Une interview de Sophie Gaillard, chargée de l’oenotourisme à l’OT de Bordeaux

11 mai 2011

L’office de tourisme de la ville de Bordeaux joue un rôle centralisateur dans la promotion de l’offre œnotouristique bordelaise. Sophie Gaillard est chargée de cette mission.

gaillard.jpg« Le Paysan Vigneron » – Aujourd’hui, l’office de tourisme de Bordeaux constitue une porte d’entrée majeure pour l’œnotourisme bordelais. Quand et comment cette organisation s’est-elle mise en place ?

Sophie Gaillard – A Bordeaux, voilà une dizaine d’années que les choses ont commencé à bouger sur le thème de l’œnotourisme. Mais le virage a vraiment été pris en 2004. Auparavant, les touristes venaient chez nous à l’OT de Bordeaux, nous leur faisions visiter la ville mais ils s’étonnaient de ne pas voir le vignoble, alors que ce vignoble se situe aux portes de la ville. Par ailleurs, il existait bel et bien une offre dans le vignoble mais elle n’était pas visible. C’est en tout cas ce que nous rapportaient les visiteurs potentiels. C’est vrai que le vignoble de Bordeaux est vaste et compliqué entre ses différentes appellations, ses 500 châteaux… C’est ainsi qu’en 2004, le CIVB, le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux, et l’office de tourisme ont décidé de faire jeu commun. Le CIVB a demandé à l’O.T. de créer une sorte de comptoir d’informations autour de l’œnotourisme. A l’époque, je travaillais dans le domaine du vin mais je connaissais aussi des gens dans le monde du tourisme. Je fus recrutée par l’office comme chargée de mission pour le développement œnotouristique. Qui plus est, l’office de tourisme se situe juste en face du CIVB, cours du XXX-Juillet.

« L.P.V. »- Comment se passent les relations entre l’office de tourisme et le CIVB aujourd’hui ?

S.G. – Elles vont assez loin. L’interprofession finance un poste d’accueil chez nous. Par ailleurs, le CIVB édite toute une série de documents que nous mettons à disposition des touristes : le document « Les routes du vin » et bien d’autres. Naturellement, nous informons les visiteurs de tout ce qu’organise l’interprofession de Bordeaux, l’Ecole du vin, le Bar à vin, initiatives qui rencontrent beaucoup de succès auprès du grand public.

« L.P.V. » – Qu’en est-il des autres acteurs du tourisme bordelais ?

S.G. – A travers son label « Vignobles et chais bordelais », le comité départemental du tourisme de la Gironde se préoccupe davantage de la qualification de l’offre. Il n’est pas moteur dans la promotion de l’œnotourisme. Le Médoc a sa propre maison du tourisme du vin. A l’inverse, d’autres syndicats viticoles reconnus ODG s’impliquent peu dans cette thématique, non qu’ils s’en désintéressent mais ils n’ont pas investi dans des outils spécifiques. C’est par exemple le cas de Saint-Emillion. Pour la mise en place de la route des Graves et de Sauternes, nous avons travaillé main dans la main avec le syndicat des Graves. La région Aquitaine propose un site internet, œnoland, conçu comme le portail de l’œnotourisme en Aquitaine. Par ailleurs, la destination Bordeaux est très soutenue financièrement. Chaque année, le CIVB consacre plus de 25 millions d’€ à la promotion des vins de Bordeaux partout dans le monde. Nous, en tant qu’office de tourisme, nous participons, tous les ans, à une vingtaine de salons professionnels, essentiellement à l’étranger, sur des pays cibles comme la Grande-Bretagne, notre premier client au plan touristique, ou l’Espagne, notre second client, l’Allemagne, la Belgique mais aussi l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Chine, la Russie… C’est l’occasion de rencontrer des tour-operators. Tout ça fait qu’aujourd’hui, quand on parle de Bordeaux, on parle du vin. Le patrimoine bordelais, c’est autant le vignoble que la ville de Bordeaux.

« L.P.V. » – Dans les chiffres, comment se traduit le tourisme viticole à Bordeaux ?

S.G. – En tant que ville, Bordeaux dégage une véritable attractivité. On estime généralement que Bordeaux reçoit la visite d’environ 2,5 millions de touristes par an. C’est d’autant plus vrai depuis le classement de la cité au patrimoine mondial de l’Unesco. De 2008, année du classement, à 2009, la fréquentation a augmenté de + 21 %. A l’office de tourisme, passent dans l’année environ 550 000 touristes. Sur ce nombre, nous vendons des prestations œnotouristiques à près de 25 000 personnes.

« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par « prestations œnotouristiques » ?

