendent. Derrière le discours sur les monogéniques, se cache la défense d’un monopole.

 

OGM : Avec la sélection d’hybrides monogéniques, nous ne sommes pas dans les OGM. Nous repassons par l’étape de la reproduction sexuée de la vigne, le pollen, le pistil, afin de  régénérer les individus. Chaque pépin sélectionné, chaque lignée est une lignée totalement unique et différente d’une autre. A ce titre, c’est vrai qu’elle  ne donnera jamais un « pur Chardonnay » ni un « pur Pinot noir ». Un débat existe sur le sujet avec l’IFV. Pour obtenir un « vrai » Chardonnay, un « vrai » Pinot noir, l’Institut préfère pratiquer la transgenèse, c’est-à-dire sélectionner un gène résistant et l’introduire dans du Chardonnay, du Pinot noir. Ce que l’IFV considère comme une contrainte – la diversité variétale – je le vois plutôt comme une chance. Si la transgenèse ne conduit pas vraiment aux OGM, elle s’en rapproche.

 

Traitements : Sur l’exploitation, en huit ans, nos lignées n’ont jamais été traitées. Dans le voisinage, les viticulteurs pratiquent sept / huit traitements par campagne.

 

Rendements : Nos rendements, n’ont jamais décroché par rapport à ce que nous connaissions avant. Il nous arrive régulièrement de produire plus.

 

Sélection : Comme ce qui se passe en grandes cultures, en arboriculture, je pense que nous nous dirigeons de plus en plus vers la sélection de nos propres plants. La sélection clonale est par trop limitée.

 

Multiplier les critères : Dans le futur, les critères de sélection vont se multiplier. Nous sommes encore très en retard sur le sujet mais de gros bouleversements nous attendent. Pourquoi ne pas travailler sur l’étalement de la récolte ? Les arboriculteurs nous montrent la voie. L’abricot, un fruit ultra-saisonnier a vu sa saisonnalité passer d’un à trois mois sur une même zone. Même chose pour les pêches dont la période de récolte s’étale dorénavant sur cinq ou six mois. En viticulture, étaler la date de récolte permettrait de réduire la taille des machines, de s’adapter au climat. Même chose pour la mécanisation avec le moindre écrasement des baies…

 

PIWi international – En allemand, PIWi est l’acronyme du mot Pilzwiderstandsfähig  qui, littéralement, veut dire « capable de résister aux champignons ». L’association est née dans le Valais Suisse, plutôt parmi le monde des bios et même des très très verts, proches des bios allemands un brin intégristes. Pour ces gens, le recours au cuivre, au soufre constituait un vrai problème. Ils ont donc commencé à s’intéresser aux gènes de résistance. L’association a ensuite bougé et s’est rapprochée du père du Souvignier  gris en Allemagne. Elle a reçu l’appui de certains landers et notamment celui de Fribourg. Nous, viticulteurs français, avons intégré l’association avec l’idée d’échanger sur nos pratiques au sein d’un réseau, de participer  à ses salons commerciaux…Seule petite contrainte, la langue. A PIWi, on est très germanophone (sourire).

 

PIWi France – La branche française de PIWi a été lancée en 2016, essentiellement pour mener un travail de lobbying auprès des pouvoirs publics. J’en suis le président, sans doute pour mon côté précurseur mais ça n’est pas une vocation. Le conseil d’administration compte trois vice-présidents : Sonjà Geoffray-Baumann, viticultrice dans le Beaujolais, fille de Hans-Peter Baumann, le pionnier des cépages résistants dans le Valais Suisse ; Jérémy Ducourt, œnologue auprès des vignobles Ducourt (450 ha) dans le Bordelais ; Patrice Barsac, ingénieur-formateur. C’est notre spécialiste des questions juridiques. Il s’occupe aussi du développement des petits vignobles franciliens. Depuis quatre ans, toutes les vignes plantées à Paris sont des vignes issues de notre réseau : vignobles de Montmartre, de Bercy…

 

Lobbying : Après le décret du 30 décembre 2015 restreignant le champ de l’expérimentation en France, l’association défend plusieurs objectifs : demander le classement d’urgence de 25 cépages résistants (Souvignier gris, Cabernet blanc, Monarch, , Cabernet blanc, Cabernet Jura…) ; que les autorités acceptent que les cépages figurant dans les catalogues d’autres états membres puissent être directement intégrés dans le nôtre ; ou qu’au moins soit utilisée la procédure du classement temporaire, même si ça n’est pas la solution que nous soutenons.

