Avant d’aller plus loin, un rapide retour en arrière s’impose. Dans l’ancienne OCM vitivinicole, que se passait-il en matière de gestion des sous-produits de la vinification ainsi que des excédents ? Les prestations viniques (marcs et lies) étaient essentiellement vouées à la transformation en alcool éthylique à plus de 92 % vol., destiné prioritairement à la biocarburation – la production d’éthanol pour les voitures – voire aux alcools techniques pour la pharmacie ou les usages ménagers. C’est l’article 27 du règlement communautaire 1413/99 qui gérait le sort des prestations viniques. Il prévoyait une rémunération des viticulteurs à hauteur d’environ 65 € l’hl AP. Dans le même temps, il garantissait aux distillateurs un prix d’achat de l’alcool de 143,70 € l’hl AP. Ce qui laissait à ces mêmes distillateurs, une fois dédommagés les viticulteurs, une marge brute d’environ 80 € par hl AP pour couvrir leurs frais de transport et de transformation. C’est Viniflhor, à travers sa division « logistique, vente et gestion des stocks d’alcool communautaire » qui, en France, était chargé de commercialiser ces alcools pour le compte de l’Europe. L’établissement public procédait par appel d’offre, en portant tous les mois à l’adjudication des lots de 100 000 hl AP auprès des opérateurs biocarburants agréés par la Commission européenne. Concrètement, Vinifhlor retenait une offre et l’envoyait pour validation à la Commission européenne. Mais les prestations viniques n’étaient pas les seules à émarger au circuit aidé de l’alcool industriel à plus de 92 %. S’y raccrochaient aussi les vins blancs cépages Cognac produits au-delà du plafond de QNV, obligatoirement livrés à la distillation « double fin » de l’article 28. Une fois distillés, ces vins rejoignaient la filière alcool éthylique – biocarburation, pharmacie – avec une petite dérive permise vers la filière brandy via les distillats ou alcool surfin. Parallèlement à cette branche « alcool industriel » existait une autre branche dite « alcool de bouche », destiné à alimenter le marché des brandies. On y retrouvait les DPLC ou Vins issus du dépassement du plafond limite de classement des vignobles d’AOC ainsi que les vins de l’article 29 (distillation volontaire d’alcool de bouche). Depuis plusieurs années déjà, les distilleries étaient chargées de commercialiser elles-mêmes ces alcools sur le marché libre. Contrairement aux vins de l’article 29, les vins issus des DPLC ne donnaient pas lieu à rémunération des viticulteurs.
la situation actuelle
Quelle est la situation aujourd’hui ? Le paysage a été sérieusement bouleversé. A l’exception de l’enclave des DPLC, déjà sur le marché libre et qui conserve sans changement son débouché brandy sans rémunération des viticulteurs, tout le reste a changé. En ce qui concerne les prestations viniques, la nouvelle OCM a supprimé le principe du paiement aux viticulteurs. Si la livraison des marcs et lies reste obligatoire, les producteurs ne peuvent plus prétendre à rémunération via les distilleries. Ces mêmes distilleries ont vu leurs aides fondre comme neige au soleil. Des aides subsistent encore – pour le transport et la transformation – mais limitées. Qui plus est, leur durée de vie semble comptée. A priori, elles seraient démantelées en 2012. Quant à la distillation charentaise de l’article 28, elle a disparu corps et bien. Le cahier des charges Cognac précise que sous le régime d’affectation dorénavant en vigueur, les vins produits au-dessus du rendement Cognac ne pourront pas servir à la consommation humaine. Ainsi la filière brandy semble définitivement bannie pour les excédents Cognac. Comme destination possible, reste donc l’alcool éthylique dont la biocarburation – le bio-éthanol pour les voitures – constitue le principal débouché. En matière de commercialisation de l’alcool éthylique, une modification d’importance est également intervenue. Il entrait dans les intentions fortes de la Commission européenne de tirer un trait sur le marché administré de l’alcool éthylique, pour ne plus en faire un marché refuge. Ainsi Vinifhlor – et ses équivalents dans les autres Etats membres viticoles – ne sont plus chargés de commercialiser les alcools éthyliques pour le compte de l’U.E. Depuis le 1er août 2008, il revient aux distillateurs d’écouler eux-mêmes leurs produits sur le marché libre.
