Signer un registre, revêtir une combinaison blanche en non tissé et les chaussons qui vont de pair… c’est le protocole « clinique » qui vous attend quand vous voulez mettre un pied sur le site de production des Bouchages Delage, à Gensac-la-Pallue, près de Cognac. L’entreprise est certifiée ISO 22000, une norme internationale connue, relative à la sécurité des produits alimentaires. « C’est une garantie pour nos clients, dont certains adhèrent à la même norme. »
C’est peu dire que la société a beaucoup évolué depuis sa création, le 1er avril 1941. C’est la grand-mère de Christian Delage qui, pendant la guerre, fonde l’entreprise. Originaire de Barbaste, petite commune proche de Nérac, en Lot-et-Garonne, cette « femme de tête » travaillait déjà dans le liège avent de venir à Cognac. Salariée d’une entreprise de bouchage, elle monte très vite son affaire. Le domicile de la rue Plumejeau à Cognac, en face de l’imprimerie Litho-Bru, lui sert d’atelier. A la fin des années 50, son fils Jean prend la suite. Il développe l’activité et démarre notamment toute la partie « injection plastique », très peu répandue à l’époque. Jusque dans les années 60, les têtes de bouchons étaient en bois. J. Delage s’investit beaucoup dans la plasturgie et construit en 1967 l’usine de Gensac. Christian Delage se souvient d’un « no man’s land » où quelques rares entreprises commencent à s’implanter : Unicoop, les chais Augier, qui deviendront ensuite propriété de Martell. Sur cette RN 141 qui longe l’usine, Jean Delage décédera en 1990 d’un accident de voiture. Il n’avait pas 58 ans. Son fils reprend la société et rachète très vite les parts à sa famille. En juillet 1991, il devient « seul responsable des succès comme des échecs ». L’entreprise reste à ce jour totalement familiale.
Si le liège a toujours représenté le « fonds de commerce » de l’entreprise, son image de marque, l’activité est bien plus diversifiée qu’il n’y paraît. D’abord, il y a fort longtemps que la société ne réalise plus elle-même « l’arrondi » du bouchon, l’opération qui consiste à rendre le liège cylindrique, en le mettant aux cotes – aux dimensions – de la bouteille ou de la carafe. Cette transformation du liège est intégralement confiée aux sous-traitants de la société au Portugal. Ils possèdent l’équipement ad hoc pour maîtriser les problèmes de poussière et de lavage (pas une mince affaire semble-t-il). A noter que deux collaborateurs de la société résident en permanence au Portugal pour transmettre les commandes, vérifier, contrôler.
Gensac reçoit les bouchons liège en « balles », de grands sacs stockés dans un local à température et humidité contrôlées. L’usine prend alors en charge le travail de finition. Cette opération importante consiste à appliquer un traitement de surface au bouchon (paraffinage), pour faciliter le glissement et protéger le liège. Ce paraffinage s’effectue dans des tambours un peu souples.