 

Ailleurs dans le monde : L’université Cornell, dans l’état de New-York, travaille sur la résistance au froid (la résistance au mildiou est une conséquence de la résistance au froid). Aux Etats-Unis ce sont à peu près les seules recherches conduites sur la résistance en viticulture. Le vignoble de Grand Central Valley jouit d’un climat suffisamment aride pour ne pas craindre les maladies. Au Brésil, les recherches s’intéressent à un croisement à base de Vitis Caribbean. Il s’agit d’ailleurs d’une piste très prometteuse, même pour nous. La Chine investie également beaucoup sur la résistance au froid avec de gros moyens à la clé. En Europe le « pape » de la nouvelle génération de cépages résistants est un hongrois, Pal Kozma. A partir des vieux cépages français, des cépages italiens, suisses, allemands, l’idée de Pal Kozma a été de croiser ces cépages avec des cépages russes. Les russes ont beaucoup travaillé sur l’hybridation avec Vitis amurensis. C’est la grosse voie en Europe. Il faut parler des variétés azerbaïdjanaises (Vitis vinifera orientalis) pour la résistance à l’oïdium et bien sûr des travaux d’Alain Bouquet, chercheur à l’INRA, sur des cépages « supposés » monogéniques résstants à l’oïdium et au mildiou.

 

Nouvelles attentes : La sélection privée de plants résistants va prendre du temps mais elle se fera. Les viticulteurs sont pêts. Quand ils entendent les reproches que leur adresse la société, ils ont envie de planter, de se situer dans une approche plus agroécologique.

 

 

 

   Création d’un nouveau cépage : Les différentes étapes

 

 

 

« Tuto » extrait du site internet Domaine La Colombette – http://www.lacolombette.fr/

 

 

 

Etape 1 – Choix des critères : Les deux parents sont sélectionnés en fonction des critères choisis pour être transmis à la descendance (résistance aux maladies, bon potentiel œnologique…)

 

Etape 2 – Castration des fleurs : sachant que la vigne cultivée est hermaphrodite monoïque, la fleur de la vigne porte à la fois les organes sexuels mâles (étamines) et femelles (pistil). Pour obtenir le parent femelle, il faut castrer les fleurs. Quelques jours avant la floraison, les étamines sont retirées à la pince pour ne conserver que le pistil. La préparation d’une grappe réclame environ deux heures.

 

Etape 3 – Pollinisation : La grappe est ensuite protégée par un sachet jusqu’à ce que le pistil arrive à maturité. A ce stade, on pollinise avec du pollen recueilli sur le parent mâle et la grappe est de nouveau ensachée, pour la prémunir de toute contamination.

 

Etape 4 – Extraction des pépins : au mois de septembre, récolte des grappes, extraction des pépins.

 

Etape 5 – Semis des pépins : les pépins, conservés avec soin tout l’hiver, seront semés au printemps.

 

Étape 6 – Observation  : débute alors un long travail d’observation et de sélection. La première année, toutes les parcelles présentant des symptômes de maladies sont éliminées (entre 80 et 90 % des individus). Les plus résistants vont être repiqués.

 

Etape 7 – Observation bis : Le suivi de la fructification conduit à arracher les individus stériles. Pendant 5 ans on va : privilégier les grappes bien structurées – éliminer les goûts désagréables – observer le type de port (érigé ou retombant), la cuticule des feuilles (cirée ou poilue). A partir de là, seront conservés quelques individus, multipliés ensuite par greffage. Objectif : obtenir une dizaine de plants pour les tester en microvinification. A nouveau, le pas de temps est d’environ 5 ans, soit environ un délai de 10 ans pour disposer des premiers résultats.

 

Etape 8 – Expérimentation  : C’est la phase d’expérimentation en plein champ. Sont plantés quelques ha dans diverses conditions, afin de confirmer le potentiel ; tester la capacité d’adaptation au travail courant  ; aux diverses méthodes de vinification ; l’acceptation par les consommateurs…Cette étape prend encore quelques années. Peut alors être abordée l’étape de l’inscription de la variété dans les catalogues officiels.

 

Au total, sélectionner une variété prend de 15 à 20 ans à compter de l’étape de la reproduction sexuée.

 

 

 

 

 

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