un pool de vente
C’est pour espérer faire davantage contrepoids à la poignée d’opérateurs européens de la biocarburation que les distilleries vinicoles coopératives et privés ont décidé de s’organiser pour créer un pool commun de vente, la Sica Raisinor France « branche alcool ». La Sica Raisinor existait déjà mais pour la commercialisation de pépins de raisins. Son objet a été étendu à la vente d’alcool vinique. Présidé par Hubert Burnereau, par ailleurs président de l’UCVA, le comité de direction de la Sica Raisinor France compte huit membres, tous directeurs de distilleries vinicoles. Ils se partagent à part égale entre la FNDCV (Fédération nationale des distilleries coopératives vinicoles) et l’UNDV (Union nationale des distilleries vinicoles) qui regroupe les distilleries privées. C’est par exemple au titre de l’UNDV que Nicolas Pouillaude, directeur de Revico, siège à la Sica Raisinor. La Sica a recruté Jérôme Budua comme directeur de la structure. A Viniflhor, J. Budua travaillait depuis six ans au sein de la division alcool. Ses nouvelles fonctions auprès de la Sica Raisinor ressemblent assez à celles de son précédent poste. Sauf qu’elles se doublent d’une nouvelle approche, radicalement différente : le démarchage de la clientèle et la négociation de prix (voir article page 33). Objectif de la Sica : arriver à vendre ses produits au-dessus du seuil de rentabilité pour qu’au moins les distilleries ne perdent pas d’argent sur la production d’alcool. Un vrai challenge par les temps qui courent. Les principaux interlocuteurs de la Sica restent les opérateurs européens de la biocarburation, le Français Deulep (racheté par Cristal Union), l’Espagnol Abengoa, le Suédois Sekab. En quoi consiste le métier de ces opérateurs de la biocarburation ? Par le process de la déshydratation, ils transforment l’alcool brut en éthanol à plus de 92 % vol. expédié par les distilleries vinicoles en éthanol. Cet éthanol est ensuite vendu aux compagnies pétrolières. En règle générale, les pétroliers incorporent le bio-éthanol dans l’essence sans plomb ou l’utilisent dans l’E 85.
Face à des transformateurs très concentrés, le « bonus » de la Sica Raisinor tient au regroupement de l’offre, aux volumes significatifs qu’elle propose et à la logistique qu’elle met en place. « Si Raisinor France n’avait pas été créé, cela aurait posé un énorme problème aux distilleries vinicoles qui n’auraient jamais pu vendre leur alcool aux opérateurs de la biocarburation » relève Jérôme Budua. « Nous sommes regardés avec envie par nos confrères européens » confirme Jean-Michel Létourneau, directeur de l’UCVA à Coutras. Ce qui ne veut pas dire que le nouveau modèle économique de la filière distillerie vinicole fonctionne à merveille. « Nous ne sommes pas les rois du pétrole, loin de là ! interjecte un directeur de distillerie. Nous ne nous enrichissons pas sur la vente d’alcool. » « A ce prix-là, on ne s’en sort pas, nos comptes ne sont pas équilibrés » confirme même un de ses confrères. Aux dires de beaucoup, dans le nouveau contexte, seule la capacité à valoriser les sous-produits – pulpes, pépins, tartrate – permet aux distilleries de garder la tête hors de l’eau. A meilleure preuve, des petites distilleries du Bordelais, du Midi ont déjà fermé leurs portes. Jean-Michel Létourneau parle d’une « révolution du métier de distillateur des co-produits de la vigne ». Et de s’interroger : « En 2012, quand toutes les aides auront disparu, faudra-t-il demander aux viticulteurs de mettre la main à la poche ? » Déjà une distillerie avait envisagé cette campagne de demander une participation aux viticulteurs pour éliminer leurs excédents. Il s’agissait de la distillerie Bourgogne Alcool de Mâcon, appartenant au groupe Cristal Union. Les vignerons sont descendus dans la rue.
