Une Révolution

10 mars 2009

Destinée à « resserrer les boulons » de la qualité, la réforme de l’agrément risque d’entraîner de gros changements et une évolution du métier de vigneron. Les nouvelles procédures de contrôles des vins d’appellation doivent être mises en place en juillet 2008. D’ici là, beaucoup de choses restent à écrire. C’est depuis 1974 que l’agrément a été systématisé par l’INAO à tous les vins d’appellation. Pendant une longue période, le système est resté relativement figé. Les choses ont commencé à bouger à partir de 2003, sans doute sous la pression de la crise. En juillet 2008, le contrôle présentera un tour assez radicalement différent. « Faire en sorte que la viticulture ne soit plus juge et parti » est souvent présenté comme la principale justification au changement. « Peut-être avons-nous été trop gentils » admet à demi-mot un membre de la filière bordelaise. Tout en n’ignorant pas que « toute la collectivité de l’appellation pâtit d’une contre-référence qualitative », il souligne la difficulté qu’il y a à départager vérité individuelle et vérité collective. Les ressorts humains étant ce qu’ils sont, le nouveau protocole présentera-t-il plus de gages d’impartialité ? A voir. « Faire comme les labels » revient souvent comme un autre déterminant de la réforme. « Il s’agissait de placer la filière viticole sous les mêmes conditions de contrôles que les autres signes de qualité » explique un interlocuteur qui ne cache pas ses sentiments. Il épingle un système « à l’anglo-saxonne où le groupement de producteur fait office de syndicat et où un organisme certificateur effectue les contrôles externes. Sauf qu’en viticulture, ajoute-t-il, les choses sont un peu moins normées et donc plus difficiles à contrôler. On risque de laisser des gens au bord de la route. Mais après tout, c’est peut-être un des objectifs de la réforme » !

un agrément par lots assemblés

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Jacques Gautier, chef de centre INAO à Bordeaux.

Aujourd’hui à Bordeaux, comment se passe l’agrément ? Par lot moyen, par lots assemblés ? Jusqu’à 2003, à côté du contrôle par l’INAO de l’encépagement, de l’état du vignoble, du nombre de pieds manquants, toutes les appellations bordelaises pratiquaient un contrôle gustatif fondé sur le prélèvement d’un lot moyen, représentatif de l’existant du chai : un peu de la cuve n° 1, un peu de la cuve n° 2… au prorata des quantités. Limite évidente de cette façon de faire : était contrôlée une qualité virtuelle, ne tenant pas compte du contenu de la bouteille, elle-même conditionnée par la faculté de tri de l’opérateur entre premier vin, second vin… En décidant de travailler par lots assemblés, c’est-à-dire par qualités commercialisées, le Médoc fut la première appellation à enclencher une évolution forte des modalités de prélèvements d’échantillons. En 2005, ce fut au tour de l’AOC Bordeaux d’opter pour ce mode opératoire ou tout au moins d’en offrir la possibilité à ceux de ses ressortissants qui voulaient profiter d’un rendement un peu supérieur à celui de l’appellation. En cela Bordeaux suivait les recommandations du Comité national de l’INAO consistant à dire : « Ceux qui veulent bénéficier d’un bonus de rendement doivent le justifier tant sur le plan économique que qualitatif. » Depuis, d’autres appellations bordelaises sont rentrées dans ce schéma. Pour Jacques Gautier, chef de centre INAO à Bordeaux, il s’agit d’un pas significatif. « Depuis quelques années dit-il, la Gironde a accompli un travail important en matière de fiabilisation des résultats de dégustation. On peut toujours dire que ce n’est pas assez rapide mais Paris ne s’est pas fait en un jour. » Il signale notamment l’avancée vers la professionnalisation des dégustateurs, dans plusieurs appellations importantes. Le syndicat Bordeaux impose par exemple à ses dégustateurs 4 demi-journées de formation dans l’année en plus du quota minimum de 15 demi-journées de dégustation (rémunération des dégustateurs : 100 € par demi-journée de présence). Concomitamment l’INAO demande à chaque syndicat de produire un échantillon de calage correspondant au minimum requis pour prétendre à l’appellation. « Par le biais de sa commission technique, explique le chef de centre INAO, le syndicat définit le niveau en dessous duquel “il ne faut pas prendre” afin de ne pas nuire à l’appellation. C’est une grosse évolution par rapport au passé. » Pour juger de la qualité des vins, les commissions de dégustation comptent chacune 3 à 5 dégustateurs selon les appellations. Ces dégustateurs se retrouvent forcément en nombre impair et sont forcément issus des trois collèges de la viticulture, du négoce/courtage, des techniciens et œnologues. En ce qui concerne les prélèvements, en Gironde, seulement quatre syndicats (sur trente-trois) disposent de préleveurs : une trentaine au syndicat Bordeaux, sept ou huit au syndicat Médoc… Ces agents sont formés (guide de prélèvement) et régulièrement contrôlés. Ils agissent pour le compte des autres syndicats sous forme de prestations de service. Les agents préleveurs, embauchés par les syndicats d’appellation, sont habilités par le centre INAO. En plus des contrôles au vignoble, ce dernier anonyme les échantillons (étiquettes à deux volets) et enregistre les procès-verbaux de dégustation.

