Un recentrage environnemental et territorial

19 mars 2009

La Rédaction

Le CAD nouveau est arrivé (ou presque) et nourrit des rapports assez lointains avec le CTE : plus de contrat type par filière, plus d’accès à « guichet ouvert », une enveloppe réduite, des enjeux prioritaires et surtout un recentrage environnemental qui vise à circonscrire les CAD à des territoires bien identifiés. Dans ce nouveau dispositif, quelle peut être la place de la viticulture ?

Le décret créant les CAD (contrats d’agriculture durable) est sorti courant d’été ainsi qu’un projet de circulaire d’application. Manque cependant l’essentiel : l’arrêté ministériel fixant les modalités financières ainsi que les enveloppes qui en découlent. Ces éléments étaient attendus fin août, le ministère parle maintenant de novembre. Si tel était le cas, les premiers CAD pourraient voir le jour au printemps 2004. Sauf que des rumeurs laissent entendre que les CAD ne seraient pas inscrits dans la loi de finances 2004 et qu’il faudrait attendre 2005 ! En fait, à ce jour, la seule chose que l’on sache… est que l’on ne sait rien. Pourtant, les professionnels doivent bien se mettre en ordre de marche, pour avoir des chances d’être prêts au jour J. En Charente, le 16 septembre dernier, une CDOA (commission départementale d’orientation agricole) s’est réunie sur le thème des CAD, en présence du préfet. La Charente-Maritime a elle aussi évoqué les CAD au cours de ses deux dernières CDOA, en septembre et en octobre, une fois pour définir les grands enjeux environnementaux du département et l’autre fois pour entrer dans le vif du sujet avec le contrat type marais.

Par rapport aux anciens CTE (contrats territoriaux d’exploitation), les nouveaux CAD répondent à une logique assez radicalement différente. Exit les objectifs économiques, voire sociaux. On ne parle plus filières mais uniquement environnement. C’est l’orientation souhaitée par le ministère de l’agriculture, en accord avec la profession, au moins au plan des principes, avant la déclinaison dans les départements. Le dispositif vise à identifier des enjeux environnementaux prioritaires sur des territoires bien précis. L’idée est d’éviter la dilution et le saupoudrage, afin d’améliorer l’efficacité des actions… et peut-être aussi pour s’adapter à des enveloppes revues à la baisse. On a dit du CTE qu’il avait été tué par le non-encadrement budgétaire. Grâce au mécanisme du « guichet ouvert », des exploitations ont pu profiter de sommes assez considérables. Cette fois, le ministère a veillé au grain et souhaité « border » strictement le mécanisme. D’ores et déjà il est prévu que les CAD ne puissent pas dépasser dans les départements une moyenne de 27 000 e par exploitation, en cumulé sur 5 ans, volets socio-économique et agri-environnemental compris (1). Certains syndicats souhaiteraient même que cette moyenne soit considérée comme un plafond. Dans le même temps, d’autres font remarquer qu’eu égard aux sommes en jeu – environ 36 000 F par an et par exploitation – et comparativement aux contraintes, ce dispositif s’assimile plus à un « gadget » qu’à un acte fort. Sans parler de l’affectation des enveloppes. Car le nouveau contrat d’agriculture durable pose une question fondamentale, celle de l’éligibilité. Avec les anciens CTE, tous les acteurs d’une filière – viticole, ovine, caprine, bovine, céréalière… – pouvaient prétendre à souscrire un CTE, à condition de répondre à certains critères économiques et environnementaux définis dans leurs contrats types respectifs. Rien de tel avec le CAD. Les portes d’entrées sont uniquement environnementalo-territoriales et par définition, tout le monde n’occupe pas le même territoire. Confirmation de l’administration : « il est clair que l’on ne fera pas de CAD partout, au moins dans un premier temps ».