S.G. – Il s’agit généralement d’excursions à la demi-journée ou à la journée. Contrairement aux agences réceptives qui pratiquent du « sur-mesure » (voir page 39), nous sommes davantage sur le créneau du « prêt à partir ». Le visiteur arrive à Bordeaux. Il passe à l’office de tourisme, consulte les offres disponibles et se détermine, selon le temps dont il dispose. Le choix se fait plus sur la date que sur un autre critère, exception faite des touristes qui ont réservé en ligne sur internet. D’ailleurs ces réservations en ligne deviennent de plus en plus importantes. A 85 %, la clientèle est étrangère, anglaise, nord-américaine, asiatique…

Ces personnes ressentent le besoin d’être encadrées pour aller se promener dans le vignoble. Elles ne parlent pas la langue, ne disposent pas de voiture sur place. Nos offres incluent le guide, le transport en bus, parfois le déjeuner. En 2004, nous proposions quatre circuits. Nous en sommes aujourd’hui à une vingtaine et chaque année voit l’arrivée de nouvelles propositions. Ceci dit, le socle de notre activité reste tout de même l’après-midi dans le vignoble, sur la base de 50 personnes (la capacité d’un autocar). Les touristes partent à 13 h 30 de Bordeaux et reviennent vers 18 h 30. Il en coûte 31 € par personne, avec la dégustation des vins de deux propriétés. La journée entière correspond à une offre un peu plus haut de gamme. Limitée à 25 personnes, elle se décline en plusieurs thématiques : randonnée pédestre dans le vignoble avec pique-nique et visite de propriétés, route des grands crus classés… Si, au départ, nous nous sommes appuyés sur les grands classiques comme le Médoc ou Saint-Emillion, au fil du temps notre catalogue s’est élargi à d’autres appellations un peu moins connues comme les Côtes-de-Blaye, les Côtes-de-Bourg, l’Entre-deux-Mers… Les offres se sont faites un peu plus sélectives, un peu plus pointues : rencontres de propriétaires viticoles, découverte des vins sur les traces des fortifications de Vauban… De plus en plus nous commercialisons des produits conçus par d’autres, soit par d’autres offices de tourisme du vignoble, soit par des privés. Nous utilisons notre place centrale, au sens géographique du terme, pour « redistribuer » la clientèle dans les appellations connues ou moins connues.

« L.P.V. » – Quelles sont les attentes des touristes ?

S.G. – Très clairement, nous voyons cohabiter deux types de demandes, l’une pour les grands noms, les appellations prestigieuses, les châteaux d’exception, l’autre pour des vignobles « d’initiés » moins connus, plus secrets. Des destinations marchent mieux que d’autres mais, dans l’ensemble, les choses s’équilibrent. Je ne nierais pas que la journée à Saint-Emillion ou celle consacrée au Médoc et à ses grands crus classés de 1855 jouent régulièrement à guichet fermé. Les gens veulent aller voir « là où ça se passe » et acceptent d’y mettre le prix (90 € la journée). La grande période des circuits démarre en mai et se termine en octobre. Hors saison, en hiver, nous proposons des activités « de niche » tels ces ateliers « assemblage, dégustation, » proposés par un groupe de femmes très dynamiques et impliquées dans l’œnologie, « les Médocaines ». Par petits groupes de huit personnes, les visiteurs s’initient aux vins issus des cépages bordelais. La magie opère et c’est génial.

« L.P.V. » – On a longtemps dit que la France était en retard en matière d’œnotourisme.

S.G. – C’est vrai, nous l’étions. Les viticulteurs vendaient leurs vins sans problème et, par le fait, n’étaient pas très ouverts au tourisme. A l’inverse, les gens de la Nappa Valley ou d’autres vignobles de l’hémisphère sud intégrèrent la dimension œnotouristique dès la création de leurs wineries. En France et à Bordeaux tout particulièrement, je crois que nous sommes aujourd’hui capables de proposer une offre originale, en phase avec notre culture. Par contre, sans doute avons-nous encore des progrès à faire en matière de dégustation et de vente du vin. Les bodegas espagnoles excellent dans ce domaine. A Bordeaux, la vente à la propriété ne fait pas vraiment partie des traditions. Même si ce n’est pas le remède à la crise, l’œnotourisme peut sans doute apporter un petit complément. Pour les grands châteaux, les crus classés, le premier objectif n’est pas la vente. C’est une manière de communiquer sur leurs vins.

« L.P.V. » – Existe-t-il un risque que « trop d’offres tuent l’offre » ?

S.G. – Je ne le crois pas. Je pense au contraire qu’il n’y en aura jamais assez. L’offre crée la demande.

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