Pendant ce temps, à l’autre bout de l’usine, dans un bâtiment neuf construit en 2005, c’est de plasturgie dont il est question. Objectif : sortir des têtes de bouchons qui, pour les plus capées d’entre elles, s’appelleront Prestige, Excellence, Elégance. Car, à côté de la mise en œuvre des modèles exclusifs des clients, la société propose aussi sa propre gamme de têtes de bouchons. Dans les bureaux installés à Cognac (tout près de la Chambre de commerce), un bureau de R&D (recherche et développement) planche sur la « créa ». Mais revenons à l’usine de Gensac. Sur une même ligne opèrent dix-sept presses à injection plastique. La carotte d’injection, à base de granulats plastique fondus, passe sous presse dans des moules en cuivre. En ressortent d’innombrables têtes de bouchons décorés. Reste l’assemblage qui constitue, paradoxalement, le cœur de métier des fabricants de bouchons. L’opération consiste à assembler le corps et la tête du bouchon. Dans le métier du bouchage, c’est sans doute l’étape la plus décisive, celle qui concentre le maximum de secrets de fabrication et de savoir-faire. Il va falloir utiliser la bonne colle, à chaud ou à froid, pour marier le liège au plastique, le liège au métal, le liège au verre ; la bonne soudure pour souder deux pièces en plastique ou encore deux pièces en métal. On est ici dans un domaine très technique, très pointu, qui mobilise tout un pan de connaissances en chimie, en résistance des matériaux. D’ailleurs le responsable du laboratoire est ingénieur chimiste. S’enchaînent dans un vrai process industriel plusieurs opérations : injection, soudure, décoration, métallisation, assemblage du liège…
« Le bouchon, un produit qui doit se faire oublier » indique Christian Delage. Mais le P-DG de la société Delage sait aussi que le bouchon a l’obligation d’être « parfait » et qu’il s’agit d’un produit technique. « Il doit s’adapter à la fois au contenu – au liquide – mais également au mode de mise en bouteille. Quand les chaînes de mises en bouteilles fonctionnent à des cadences de 15 000 bouteilles/heure, le seuil de tolérance est extrêmement faible. Ce n’est pas toujours facile de répondre à ces exigences. » Parmi les « valeurs » de l’entreprise, Ch. Delage cite performance, créativité, qualité, compétitivité.
Aujourd’hui, les Bouchages Delage mettent en avant une « offre globale ». Ils proposent toutes sortes de bouchons : bouchons liège, bouchons liège aggloméré ou micro-granulé (une alternative plus économique, plus industrielle au bouchon liège naturel), bouchons synthétiques pour les alcools blancs, bouchon à tête, bouchon à vis… Le bouchon liège reste néanmoins majoritaire dans le domaine des spiritueux, surtout des spiritueux haut de gamme, y compris chez les Whiskies Pure malt voire même certaines Vodkas. Par sa souplesse, le liège facilite l’étanchéité et capitalise sur son côté naturel, très « éco-concept ». C’est un atout aujourd’hui. Quant au goût de bouchon, cela relève plutôt du mythe. Si les bouchons synthétiques sont plébiscités par les alcools blancs, les traces infinitésimales de tanins contenus dans le liège ne gênent pas les alcools bruns, dont le Cognac. D’ailleurs toutes les carafes de prestige – Louis XIII de Rémy Martin, Richard Hennessy… – sont équipées de bouchons liège dits « de transport », à côté de leurs bouchons cristal.
Aujourd’hui, la société Delage réalise un peu plus de la moitié de son activité hors région délimitée (hors Cognac et Pineau). Depuis une quinzaine d’années, elle a développé un marché export auprès des Whiskies, Rhums, Tequila, Vodka, Gin. Selon les périodes, le chiffre d’affaires export représente entre 15 et 25 % du total. Cette diversification, tant en France qu’à l’étranger, Christian Delage la met au crédit des clients régionaux. « Nous avons eu la chance d’avoir à faire à des clients extrêmement exigeants, très créatifs, qui nous ont poussés à nous dépasser, à trouver des astuces technologiques, à évoluer. » Il rend aussi hommage aux salariés de l’entreprise qui, par leur flexibilité, leur polyvalence, leur savoir-faire, ont aidé l’entreprise à progresser.
Bouchages Delage : les chiffres
En 2010, l’entreprise a dû fabriquer environ 120 millions de bouchons, soit 10 millions par mois, 500 000 par jour. Son chiffre d’affaires s’est élevé à 16 millions d’€, « avec une valeur ajoutée 100 % made in Charentes » souligne son P-DG. Les spiritueux premium et super premium représentent le « cœur de marché » de l’entreprise. Un marché évalué, de par le monde, à un peu moins de 500 millions de cols, dont 150 millions de bouteilles pour le seul Cognac. Un segment de « niche » comparé au torrent des vins tranquilles et des vins pétillants qui, sur la planète, se chiffre par milliards de bouteilles. Une tout autre dimension.
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