Quels sont les taux de réussite à l’agrément ? En moyenne 80 % des échantillons sont acceptés au premier prélèvement. Refus d’agrément ne veut pas dire refus tout court. Le chai a droit à un joker, matérialisé par un second prélèvement, un second échantillon et une seconde dégustation. Entre-temps, le vinificateur – chai particulier, cave coopérative, négociant vinificateur – aura pu procéder à quelques ajustements (petite filtration…). Au second tour, 50 à 60 % des échantillons passent. Reste un « déchet » d’environ 7 % qui va pouvoir bénéficier d’une procédure de dernier recours auprès de la commission régionale. A ce niveau, le tri est plus sévère et le taux de réussite plus faible. Bon an mal an, 3 ou 4 % des échantillons sont refusés, sachant qu’un certain nombre de chais qui ont « tenté le coup » au premier passage abandonnent en cours de route. Pour les recalés définitifs, reste le déclassement en vins de table, sauf s’il y a eu chaptalisation. Dans ce dernier cas les vins n’ont d’autre issue que de partir à la destruction (passage en chaudière).
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En 2008, la situation va changer. De quelle manière ? Elément fondamental, disparaît la notion de contrôle systématique, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’agrément des vins de tous les chais sollicitant l’AOC. Les entreprises feront l’objet d’une habilitation sur la base d’un cahier des charges. L’habilitation sera donnée sur quels critères, par qui ? Pour l’instant ces points émargent encore à la discussion. On sait seulement que le cahier des charges sera écrit par les professionnels ; qu’il y aura la nécessité d’avoir une visite du vignoble, du chai. Une fois l’exploitation habilitée, elle sera réputée produire des vins d’AOC, comme un œnologue est réputé comprendre ce que c’est qu’une analyse ! L’élaborateur pourra alors faire de ses vins ce que bon lui semble… sauf que les contrôles sur la qualité des produits s’exerceront a posteriori. Cela signifie que des contrôles par sondages porteront sur les vins finis, juste avant d’être présentés au consommateur. Là réside tout l’esprit de la loi. Au lieu de travailler sur des lots assemblés (ou des lots moyens), les agents prélèveront des échantillons au moment de la mise en bouteilles, à la propriété comme chez le négociant. A cet égard, les négociants feront également l’objet d’une habilitation (à l’instar des viticulteurs), à la différence près que l’habilitation ne concernera pas la propriété mais les installations de chai, la traçabilité. Tout ce pan de contrôle reste à écrire. Comme déjà dit, le contrôle sur le produit s’exercera par sondage, de manière aléatoire. En l’absence de problème, le vinificateur commercialisera son vin sans plus de formalités. Si des défauts sont détectés, s’appliqueront des sanctions « graduées », dont l’essentiel consistera à abandonner pour un temps le contrôle par sondage pour revenir à un contrôle systématique préalable pendant un an, deux ans… Parallèlement, pourra s’envisager aussi la retiraison des vins du marché pour défaut majeur (vin piqué..). Compte tenu des conditions de la dégustation – au plus près de l’acte de consommation – le contrôle aval se justifiera-t-il encore ? Les professionnels devront répondre à cette question.

Qui va être chargé des contrôles ? Tout va dépendra du type de contrôle, au nombre de trois. Premier niveau de contrôle, les « auto-contrôles » des sites d’exploitation. Prévus par la réforme, ils seront par définition réalisés par les exploitants eux-mêmes. Deuxième niveau de contrôle, les contrôles internes, diligentés par l’ODG (organisme de défense et de gestion de l’appellation). Ne donnant pas lieu à sanctions, ils seront sans doute à privilégier. Que se passera-t-il pour le troisième niveau de contrôle, le contrôle externe, au cœur du dispositif du nouvel agrément ? Ce sont les ODG (organisme de défense et de gestion de l’appellation), en cours d’habilitation, qui devront choisir leurs structures de contrôle externe, avant le 31 juillet prochain. Reviendra alors à ces structures le soin de déposer auprès de l’INAO un plan de contrôle, après avis de l’ODG. L’INAO aura jusqu’au 30 juin 2008 pour l’approuver. Plusieurs choix s’offrent aux professionnels : soit opter pour une structure de contrôle agréée par l’INAO, dite de « l’organisme d’inspection agréé » ; l’organisme effectuerait les contrôles mais les sanctions relèveraient toujours de l’INAO : soit faire émerger de ses rangs une « superstructure de contrôle » qui réaliserait les contrôles mais irait aussi jusqu’aux sanctions ; soit recourir carrément à un bureau de contrôle spécialisé type Veritas. Si la Gironde n’a pas encore statué, il semblerait que l’option « Veritas » soit d’ores et déjà exclue. L’appellation Bordeaux soutient un projet de création d’un organisme de contrôle départemental, avec des unités décentralisées dans les appellations. Sera-t-il validé par la filière ? Une chose paraît incontournable ! L’émergence des ODG, associée au changement des conditions de contrôle, va conduire à repenser tout l’environnement professionnel des AOC. En naîtra forcément une refonte importante. En Gironde par exemple, existe aujourd’hui 33 syndicats. Un partage des moyens entre syndicats – mutualisation du personnel.. – et une volonté de travailler ensemble – groupe des Côtes… – risque d’aboutir à moitié moins d’ODG. Il s’agit d’un enjeu majeur mais aussi d’un dossier périlleux pour une région qui connaît une hiérarchie importante entre appellations et, ipso facto, des tiraillements entre ces appellations.

Pour revenir à l’agrément, il incombera aux professionnels de déterminer la pression de contrôle. Du niveau de contrôle découleront la garantie de la qualité mais aussi le coût qu’entend supporter la filière. Cela ne revient pas au même de contrôler tous les ans 10 % ou 20 % du vignoble, de passer une fois, cinq fois ou dix fois sur une grosse chaîne de mise en bouteille pour effectuer des prélèvements. De sérieux débats en perspective.

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