La philosophie de production du Domaine Château de Fontpinot est d’élaborer des eaux-de-vie de garde destinées prioritairement à des coupes d’XO, à un élevage de millésimes anciens ou de qualités dites « hors d’âge ». Cette démarche de production est une constante sur cette propriété depuis plusieurs générations et M. O. Paultes, le maître de chais actuel, explique en toute humilité qu’après 20 ans de carrière, il travaille encore sur des eaux-de-vie distillées et mises en stock par son prédécesseur et la production des derniers millésimes sera sans aucun doute mise en œuvre par son successeur. Le cycle de vie des eaux-de-vie destinées à des Cognacs de qualités supérieures obéit à des règles qui défient l’efficacité à court terme et toute la difficulté du travail des maîtres de chais à Cognac réside dans leurs capacités à construire la qualité de lots qui atteindront « la maturité » dans 15, 20 ou 30 ans.
La dégustation de chaque bonne chauffe oriente la conduite du vieillissement
M. O. Paultes tient sur ce sujet un discours empreint de sens des responsabilités : « Quand je déguste aujourd’hui de superbes eaux-de-vie de 20 ou 30 ans, cela me rend très respectueux vis-à-vis du travail de mon prédécesseur qui m’a légué d’aussi belles choses. Le Cognac fait partie de ces rares produits où l’on travaille souvent pour la génération suivante. L’extériorisation des beaux arômes dans une vieille eaux-de-vie rassise m’amène toujours à me poser un certain nombre de questions. Comment étaient les eaux-de-vie nouvelles de ce millésime ? Quel type de bois neuf avait utilisé mon prédécesseur en début de vieillissement ? Comment la première décennie du vieillissement a-t-elle été abordée ? Quelles approches de vieillissement dois-je mettre en place sur les nouvelles pour obtenir d’aussi belles qualités ?… La conduite du vieillissement des eaux-de-vie permet de valoriser les potentialités des nouvelles et aussitôt la distillation chaque lot nécessite une réflexion particulière. Ce sont les caractéristiques de pratiquement toutes les bonnes chauffes qui conditionnent le choix de telle ou telle démarche de vieillissement. Des pratiques de vieillissement trop standardisées ne correspondent pas à la philosophie de travail d’un bouilleur de cru dont l’objectif est de créer les conditions favorables au développement de la typicité. » Sur cette propriété, la dégustation de toutes les bonnes chauffes permet déjà d’orienter la conduite future du vieillissement. Les eaux-de- vie nouvelles très ouvertes et généreuses sur le plan aromatique seront destinées à des vieillissements plus courts n’excédant pas une dizaine d’années. A l’inverse, des lots plus fermés au nez, légèrement secondés et bien charpentés en bouche seront destinés à un vieillissement de longue garde. D’une manière générale, le style d’eaux-de-vie nouvelles Frapin privilégie la longueur en bouche à la persistance aromatique. O. Paultes considère que la phase de vieillissement est capitale pour les futures qualités de Cognacs commerciaux : « On peut comparer les nouvelles à un nouveau né qui naturellement possède des capacités pour réussir qui ne seront pleinement révélées que grâce à des principes d’éducation tenant compte de sa personnalité. Les eaux-de-vie nouvelles possèdent un capital d’arômes et de structure qu’il convient ensuite de bonifier par la mise en œuvre de pratiques de vieillissement maîtrisées. L’utilisation de bois de chêne bien particulier, la durée d’élevage en fûts neufs, l’utilisation des caractéristiques des chais humides et secs… sont autant d’éléments qui les maîtres de chais doivent utiliser à bon escient pour construire la qualité des Cognacs au fil des années. »
Le bois doit contribuer à la révélation des arômes
Au moment de la dégustation des bonnes chauffes, le maître de chais des vignobles Frapin procède à une sélection qualitative des eaux-de-vie qui débouche sur les deux orientations d’élevage évoquées précédemment. Par la suite, toutes les eaux-de-vie sont élevées en fûts neufs pendant une durée variant entre 6 et 12 mois, et les passages dans le bois neuf les plus longs sont réservés aux eaux-de-vie de garde sélectionnées pour élaborer les vieilles qualités de Cognac. Quelques mois après la mise en fûts neufs, une deuxième dégustation de chaque sélection d’eaux-de-vie viendra confirmer ou remettre en cause les options de vieillissement prises précédemment. O. Paultes considère la phase d’élevage de fûts neufs comme indispensable à la qualité finale des Cognacs, mais les apports de bois doivent « nourrir » cette qualité :