gestion des excédents cognac
En Charentes, la problématique du traitement des co-produits – marcs, lies – se double de celle de la gestion des excédents Cognac. Le cahier des charges Cognac n’a pas encore tranché sur le mode de traitement de ces éventuels excédents. Certes, depuis deux ou trois ans, la notion d’excédents n’existe quasiment plus, sous l’effet conjugué des récoltes moyennes et des hauts rendements autorisés. Mais quand les excédents reviendront, quelle attitude prendre ? Dans le monde des transformateurs du vin en alcool vinique, les hommes de l’art constatent au mieux un flou juridique : « Nous sommes en face d’une page blanche. Il revient à l’interprofession du Cognac de l’écrire. » Ce qui ne les empêche pas d’émettre des interrogations : « On nous dit que la réforme de l’affectation est justement faite pour éviter les excédents, en reportant les volumes sur les hectares affectés aux jus de raisins ou aux vins de table. Mais on ne sait pas trop. S’agira-t-il d’une affectation de récolte, d’une affectation parcellaire, avant les vendanges, un ou deux avant la récolte ? En fonction des choix, les réponses ne seront pas les mêmes. » Et de poursuivre : « On imagine mal qu’un viticulteur soit non seulement pas rémunéré sur la matière qu’il livre mais encore qu’il doive payer pour la détruire. Il s’agirait d’un non-sens économique. Il faudra au moins le questionner sur le sujet. » Si certains distillateurs relaient le message du « no brandy » dans la filière Cognac – « on ne trouvera pas notre distillerie sur ce marché-là ! » – d’autres n’affichent pas de telles réticences. Ils laissent entendre que, pour eux, la solution brandy serait la seule manière économiquement correcte d’éliminer les excédents charentais. « Autrement, on ne saura pas faire. »
Bio-éthanol
Nord de l’Europe : oui aux biocarburants de la 2e génération
Un pays comme la Suède fait figure de champion dans l’utilisation du bio-éthanol. Dans ses usines de déshydratation, déjà anciennes et bien implantées, entrent toutes sortes d’alcools tirés de la biomasse : betterave, maïs, canne à sucre du Brésil ou du Pakistan, alcool d’origine vinique et même alcool issu du bois. Les spécialistes pronostiquent une montée en puissance de la demande de bio-éthanol en Europe du Nord. Ce qui intéresse particulièrement ces pays aujourd’hui, ce sont les biocarburants de la 2e génération, ceux obtenus à partir des déchets végétaux, autrement dit la biomasse cellulosique. A l’inverse, les biocarburants dits de la première génération – ceux qui peuvent participer à l’alimentation humaine, colza, tournesol, blé, maïs… – ont tendance à être mis à l’index, comme « non politiquement corrects ». C’est la conséquence directe de la flambée des prix des matières premières agricoles constatée l’an dernier, partiellement imputée aux biocarburants. Clairement, le bio-éthanol n’a pas vocation à devenir « l’affameur de l’humanité ». L’alcool d’origine vinique – issue des sous-produits de la vinification – n’encourt pas ce genre de reproche. Il peut donc représenter une sorte de recours, même limité de par les volumes mis en œuvre. Une « casserole » lui est cependant attachée : l’éthanol obtenu à partir de ce type d’alcool serait riche en méthanol, composé chimique réputé abîmer les pots catalytiques des véhicules. La filière viticole relative cependant l’argument. « D’une part nous représentons epsilon sur le marché de la bio-carburation et les pétroliers utilisent toujours nos produits en mélange. D’autre part, la teneur en méthanol de nos produits n’est pas aussi avérée qu’on veut bien le dire. Le seuil acceptable s’élève à 800 g. Une moitié de l’année, le bio-éthanol issu de la filière viticole se situe en dessous, l’autre moitié au dessus. » Enfin, pour extraire le méthanol existe une méthode, la rectification, pratiquée à l’issue de la déshydratation. Dans les faits, le recours à la rectification reste exceptionnel.