Qualité de l’eau et biodiversité

En 16 et en 17, qualité de l’eau et biodiversité ont été retenues par les CDOA comme les deux grands enjeux environnementaux prioritaires. Mais le parallèle s’arrête là. En matière de contrat d’agriculture durable, chaque département exprime des sensibilités différentes. La Charente-Maritime semble plus « synchro » avec l’esprit du texte alors que la Charente manifeste quelques velléités d’indépendance. La raison tient peut-être tout simplement à la réalité du terrain. Le département côtier connaît pour l’heure un indéniable tropisme « marais », à la fois côté Administration et côté syndicalisme agricole. Ceci s’explique par l’historique des OLAE (opérations locales agro-environnementales), considérées comme la poche de survie des agriculteurs du secteur. Ces OLAE furent remplacées par les CTE, eux-mêmes relayés par les CAD. D’où une focalisation de la profession pour sortir au plus vite le contrat type « marais ». En attendant, a été décrochée à titre un peu exceptionnel une mesure transitoire sur 2003-2004, l’EAE pour engagements agri-environnementaux. Question que d’aucuns se posent : quand les marais salants, les marais conchylicoles, les marais humides des vallées auront consommé l’enveloppe CAD, que restera-t-il pour les autres zones ? D’autant qu’en Charente-Maritime on semble assez d’accord pour se rapprocher de l’esprit du dispositif : concentrer les actions sur des « zones prioritaires », dégagées en CDOA. En ce qui concerne la biodiversité, il s’agit essentiellement des marais (qui composent l’essentiel des zones Natura 2000 dans le département) ainsi que des zones à outardes et de l’apiculture. En ce qui concerne la qualité de l’eau, l’accent a été plus particulièrement mis sur les bassins d’alimentation en eau potable. « Il y aura des CAD là où existera une conjonction entre l’intérêt environnemental et la mobilisation des acteurs sur le terrain » dit-on à la Chambre d’agriculture. Exprimé en d’autres termes : « ça se mettra en place là où des acteurs se bougeront ». Partout où ils se bougeront ? Si la DDAF 17 est bien d’accord pour dire que la désignation « a priori » de zones prioritaires semble un peu factice « car on ne décrète pas la motivation des gens », elle défend quand même l’idée selon laquelle « les démarches collectives devront être rattachées à un enjeu environnemental pertinent ». Et de recourir à une démonstration par l’absurde : « par exemple, en reconnaissant comme indispensable une démarche collective pour la préservation du surmulot dans le canton de Saint-Agnant, on ne serait pas bon » ! La profession ne conteste pas l’interprétation de la DDAF.

La charente en franc-tireur

1028_42.jpeg« Il n’y aura pas de zones prioritaires pour mettre en place un CAD en Charente. » Cette position, en décalage évident par rapport à l’esprit du CAD, les professionnels charentais « de l’intérieur » la revendique comme un acquis syndical fort. Ils disent s’être « bagarrés avec l’Administration » pour l’obtenir. Cela ne signifie pas que n’importe qui pourra signer un contrat d’agriculture durable en Charente mais « l’accessibilité de tout agriculteur à un CAD sera possible à condition de respecter certaines conditions ». Ces conditions, quelles sont-elles ? Daniel Carnecialli, de la Chambre d’agriculture 16, les décline, telles qu’elles ont été décidées lors de la CDOA du 16 septembre dernier. Il envisage deux situations : soit l’exploitation se situe sur un territoire bien identifié, type Natura 2000 ou périmètre de captage comme Lavaux mas Chaban, et auquel cas elle a toute légitimité pour s’inscrire dans un CAD (après validation du contrat type du territoire donné par la CDOA) ; soit l’exploitation n’appartient pas à ce genre de périmètre et, à ce moment-là, c’est la démarche collective qui prend le relais. Dans une zone bien définie, un groupe d’agriculteurs pourra mettre en place un contrat type CAD, sur la base – tout de même – d’un enjeu environnemental. Comme enjeu environnemental, est cité à titre d’exemple celui d’un bassin versant (2), pour rester en cohérence avec le thème de la qualité de l’eau. Une fois ce contrat type approuvé par la CDOA, rien n’empêchera un agriculteur individuel de se « raccrocher » au contrat type élaboré collectivement par ses collègues.

