Claudio Magris, lauréat du prix « Littératures européennes » de Cognac

1 février 2010

La Rédaction

Souvent décrit comme « l’écrivain des frontières », Claudio Magris est né dans une ville des confins, Trieste, au creux de la mer Adriatique, entre Venise et l’Istrie slovène ex Yougoslavie. Longtemps sous domination autrichienne, le port franc pratiqua très tôt le mélange des influences, germanique, russe, slovène, grecque, juive. En vrai humaniste, Claudio Magris conjugue le singulier de sa ville au pluriel du monde. Le 21 novembre, il a reçu le prix Jean-Monnet de littérature européenne du département de la Charente 2009.

Claudio Magris fait partie des grands écrivains vivants. Certains l’inscrivent même sur la liste des nobélisables. Ses livres les plus connus se nomment « Danube » (1986), « Microcosme » (1997) ou encore « A l’aveugle »… Entre essais et romans, ces ouvrages centrés sur la « Mitteleurpa » mêlent une immense culture – il est professeur d’université, spécialiste de la littérature germanique – à une écriture d’une infinie pénétration, nourrie par les mythes, le souffle épique, la poésie et la réflexion philosophique, sans oublier un sens très concret des situations, comme toute bonne littérature italienne. Voir et entendre Claudio Magris à Cognac ce samedi 21 novembre relevait donc de l’exceptionnel. Agé de 70 ans (il est né le 10 avril 1939), l’auteur a gardé de sa jeunesse des traits fins et mobiles, et une coiffure que le temps ne semble pas avoir altérée. Cette « fraîcheur » se retrouve dans son discours. Il parle vite et sans pau (o) se. Ce samedi 21 novembre à 18 h 45, salle de la Salamandre à Cognac, s’est instauré un dialogue délicieux entre Jacques de Decker (Le Soir, Bruxelles), Fabio Gambaro (Le Monde/La Republica) et Claudio Magris.

Le Danube a inspiré Claudio Magris. Il l’a suivi de sa source allemande, en Forêt-Noire, jusqu’à son immense delta sur la mer Noire, en Roumanie. J. de Decker voit dans ce fleuve – et sans doute par extension chez l’auteur de « Danube » – « la métaphore d’un espace de contestation, de subversion de la réalité ». « Par définition, un fleuve n’a pas de frontière. Si l’on veut arrêter l’eau, il faut que l’homme crée un barrage. Tous les livres existentiels possèdent cette dimension narrative, lieu de contestation d’une pensée dominante culturelle. » Souvent décrit comme « l’écrivain des frontières », Claudio Magris acquiesce et précise : « La frontière est parfois un point pour rencontrer l’autre mais aussi une muraille pour exclure. Une ville de frontière porte en elle-même cette contradiction d’être un creuset qui peut devenir un archipel. L’homme des frontières peut se muer en passeur mais aussi en douanier. « Ni fièvre identitaire ni effacement de la diversité » conseille Edouard Glissant, le grand écrivain des Caraïbes. Selon lui « les racines ne doivent pas plonger dans les abysses obscurs de l’origine. Elles doivent s’éparpiller à la surface pour rencontrer d’autres racines ». Qu’est-ce qui fonde l’identité européenne ? Après avoir un peu hésité, Claudio Magris livre la réponse suivante : « Je pense que la civilisation européenne met l’accent sur l’individu, mais à la manière d’Aristote. Il ne s’agit pas d’un cow-boy isolé mais de quelqu’un qui vit avec d’autres. Je dirai que l’Europe se caractérise par cette dimension d’individualisme social, qui d’une certain façon conditionne aussi notre façon de concevoir le capitalisme et la “polis”, la vie de la cité en grecque ancien, qui a donné le terme politique. » Comme en passant mais signe d’un hommage discret, Claudio Magris fait allusion à son épouse Marisa Madieri, décédée il y a treize ans. Enseignante et écrivain, Marisa Madieri était née en 1938 à Fiume, aujourd’hui Rijeka en Croatie, d’où elle émigra avec la communauté italienne au sortir de la seconde guerre mondiale. « Vert d’eau » et « La Clairière » figurent parmi ses livres, publiés en 2000 et 2004. Dans un récent entretien, Claudio Magris parlait de « plénitude temporaire » et du chagrin de la perte. « Ce qui blesse le plus, c’est peut-être la corruption d’une amitié, d’une liaison qui change. C’est comme si on jouait du violon ensemble et que soudain, la mélodie déraille. Nous formions un couple et soudain on ne l’est plus. Ce n’est pas l’usure, c’est une corruption fondamentale de l’harmonie. Je ressens ça très fortement. Peut-être que vieillir, c’est la capacité de vivre ensemble l’imperfection. » Le livre récompensé à Cognac – « Vous comprendrez donc » – célèbre la femme à travers le mythe d’Orphée et d’Eurydice. « Comme l’effigie féminine à la proue des bateaux, la poitrine de la femme sert souvent de bouclier à l’homme, protégée par sa compagne d’un peu de la violence du monde. » S’exprimant parfaitement en français, avec toutes les nuances de la langue, Claudio Magris a raconté l’histoire de cet héritage. « Mon père était très francophile, contrairement à ma mère qui parlait allemand. Très jeune, j’ai lu Beaudelaire, Victor Hugo et, au-delà de la littérature, j’y ai appris les ferments de la liberté. Mon arrière-arrière-grand-oncle avait fait, très jeune, la campagne de Russie avec Napoléon. Loin d’en vouloir à l’empereur de l’avoir entraîné dans pareille aventure, le frioulan en concevait au contraire de la fierté. La légende familiale racontait comment, à Trieste, il avait organisé un bataillon contre les Autrichiens au nom de Napoléon. »

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