« Il ne faut pas penser que le seul fait d’élever en fûts neufs une proportion importante d’eaux-de-vie pendant un an est forcément synonyme de Cognacs de qualité. Attention, actuellement les notes boisées sont à la mode dans l’univers des spiritueux ambrés et comme dans le vin il y a quelques années, il ne faudrait pas tomber dans l’excès. Dans le Cognac, les apports de bois ne doivent jamais couvrir les arômes issus des eaux-de-vie mais contribuer à leur révélation. Sur la propriété, une proportion de 20 à 30 % de barriques neuves donne d’excellents résultats pour notre approche d’élevage d’eaux-de-vie de garde typées Grande Champagne. Il n’y a pas réellement de règles établies et chaque année la structure différente des eaux-de-vie nouvelles nous réserve toujours des surprises au contact des fûts neufs. Dans notre métier, on réagit en observant l’évolution dans le temps d’un produit naturel, l’eau-de-vie qui se bonifie en étant au contact d’un autre produit naturel : le bois. »
Le tonnelier, un homme de confiance au service de la qualité
La qualité des bois utilisé pour le vieillissement des eaux-de-vie est une préoccupation qualitative très importante et presque culturelle sur le vignoble Frapin et à une époque, les barriques étaient fabriquées à partir d’un stock de bois séché à l’air libre dans l’enceinte de la propriété. Cela a permis de tester différentes origines de bois, d’en appréhender l’incidence qualitative sur une longue période et de travailler la qualité des Cognacs. Les contraintes techniques et économiques liées à la gestion du parc de bois ont amené les responsables du domaine à confier toutes les fabrications de fûts neufs depuis de nombreuses années à des tonneliers « référencés ». M. O. Paultes a utilisé tout le capital de connaissances acquis par ses prédécesseurs et lui-même pour définir les caractéristiques idéales des barriques neuves qu’il demande de fabriquer aux tonneliers :
« Le tonnelier n’est pas un fournisseur comme les autres en raison du fait qu’il travaille un matériau naturel dont la qualité a besoin d’être affinée. Pour un bouilleur de cru, le choix d’un tonnelier fait appel à d’autres valeurs que pour l’achat de toutes autres fournitures. A mon sens, le tonnelier doit être un partenaire qualité avec lequel on instaure une relation de confiance dans la durée pour essayer de travailler le style de vieillissement d’une propriété. L’enjeu du choix d’un tonnelier est capital sur le plan de la typicité car les caractéristiques des barriques utilisées dans les premières années du vieillissement font à elles seules 30 % de la qualité finale des Cognacs. Il y a quelques années, nous avons travaillé avec plusieurs fournisseurs mais les mauvais résultats d’un type de fabrication nous ont amené a écarté un fournisseur. La nature du bois et aussi leur mode de séchage sont souvent la cause de nombreux incidents de vieillissement. Des merrains séchés à l’air libre représentent toujours un facteur de qualité et dans ce domaine il faut bien faire confiance à son fournisseur. Régulièrement je me rends chez les tonneliers pour visiter leur parc à bois et identifier avec eux les piles de merrains qui correspondent à nos attentes. La qualité et l’origine du bois sont étroitement liées à la capacité du tonnelier à pouvoir ou non posséder un stock de merrains suffisant. Mon souhait est de travailler avec un seul type de bois, des gros grains de type Limousin, et de demander de réaliser des chauffes différentes. Nous avons réalisé de nombreux essais de chauffes et l’incidence qualitative d’un bousinage faible, moyen et fort est facilement perceptible même par des personnes peu aguerries à la dégustation. Tous les ans, on modifie les chauffes en tenant compte de la structure des eaux-de-vie nouvelles. D’une façon générale, je préfère les chauffes moyennes et moyennes plus aux chauffes fortes, et cette année par exemple, la dégustation des nouvelles m’a incité à ne pas faire toaster les fonds. La réalisation des chauffes est une étape capitale vis-à-vis de l’extériorisation aromatique à venir des eaux-de-vie et aucun artifice ne peut remplacer l’apport du bois neuf chauffé. Au moment de la fabrication des fûts, il m’arrive de me déplacer dans les ateliers pour suivre le déroulement des chauffes. Les odeurs de pain grillé qui se dégagent au moment de la chauffe sont d’excellents indicateurs du potentiel aromatique à venir des barriques neuves. »