Portion congrue pour la viticulture

Et la viticulture dans tout cela ? L’activité viticole n’est pas exclue « de facto » des CAD mais à condition de s’intégrer dans des périmètres qui ne seront pas les siens ou, plus exactement, dont la maîtrise des contours dépendra d’objectifs environnementaux, sans rapport direct à la viticulture. En d’autres termes, la viticulture ne sera pas à même de constituer une porte d’entrée, pas plus d’ailleurs que les autres spéculations agricoles. Car, pour les CAD, c’est le territoire qui commande. Par contre, on imagine très bien qu’une mesure agri-environnementale comme l’enherbement viticole puisse s’intégrer sans difficulté dans un contrat type visant à améliorer la qualité de l’eau. Autre conséquence de ces nouvelles dispositions : tous les viticulteurs ne seront pas égaux devant le CAD, selon le contrat type qui régira – éventuellement – leur territoire. Au raisonnement transversal applicable habituellement à la viticulture charentaise, va-t-on voir se substituer un raisonnement « en tache de léopard » ? Pire, une production aussi importante que la viticulture pourrait-elle passer totalement à côté des CAD ? Peut-être pour retrouver une partie de cette « transversalité » chère à la filière viticole et surtout tenter de « raccrocher » les viticulteurs, Yves Dubiny, qui siège à la CDOA 17 au titre de la Confédération paysanne, a lancé une idée : se servir de la lutte contre les ravageurs (essentiellement les vers de la grappe) et surtout des périmètres de confinement exigés par la confusion sexuelle pour définir des zones naturelles éligibles dans le cadre des CAD. Des expériences existent en Suisse, en Alsace. Dans la région et à une échelle moindre, un petit essai est conduit à Macqueville, en pays bas de Cognac. Si la piste n’est pas rejetée d’emblée par l’administration, on attend de voir émerger des projets et, dit-on, « une expertise environnementale sérieuse reste encore à faire », même si la lutte biologique conduit inévitablement à moins d’insecticides dans l’eau.

Perçus comme « moins ambitieux que les CTE », les contrats d’agriculture durable paraissent surtout d’un maniement beaucoup plus complexe. « L’appel à projet » s’inscrira au cœur du système, notamment dans les zones « grises », à l’enjeu environnemental moins marqué. Et qui dit appel à projet dit implication forte, dépense d’énergie, de temps et donc d’argent. « La balle est complètement dans le camp des professionnels » note un bon observateur. Question : les agriculteurs auront-ils envie de saisir la balle au bond ?*

(1) Si les nouveaux CAD comportent toujours deux volets – un volet socio-économique et un volet agri-environnemental – les mesures se recentrent. Dans le volet agri-environnemental par exemple, l’agriculture ne pourra pas choisir plus de trois mesures par enjeu environnemental (au minimum une et au maximum trois). Au plan socio-économique, les mesures primables restent à peu près les mêmes que dans les anciens CTE : qualité de la production, diversification, qualité du travail, emploi…

Quelques réactions aux CAD

En fonction « du peu qu’ils en savent », plusieurs agriculteurs livrent leurs premières impressions sur le CAD. Avis plus que mitigé.

l « J’ai un peu l’impression que le CAD a été plus ou moins imposé par Bruxelles, pour assurer une continuité environnementale aux CTE. Si le contrat d’agriculture durable ne s’adresse pas aux filières économiques, je ne vois pas très bien son intérêt sinon de repeindre en vert l’agriculture mais alors d’un vert très clair, dilué avec beaucoup d’eau, car il n’y a guère de moyens derrière. »

l « Ou des incitations financières existent en faveur de l’environnement ou alors il s’agit d’obligations et, dans ce cas-là, on n’a pas besoin d’échafauder un CAD. Une loi suffit. »

l « Plutôt que d’aider les agriculteurs avec des CAD, un système bien plus simple consisterait à adopter de vrais prix rémunérateurs. Et quand bien même ces prix généreraient des différences entre agriculteurs en fonction de leurs surfaces, l’impôt sur le revenu réglerait le problème. Il est là pour cela. »

l « Les CAD reflètent un faux néolibéralisme sur lequel le marché s’étend et s’étale toujours dans le mauvais sens. »

 

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