« Le Paysan Vigneron » – Souhaitez-vous participer au renouvellement des membres du Bureau national du Cognac ?
Christian Sorin – Nous avons senti des odeurs, une cuisine est en train de se préparer et nous voulons aller voir de quoi il s’agit. Et comme, apparemment, l’on cherche à faire une place au nouveau syndicat SVBC, on s’est dit pourquoi pas nous ! Si d’autres rentrent, je ne vois pas pourquoi nous ne rentrions pas aussi. On a un peu sauté sur l’occasion.
« L.P.V. » – La dernière fois, vous avez pourtant renoncé à y aller.
Ch. S. – Souvenez-vous. C’est un peu nous qui avions provoqué ces élections. A l’époque, à chaque manifestation nous réclamions à cor et à cri des élections. Malheureusement, à un moment donné il a bien fallu convenir que le test ne serait pas démocratique. Que tout le monde ne pourrait pas voter. Qui plus est, le projet de Plan d’adaptation se dessinait et il n’était pas question qu’on le cautionne. Aujourd’hui, c’est un peu la même chose avec l’INAO. Va-t-on laisser la brebis galeuse s’introduire dans la place ? Cette région, réputée pour son libéralisme, fonctionne comme un système totalitaire. L’INAO est en train de s’imposer sans que personne n’ait été consultée. Ce ne sont pas cinq ou six réunions, suivies par cinquante gars, qui peuvent faire office de consultation. Si l’on a pas les moyens de mettre en place quelque chose d’équitable, qu’on laisse au moins les gens tranquilles. Qu’ils se débrouillent. Mais là, on est en train de les affamer. Jean-Marc Olivier, de la société Courvoisier, a raison quand il dit que l’on va devoir faire tourner une seconde boutique. Surtout qu’une fois l’INAO installé, le B.N. ne servira plus à rien. Mon opinion, c’est que le B.N. sera mort dès que l’INAO se mettra en place. C’est quand même assez paradoxal de voir qu’un seul syndicat de défense va représenter tout le monde. Dans des pays totalitaires, ça se comprend mais chez nous ! En tout cas, en ce qui nous concerne, il n’est pas question qu’on se fonde dans la masse. Le CDVC-MODEF gardera son identité pour la défense de la viticulture.
« L.P.V. » – Pourquoi un tel dénigrement de l’INAO ?
Ch. S. – L’INAO comme l’ONIVINS sont des officines de la FNSEA. En réalité, ces gens-là sont gérés par la Fédérations des exploitations, qui bloque tous les pouvoirs. Nous sommes contre, farouchement contre cette immixtion de l’INAO dans la région et l’on se battra jusqu’au bout pour s’y opposer. Avec le B.N., c’était quand même notre affaire, nous étions entre gens du Cognac. L’INAO, c’est un business régi par la FNSEA. A-t-on besoin d’eux ? Après tout, c’est à l’acheteur de dire si la camelote est bonne ou pas bonne. C’est celui qui paie qui commande.
« L.P.V. » – Et c’est un syndicat « progressiste » qui dit ça !
Ch. S. – Parfaitement. On va subir un double agrément, celui de l’INAO et celui du négoce. Croyez-vous qu’une fois l’échantillon déclaré inapte par l’INAO, le négoce prendra le risque de l’acheter. Ce sera niet de son côté aussi, même si l’eau-de-vie lui plaît.
« L.P.V. » – L’INAO ne peut-il pas jouer comme une sorte de contrepoids ?
Ch. S. – Au lieu de s’occuper des problèmes de fond de la région – l’équilibre des volumes – on dévie la question. Mais je vais vous révéler la vraie raison pour laquelle l’INAO arrive dans la région. C’est pour essayer de contourner le problème du dépassement de la QNV. Le B.N. n’a pas le pouvoir de le faire. Alors, avec l’INAO, on essaie de trouver un moyen pour y parvenir. Cependant, ce n’est pas encore fait. Le CDVC-MODEF s’apprête à déposer une plainte à la Commission européenne contre la mise en place d’un système INAO à Cognac. Car le Cognac n’est pas un produit agricole mais un produit industriel et, jusqu’à preuve du contraire, l’INAO n’a pas vocation à s’occuper de produit industriel. Nous avions cette arme sous le coude depuis plusieurs années mais nous avions laissé courir. Quand le danger de l’INAO s’est précisé, au mois de février-mars, nous avons décidé de réagir car la situation devenait dangereuse.
« L.P.V. » – N’y a-t-il pas une certaine contradiction à défendre le caractère industriel du Cognac alors que vos pairs ont passé leur temps à défendre l’idée des quotas agricoles ?
Ch. S. – Si l’on était capable de mettre en place des quotas, qui feraient vivre décemment les viticulteurs, j’applaudirais des deux mains. Sur le fond, le CDVC-MODEF reste toujours favorable à la répartition. Si, demain, les négociants achetaient à tout le monde 7 hl AP, payés 7 000 F l’hl AP, bien sûr que ce serait formidable. Simplement, en 1997-1998, on a très bien vu que l’on arriverait à rien. Que l’on était en train de s’épuiser à lutter contre un système libéral qui laissait aux négociants toute latitude d’acheter là où ils voulaient alors que l’on ne cessait de nous imposer des contraintes. A partir de là, on s’est dit que, pour survivre, on pourrait peut-être employer les mêmes armes que les négociants, c’est-à-dire le tout libéralisme.
« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par là ?
Ch. S. – A partir du moment où les négociants sont d’accord pour nous acheter notre camelote, on n’a de compte à rendre à personne. Allait-on crever à vendre 6 hl à 2 500 F ? On voyait des gens abandonner le métier. Pour nous, c’était hors de question. On ne baisserait pas les bras. Aujourd’hui, on ne se plaint pas. Si j’ai une fierté, c’est d’avoir sauvé des gars qui, sans le dépassement de QNV, ne seraient plus là aujour-d’hui.
« L.P.V. » – Vous vous situez dans l’illégalité.
Ch. S. – Ce n’est pas notre avis. Nous considérons que nous sommes dans notre droit.
« L.P.V. » – Vous profitez du système. C’est parce que des gens respectent la QNV et jouent le jeu de la maîtrise des volumes que vous pouvez vendre votre marchandise.
Ch. S. – Depuis quelques années, les quotas se sont raréfiés un peu mais avez-vous vu les prix monter beaucoup ? En même temps que les syndicats viticoles discutaient entre eux, il fallait discuter avec le négoce.
Mais à chaque fois que l’on allait manifester à Cognac, il fallait surtout pas passer devant les maisons de négoce. C’est assez drôle aujourd’hui de voir les viticulteurs les plus libéraux plaider pour davantage de contraintes. Et puis n’allez pas croire que le prix des eaux-de-vie flambe sur le second marché. En début de campagne, le vin Cognac se vendait 20 F le °hl et même si l’eau-de-vie à pris 200 à 300 F ces derniers temps, ce n’est pas le Pérou. On est pas loin de vendre en dessous du coût de production. Il ne faut pas nous faire croire que la crise est derrière nous, surtout en présence des nouvelles conditions d’achat. En 1997-1998, quand nous avons pris la décision de ne plus respecter la QNV, nous n’avions plus rien à perdre. Les eaux-de-vie se négociaient autour de 2 500-2 600 F l’hl AP. Elles ne pouvaient pas descendre beaucoup plus bas. Aujourd’hui, si les cours ont un peu remonté, il n’y a pas de quoi pavoiser.
« L.P.V. » – Avec les rendements différenciés prévus dans le système INAO, n’y a-t-il pas une opportunité de retrouver de la trésorerie ?
Ch. S. – Des jus de raisin payés 10 F, même à 180 hl/ha, cela ne fait toujours que 18 000 F/ha de revenu. Certains voudraient se réserver le marché du Cognac pour eux, laissant aux autres le soin de vivre des débouchés industriels. Il ne faut pas être gênés. Et après, on veut nous faire passer pour les grands méchants loups !
« L.P.V. » – Vous ne pouvez pas nier que vous pratiquez la politique de la terre brûlée. Sauve qui peut, après moi le déluge ! N’y a-t-il pas dérive par rapport à votre engagement syndical de départ ? Quelle belle réussite si toutes les eaux-de-vie tombent un jour au prix du second marché.
Ch. S. – Le négoce s’est toujours employé à jouer la division à l’intérieur de la viticulture. Peut-être faut-il en passer par là, pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité, d’où pourra jaillir une plus grande solidarité entre viticulteurs. Il est permis de rêver.
« L.P.V. » – Que représentez-vous ? Lors des dernières manifestations, les troupes du MODEF semblaient bien effilochées ?
Ch. S. – On ne le cache pas. C’est vrai que sur les dix dernières années, nous avons vu disparaître pas mal de petits viticulteurs qui constituaient tout de même le gros de nos troupes. Mais chez les autres, ce n’est pas plus brillant. A moins de bluffer, on aura du mal à soutenir que les adhésions syndicales vont croître et prospérer. Les grandes troupes, c’est finie.
« L.P.V. » – A part quelques coups de gueules dans les A.G. des autres formations syndicales, on n’a guère entendu le MODEF ces dernières temps.
Ch. S. – Je vous l’ai dit, il y a cinq ou six ans, le constat a été fait que l’on s’épuisait à vouloir changer les choses par la parole. Alors nous avons arrêté de faire du bruit pour passer à un travail plus en profondeur, qui ne transparaît pas forcément dans les médias.
« L.P.V. » – Le jeune président national du MODEF affiche une volonté de transparence et de dialogue. N’y a-t-il pas opposition entre votre approche et la sienne.
Ch. S. – Je n’y vois aucune incompatibilité. En Charente-Maritime, le MODEF a une position très ouverte vis-à-vis de la Chambre, de la DDA. Je le sais parce que j’y participe. Cela n’exclut pas des débats musclés mais on peut prendre les choses plus à la rigolade. Par contre le CDVC-MODEF, confronté à la misère des gens, a une attitude plus radicale. Il ne faut pas trop s’en offusquer.
« L.P.V. » – Vous ne regrettez pas de prôner l’illégalité même si vous déniez ce terme d’illégalité ?
Ch. S. – Le négoce profite bien d’un système libéral. Comment pourrait-on nous critiquer d’employer les mêmes armes.