Utiliser de façon judicieuse les chais humides et les chais secs
L’apport de bois neuf est « dosé » en fonction de la structure des eaux-de-vie nouvelles. Des lots ayant une structure aromatique neutre et moelleuse ne supporteront pas un élevage prolongé dans le bois neuf alors que des produits beaucoup plus généreux en tireront le meilleur profit. M. O. Paultes conduit la phase d’élevage en fûts neufs de manière à la fois simple et pragmatique :
« La première année de vieillissement est vraiment une phase capitale pour l’avenir de l’eau-de-vie et il ne faut pas la rater. L’apport du bois neuf ne doit pas couvrir les arômes des eaux-de-vie mais les sublimer. Il ne doit pas y avoir de concurrence entre les notes aromatiques du bois et celles du terroir mais la recherche d’un parfait équilibre. La dégustation des eaux-de-vie au moment du remplissage des barriques et ensuite 4 à 5 mois plus tard permet d’apprécier le niveau de prise de bois des eaux-de-vie et le respect des arômes intrinsèques. A l’issue de la première année de vieillissement, toutes les eaux-de-vie sont dégustées avant d’être assemblées et préparées pour la phase de vieillissement oxydative dans des chais aux caractéristiques climatiques différentes. L’utilisation judicieuse des chais humides et secs permet de façonner les caractéristiques des eaux-de-vie. Les chais humides évaporent prioritairement de l’alcool et cela apporte aux eaux-de-vie de la rondeur et de la souplesse. Les chais secs évaporent prioritairement de l’eau et apportent aux eaux-de-vie de l’élégance et de la finesse. Le cycle de vieillissement d’une eau-de-vie de garde doit à la fois bénéficier des avantages de chaque chai. Nous commençons toujours la phase de vieillissement oxydatif dans les conditions des chais humides et ensuite nous les envoyons dans des chais secs. L’alternance de conditions de vieillissement est très bénéfique à la qualité de nos Cognacs. Chaque chai favorise le développement dans les eaux-de-vie d’une typicité propre dont il faut tirer profit pour affiner les qualités commerciales. Le suivi qualitatif des eaux-de-vie dans les chais secs demande une surveillance régulière car les évolutions aromatiques peuvent être assez spectaculaires. »
Les structures des bâtiments de stockage, la nature des sols en terre battue calcaire ou cimentée, le niveau d’isolation, la présence de deux niveaux de stockage (en sous-sol et sur un plancher)… confèrent à chaque chai des capacités spécifiques. M. O. Paultes considère que l’ambiance du chai est primordiale et sa juste appréciation doit permettre aux bouilleurs de cru de travailler la qualité des eaux-de-vie : « Il y a des chais adaptés aux barriques neuves et d’autres destinés au paradis. Un vieux bâtiment bien équilibré sur le plan de la température et de l’hygrométrie n’est pas fait pour accueillir des barriques neuves. Durant leur phase de vieillissement, les eaux-de-vie ont besoin de respirer, de vivre avec le bois et dans l’ambiance du chai dans laquelle elle se trouve. L’apport de bois neuf doit se digérer avec le temps et l’incidence de l’ambiance des chais joue un rôle déterminant sur le développement de la subtilité des arômes des eaux-de-vie rassises que l’on ne retrouve dans aucun autre spiritueux. Les chais bien propres, trop bien isolés ne permettent pas aux eaux-de-vie de suffisamment respirer et que ce soit pour des comptes 2 ou 20, l’insuffisance d’échange avec l’environnement pénalise l’évolution qualitative. Les normes de sécurité actuelles rendent difficile la construction de nouveaux bâtiments de stockage adaptés à la recherche de bonnes atmosphères et je trouve ça inquiétant pour l’avenir. »
0 commentaires